En arrière-plan du débat sur le « voile intégral », nous découvrons à nouveau une question qui ne cesse d’agiter les démocraties depuis au moins 15 ans. Cette question est celle de la place à faire, au sein de nos sociétés, à la pluralité des « cultures ». Ce mot lui-même n’est pas exempt de difficultés propres – on y revient bientôt – mais tout le monde voit à peu près de quoi il s’agit : notre pays, à l’instar de la plupart des autres grandes démocraties occidentales, est au premier coup d’œil moins « homogène » qu’il y a cinquante ans, en matière d’origine ethnique, de croyance religieuse, voire, comme disent ceux qui aiment penser en allemand, de « vision de monde ». Dans certaines grandes villes européennes – Londres ou Amsterdam par exemple – cette diversité saute aux yeux. On peut y croiser un employé du métro en uniforme, mais coiffé d’un turban sikh, ou traverser des quartiers où toutes les enseignes sont écrites en urdu ou en chinois. Les journaux ont récemment fait état de l’élection au Parlement belge d’une jeune députée portant le hijab, et chez nous, les Français en maillot de bain sont censés suivre avec passion les débats de la mission parlementaire sur le port de la burqa. La France à poil surveille les femmes à voile – c’est un bon résumé d’une situation passablement embrouillée.
Notre embarras comporte assurément une dimension émotionnelle – le malaise qui nous saisit à la vue d’une femme entièrement voilée, lorsque nous la croisons en allant acheter la baguette matinale plutôt que dans une contrée lointaine. Le dépaysement, c’est bien quand on voyage, mais plutôt désagréable quand on est chez soi. Or ce malaise se double d’une lancinante perplexité intellectuelle. Nous cherchons avidement quelques principes d’orientation pour nous forger une idée sur la question, et ceux qui nous sont proposés paraissent bientôt décevants.
Au risque d’une simplification hasardeuse, on peut avancer que le débat est aujourd’hui polarisé entre deux options : la posture « républicaine », incarnée notamment par ceux de la majorité présidentielle qui brandissent déjà la menace d’une « loi anti-burqa » ; et la position tolérante qui se réclame intellectuellement du « multiculturalisme ». Il y a, je crois, de bonnes raisons de juger cette alternative insatisfaisante. Je commencerai mon examen par le pôle de la tolérance, dont les impasses fourniront une bonne entrée en matière pour réfléchir sur ce que j’appellerai le « malaise républicain ».
Le « multiculturalisme » est un terme qui nous vient des pays anglo-saxons, et désigne la politique qui prétend enregistrer le fait de la pluralité des cultures au sein d’une même société. Le multiculturalisme représente cette pluralité comme une richesse, et dénie à la « culture » du pays d’accueil le droit de porter atteinte à l’identité des groupes nationaux, ethniques ou religieux nouvellement installés. Ce serait le cas si le pays d’accueil prétendait tout bonnement « assimiler » les nouvelles populations, au risque de les couper de leurs racines. Plus raisonnable politiquement, et sans doute également moralement supérieure, serait l’action consistant à organiser la coexistence harmonieuse des cultures diverses, en prenant acte une fois pour toutes du fait que la culture nationale n’est qu’une culture parmi d’autres, qui n’a aucun titre à revendiquer pour elle-même une forme quelconque de suprématie. Le multiculturalisme est, du point de vue moral, un relativisme.
Il n’est que trop facile de remarquer que la rhétorique multiculturaliste – s’enrichir de nos différences, s’ouvrir à la diversité, accueillir « l’autre », etc. – a pris récemment du plomb dans l’aile. Certains pays d’Europe – l’Angleterre et la Hollande notamment – qui ont poussé le plus loin le multiculturalisme se trouvent désormais contraints de faire machine arrière, sous la pression de la réalité. Aux Pays-Bas, les succès durables de l’extrême-droite attestent d’un malaise persistant. En Grande-Bretagne, les attentats islamistes ont singulièrement refroidi l’enthousiasme pour la politique communautariste qui avait présidé à la formation de larges enclaves ethnico-religieuses au sein des grandes villes. Dans ces deux pays, l’accès à la naturalisation est désormais subordonné à toutes sortes de conditions et d’examens – connaissance de la langue, de la culture et de l’histoire nationales, cérémonies patriotiques, etc. – tandis que l’on tente d’introduire, ironie de l’histoire, un peu de « diversité » dans les quartiers d’Amsterdam ou de Londres (ce que Manuel Valls appellerait plus crûment une dose « de blancs, de white, de blancos »).
Le philosophe Vincent Descombes a porté, je crois, le bon diagnostic sur l’échec politique et moral du multiculturalisme, dont il stigmatise ainsi le « relativisme doux » :
Le relativisme doux a les apparences extérieures de la vertu : respect des autres, tolérance envers leurs opinions et leurs mœurs. Lorsqu’on remarque que ce respect des autres consiste, en pratique, à éviter les occasions de les rencontrer, on se dit que ce relativisme est moins doux qu’il n’y paraît : il exprime, en réalité, l’impuissance à concevoir une diversité autrement qu’en termes de conflits et de domination. Intellectuellement mou, le relativisme doux est politiquement dangereux. (V. Descombes, Le Raisonnement de l’Ours, p. 203).
Il y a cependant une faiblesse plus radicale dans le multiculturalisme. Non seulement ses conséquences politiques sont potentiellement explosives, mais il repose peut-être sur une construction intellectuelle des plus fragiles.
Le multiculturalisme prend en effet son point de départ dans une appréciation erronée de la réalité. L’histoire propose assurément maints exemples d’ensembles politiques qu’on peut qualifier de « multiculturels ». L’empire Austro-Hongrois fut longtemps un modèle de coexistence pacifique entre diverses populations culturellement diverses :
Vienne en 1900 comptait 63 % d’étrangers […]. En 1890, seulement 39% des habitants de Budapest y étaient nés, tandis que 52% provenaient d’autres provinces du royaume de Hongrie, très divers ethniquement. Par comparaison, Paris ne comptait que 6% d’étrangers au tournant du siècle. (Delphine Bechtel et Xavier Galmiche, éd., Les Villes multiculturelles en Europe centrale, Paris, Belin, 2008 ; cité ici).
L’ancienne U.R.S.S., aujourd’hui la Chine et ses 56 ethnies officiellement reconnues, sont typiquement des États « multiculturels » – avec d’ailleurs les difficultés que l’on sait. Mais ces exemples semblent curieusement éloignés des préoccupations multiculturalistes actuelles, et pour cause : il ne s’agit ni d’États-nation, ni, encore moins, de démocraties. L’existence bien attestée de minorités ethniques en Chine, par exemple, présente deux caractères également remarquables : jusqu’à un certain point (point dont la position fluctue assez largement au gré des « lignes officielles » décidées par le Parti), ces minorités représentent d’authentiques groupes ethniques qui conservent leurs traditions, leur religion, leur costume ; en même temps, elles le font en vertu d’un droit concédé d’en-haut – par l’État chinois – qui les maintient de ce fait dans un statut d’exception. Bien entendu, comme on l’a vu récemment pour le Tibet, comme on le voit aujourd’hui pour les Ouïgours, il ne saurait être question pour ces minorités de revendiquer un quelconque droit à l’autodétermination.
Tout autre est évidemment la situation des « minorités » chez nous. La reconnaissance qu’elles revendiquent parfois n’a rien à voir avec celle d’un peuple qui réclame le droit à disposer de soi-même. Il ne s’agit pas de la mise en œuvre d’un « principe des nationalités » comme celui qui fit éclater l’empire habsbourgeois. Au contraire, ces revendications se coulent naturellement dans l’idiome « local » du respect de l’autonomie individuelle. Ainsi, le port d’un voile islamique est toujours présenté, par ses tenants eux-mêmes, comme l’expression d’un choix personnel ; il résulte d’une décision dont on revendique la liberté et l’authenticité (voir, par exemple, cette intéressante page de réactions de lecteurs du Monde, ou les échanges avec DAZahid sur La Plume d’Aliocha). Bref, ce sont les valeurs mêmes de l’individualisme démocratique qui sont mobilisées pour inviter au respect de la « différence ».
La faiblesse intellectuelle du multiculturalisme réside dans son incapacité à enregistrer cette donnée majeure : pour nous, citoyens de nations démocratiques, les seules revendications « identitaires » audibles sont celles qui sont présentées comme des options personnelles. Personne ne souhaite sérieusement accorder le droit à une quelconque minorité d’imposer à ses membres le respect des traditions. Nous voulons, tout au plus, que le respect de la tradition soit lui-même une option, et l’expression de l’autonomie personnelle. Formule qui, on doit le remarquer, est exactement le contraire de la tradition authentique. Comme le dit en effet Cornélius Castoriadis, « la tradition signifie que la question de la légitimité de la tradition ne sera pas posée » (Le Monde morcelé, p. 130 ; bien entendu, cela vaut également pour « nos » traditionnalistes, qui manquent précisément à être traditionnels dès lors qu’ils justifient leur position par un système de pensée conçu à cet effet : on cesse d’être « traditionnel » lorsqu’on adopte la tradition en vertu d’un choix raisonné entre plusieurs options possibles).
Le multiculturalisme repose sur une regrettable erreur de perspective. Il voit bien une diversité de mœurs, de croyances ou de costumes ; mais il est aveugle à la forme dans laquelle cette diversité s’est coulée. Il aperçoit le phénomène de surface, sans enregistrer la mutation démocratique qui y préside, en vertu de laquelle les expressions de la « diversité » ne sont acceptables que dans la mesure où elles reflètent l’adhésion au principe démocratique de l’autonomie individuelle. Nous pouvons écouter une revendication qui prend la forme « je veux pouvoir m’habiller ainsi parce que c’est mon choix », non celle qui dirait simplement « je veux pouvoir m’habiller ainsi parce que c’est ainsi que doivent s’habiller les femmes ».
De ce point de vue, le moraliste d’aujourd’hui, l’enthousiaste d’un cosmopolitisme de bon aloi, doit s’incliner devant le diagnostic de l’anthropologue tocquevillien, sensible à l’ethos propre des sociétés démocratiques :
« Contrairement à beaucoup d’affirmations irréfléchies, une “démocratie pluriculturelle”, ou simplement biculturelle, est au sens strict une contradiction dans les termes » (Louis Dumont, L’Idéologie allemande, p. 269).
En effet, en démocratie, la revendication d’une « identité » spécifique, l’allégeance à une culture particulière, ne peut trouver de place qu’en se subordonnant au principe individualiste qui informe l’identité collective nationale. S’il fallait reconnaître des droits à une minorité comme telle, c’est-à-dire par exemple à un groupe ethnique ou religieux considéré comme groupe, on violerait directement ce principe individualiste, et l’on aurait le contraire d’une démocratie : par exemple, un empire constitué de diverses nationalités, avec statuts propres et droit particulier.
L’erreur du multiculturalisme est donc de refuser l’indispensable hiérarchie des « identités culturelles » au sein d’une société démocratique : au niveau supérieur et intangible doit régner le principe de l’autonomie individuelle ; ce n’est qu’à un niveau subordonné, et dont les limites sont intrinsèquement négociables, que peuvent trouver place des revendications identitaires – qu’il s’agisse d’une identité ethnique, religieuse ou, comme ce fut le cas lorsque la France rompit avec la logique néfaste de la loi Le Chapelier, d’une identité professionnelle. Je cite ce dernier exemple pour introduire l’étape suivante de la réflexion, qui portera sur les aménagements nécessaires de la posture strictement « républicaine ».
13 juillet 2009 at 19:31
Quel sujet intéressant ! Merci pour vos lumières, je me coucherais moins bête !
Il y avait dans Courrier International (non, ce n’est pas ma Bible, enfin presque !) un article rédigé par un anglais qui comparait les systèmes français et anglais, sans d’ailleurs fustiger l’un ou l’autre. Je préfère le système français qui essaie au moins de bâtir un socle commun, même pour les immigrants, au système anglo-saxons, car si je ne me trompe pas, la plupart des immigrants se renferment sur leur communauté plus qu’ils ne s’intègrent.
En fait, cette question du multiculturalisme ne m’intéresse que sur un point (car sur le principe, je trouve ça super que plusieurs cultures cohabitent et coexistent sur le même sol): jusqu’au faut-il pousser la logique ? La burqa l’illustre bien, les accommodements raisonnables au Québec aussi. Le fait de demander l’application de la charia pour régler les affaires familiales à Toronto, ça me fait bondir, mais est-ce que ce n’est pas pousser à son comble la logique du multiculturalisme, qui se comprend alors comme un « chaque communauté chez soi avec ses propres règles » ? On cohabitent plus ou moins, mais on ne se mélange pas.
« Le multiculturalisme est, du point de vue moral, un relativisme. »
Ça me gêne aussi. Pourquoi est-ce si mal vu d’affirmer qu’un pays a une culture spécifique et d’espérer que les personnes qui viennent puisse en respecter les codes les plus fondamentaux ? Ça manque de cohérence: ce sont les mêmes qui respecteront scrupuleusement les us et coutumes du pays qu’ils visitent lors de voyages, qui acceptent que leurs propres us et coutumes ne reçoivent pas le même traitement. J’ai failli écrire « n’aient pas la même valeur ». Est-ce qu’on en arrive pas à ça, une hiérarchisation des cultures ? Quand les occidentaux vont dans d’autres pays et se comportent comme s’ils étaient chez eux (qu’ils soient touristes ou immigrants), on les trouve arrogants et irrespectueux (à raison, d’ailleurs). Mais quand c’est l’inverse, là, c’est du multiculturalisme, pourquoi ?
13 juillet 2009 at 20:06
@ Lisa
Votre dernier paragraphe m’a rappelé un article lu il y a quelque temps, que j’ai retrouvé (c’est un chroniqueur anglais qui écrit dans un journal US, tendance « conservatrice »: parfois, il force un peu le trait, mais en général c’est très bien vu — ce Theodore Dalrymple est aussi un psychiatre qui travaille dans les prisons, il a donc une certaine connaissance « en profondeur » de la société…). L’article se trouve ici:
http://www.city-journal.org/html/eon_9_9_03td.html
13 juillet 2009 at 20:18
Rebonsoir Mr Philarête,
vous risquez de me supporter quelque temps car je suis enseignant et que je n’ai pas grand chose à faire avant de partir au festival d’Avignon samedi prochain. :-)
Les différences enrichissent….
Evidence que n’ont pas perçu les hutus et les tutsis au Rwanda mais peut-être était-ce, encore une fois, à cause des vilains français.
Alors prenons l’exemple des protestants et des catholiques au temps glorieux des guerres mal nommées des religions.
Les différences enrichissent…
Comme l’uranium ?
Qui, dès lors qu’il est enrichi, devient potentiellement une bombe ?
Le multiculturalisme, dans une société démocratique, est un lent cheminement, potentiellement explosif en propre (il faut le savoir), qui suppose un accueil de la différence dans la reconnaissance d’une Histoire nationale et dans la définition d’un projet commun.
Or, seul le premier point semble à l’ordre du jour : reconnaissance de la différence.
En effet, quel regard portons-nous (tous ensemble) sur l’Histoire propre à ce petit territoire qui nous concerne ?
Quel projet commun définissons-nous (tous ensemble) à partir de ces deux premiers points ?
Le seul projet que je nous vois est celui de répondre à ce que d’autres blogs que vous connaissez appellent « le matérialisme mercantile ».
Totalement insuffisant.
Pire encore : nuisible.
14 juillet 2009 at 09:23
Je n’aime pas trop votre sous-titre: l’impasse multiculturaliste. Il a le mérite de la franchise mais il a aussi tendance à donner la réponse avant que la question soit débattue.
On sent bien, presque physiquement vous avez raison, à quel point le modèle hollandais ou le modèle anglais (ils ne sont pas identiques) de multiculturalisme sont en crise. On sent le mouvement centripète de ces démocraties.
Je remarque d’ailleurs qu’en Hollande, un parti socialiste anti-européen, assez sévère sur l’immigration et plus à gauche que les sociaux-démocrates hollandais remporte dorénavant quelques succès électoraux (et aggrave la crise de la social-démocratie locale si forte jadis).
Il n’en reste pas moins que le multi-culturalisme américain semble bien résister… Les USA semblent à la fois très patriotes et très différenciées. Pourquoi?
14 juillet 2009 at 09:51
@Lisa
Votre exemple du « touriste » me gêne un peu.
Quand vous allez en touriste dans un autre pays, il est normal d’en respecter les us et coutumes… A l’évidence se comporter autrement peut être considéré comme grossier.
Dans le cas du multiculturalisme dont on parle (Burqa etc …) souvenez vous du débat avec « DaZahib », je crois, chez Aliocha. Elle est française. Elle n’est pas invité chez nous, elle est chez elle.
Beaucoup de ces gens qui revendiquent une identité culturelle différente sont ici chez eux. Ils ne font pas du tourisme, ils ne sont pas invités. Ils habitent, vivent et font des enfants ici.
D’autre part, définir l’identité culturelle d’un pays c’est quand même (historiquement) risqué (non je ne vias pas tenter le point Godwin mais bon). Les sujet qui divisent les francais qui face à la burqa seraient tous « unis » dans un même culture sont quand même très nombreux (vous voulez rigoler un peu sur l’affaire de la croix dans une salle d’examen du bac par exemple?).
L’enseignement des langues régionales fait moins débat que la burqa par exemple, pourtant (dans le souvenir de mon père) la répression vis à vis des patois locaux à longtemps été très violente. Et pourquoi? Pour créer cette fameuse « unité » culturelle qui me semble parfois, un peu, de façade… non?
Mais ces jours ci je suis un peu pessimiste.
Commencez par définir clairement ce que seraient les règles de base de la « culture » francaise (par exemple) et je pense que (comme aux élections) vous aurez du mal a faire plus de 50%
J’ai parfois l’impression que l’identité commune d’une groupe se défini plus simplement par ce qui les unis « contre » un autre groupe, que les uns avec les autre.
14 juillet 2009 at 11:25
@ Didier Specq
Si le «multiculturalisme» américain semble bien résister, c’est justement parce qu’il n’est pas un multiculturalisme: vous le dites vous-mêmes, dès lors que vous parlez du patriotisme. Mon point dans ce billet n’est pas de nier que des personnes d’origines et de cultures diverses puissent former une seule société — seulement de nier qu’elles puissent le faire sans posséder en commun, par dessus leurs attaches natives (et évidemment légitimes), une «identité nationale», ou culturelle.
Autrement dit, le terme même du «multiculturalisme» est égarant, dès lors qu’il suggère qu’il n’y a rien d’autre qu’une juxtaposition de cultures diverses, et peut-être quelques règles formelles de cooexistence pacifique pour faire tenir l’ensemble. Non, il faut en outre une culture réellement commune — et il est évident qu’aux Etats-Unis c’est celle de l’individualisme démocratique, avec en sus l’élément sacré du patriotisme.
14 juillet 2009 at 11:27
@ Khazan,
j’ai du mal à croire qu’en fouillant notre passé, nous ne trouvions quelques traits de notre caractère national !
Et, pour reprendre une partie de vos propos, je dirai qu’en regardant les autres, nous verrons bien, tout de même, ce qui nous en distingue.
Je ne sais pas exactement ce que veut dire « être Français » parce que je suis issu d’une génération qui s’est amusée à persifler (c’est l’esprit 68) et qui me laisse un peu démuni devant ce questionnement jugé nauséabond.
J’ajoute qu’ayant très exactement l’âge de l’Europe, j’ai longtemps pensé que l’idée nationale était obsolète.
Erreur fatale !
Je finis ma carrière d’enseignant dans une société française beaucoup plus hétérogène qu’à mes débuts (sans nostalgie), et je prie pour qu’elle ne devienne hétéroclite.
La définition d’une identité nationale reste plus que jamais d’actualité et elle est l’affaire de tous (de vous tout autant que de Lisa d’ailleurs), d’intellectuels qui acceptent de reprendre cette question ouverte avec le sourire et « la perspective d’un avenir radieux ».
Car enfin, cohésion, cohérence, dessein(s) commun(s) sont-ils à bannir de notre vocabulaire parce que les mots sont âpres ?
Et que veut dire, sans eux, « être chez soi » pour reprendre l’expression que vous utilisez ?
On peut être chez soi dans une cage à lapins, on peut être chez soi dans un village apaisé ou dans une ville débordant d’énergie positive, ou dans un champ de ruines.
Il en va de notre responsabilité de construire ensemble l’environnement de notre lieu de vie, environnement compris entre l’essentiel et l’insupportable.
Brassens, ce professeur de doutes, chantait à l’époque :
« Mourir pour des idées, l’idée est excellente,
moi j’ai failli mourir de ne l’avoir pas eu,
car tous ceux qui l’avaient, multitude accablante,
en hurlant à la mort, me sont tombés dessus… »
Nous est-il interdit, pour autant, de nous enthousiasmer pour une idée ?
Nationale ?
14 juillet 2009 at 13:14
« j’ai du mal à croire qu’en fouillant notre passé, nous ne trouvions quelques traits de notre caractère national ! »
Fouillez, fouillez et revenez avec quelques propositions concrètes :-)
En regardant les autres, je vois bien ce qui me distingue des cathos « tradi » francais, ou des bretons bretonnant ou des musulmans voilés ou même des « pro-vie » et autres créationistes… je vois plus mal ce qui m’en rapprocherait en tant que « francais ».
Je ne dis pas que l’identité nationale n’existe pas (vu qu’il y a un ministère pour ca…) mais je trouve le concept bien plus difficile à manipuler qu’il n’y paraît.
14 juillet 2009 at 14:11
Ha… ma petite liste peut sembler un poil « laïcisante »…
J’ajouterais alors: Bienvenue chez les ch’ti où il semble qu’une partie de la France découvre ce qu’est l’autre partie.
Finalement ce qui me gêne dans « l’impasse multiculturaliste »… c’est la difficulté qu’il y aurait à définir non pas ce contre quoi on est, mais ce « pour » quoi on est.
C’est aussi comment penser une France qui ne serait pas déjà multiculturelle depuis bien longtemps.
14 juillet 2009 at 14:21
« Revenez avec des propositions concrètes »…
Je trouve croustillant que vous me fassiez cette demande un 14 juillet :-)
« En regardant un pro-vie, je vois bien ce qui me distingue de lui, Je vois plus mal ce qui m’en rapprocherait en tant que « français » » (mot que vous placez entre guillemets.)
Ben, LUI et VOUS êtes dans la même barque, vous votez dans les mêmes isoloirs, l’un est toujours en mesure de prendre du pouvoir sur l’autre.
Du coup, personnellement, je me sens beaucoup moins concerné par un pro-vie américain que par un pro-vie français qui peut directement agir sur ma vie.
Qu’est-ce qui peut me le rendre supportable, au nom de quel passé, avec quelle perspective, puisque de toute façon je suis obligé de composer avec lui ?
Je crains que votre façon de trancher le spectre sociologique (?) français en tranches plus ou moins fréquentables ne conduise à construire une nation a minima.
C’est la cage à lapins dont je parle dans mon commentaire précédent.
« Le concept est difficile à manier »
Relisez mon commentaire, c’est exactement ce que je dis lorsque je parle de mots âpres.
Et c’est bien pourquoi je dis qu’il faut le manier avec le sourire.
Très vite, par rapport à votre tout dernier post, ne confondez-vous pas diversité et multiculturalisme, une France des terroirs avec une France multiculturelle ?
14 juillet 2009 at 15:48
Philarête > Le lien était intéressant, merci :)
Khazan > C’est pourquoi j’ai écrit « qu’ils soient touristes ou immigrants », parce que des histoires d’occidentaux qui habitent dans d’autres pays mais n’en respectent pas les us et coutumes, j’en ai entendu plus d’une fois !
Mais il est vrai que DAZahid est un bon contre-exemple, pour ce qui est de la burqa. Le texte de Philarête concerne cependant le multiculturalisme au « sens large ».
Je ne cherche pas à faire la différence eux/nous. A partir du moment où des immigrants sont acceptés sur le territoire français et s’y installent, ils ont le droit de s’y considérer chez eux aussi. DAZahid est française, mais la culture qu’elle adopte ne l’est pas. Je ne lui demande pas pour autant de rejeter cette culture, mais quand il y a un conflit qui surgit, ça m’irrite un peu de voir que ceux qui essaient de défendre la culture française et/ou occidentale se font taxés de rétrogrades intolérants.
Quand à l’identité nationale… vous n’avez pas tort quand vous dites qu’on se découvre en se confrontant aux autres. J’ai eu la chance de voyager en Allemagne et au Québec cette année. Ce ne sont pas des pays si différents, mais pourtant, certains comportements m’ont surprises et je me suis dit « tiens, je n’ai jamais vu ça en France. » Je n’ai pas d’exemple en tête, hormis peut-être le plus évident entre la France et le Québec: la langue. On parle la même, mais vraiment pas de la même façon, et mine de rien, ça change énormément de choses dans la manière de réfléchir et de fonctionner !
Je lis en ce moment « Musulmane mais libre », d’Irshad Manji. C’est vraiment très bien écrit et très intéressant. Je suis tombé hier soir sur ce passage, et ça m’a fait penser à cette discussion. Si Philarête ne m’en veut pas, je vous met le passage:
« La vigilance exige que l’on se pose une question d’ordre spirituel (mais pas nécessairement religieux): quelle est la valeur qui peut guider le plus grand nombre d’entre nous ? Dans la gamme des idéologies et des religions dont l’Occident dispose, quel est le filtre qui distillera au mieux le droit de chacun à la libre expression ? Un mot insipide comme « tolérance » ou une formule passe-partout comme « respect mutuel » ne fera pas l’affaire pour servir de guide. Peut-on tolérer une bigoterie qui tend à la violence ? Qu’y a-t-il de mutuel dans cette version du « respect mutuel » ? Amin Maalouf, qui réside en France, met le doigt sur la difficulté: « Les traditions méritent d’être respectées seulement si elles sont respectables – c’est-à-dire pour autant qu’elles respectent les droits fondamentaux des hommes et des femmes. » Nous devons, Occidentaux musulmans et non musulmans, décider d’une valeur qui reflète notre sensibilité et, à partir de là, revenir en arrière. Tout ce qui ne fait pas avancer la société dans la direction de cette valeur ne devrait plus être toléré. Point. »
Elle propose un peu plus loin l’individualité comme cette « valeur-guide » (en la différenciant cependant de l’individualisme).
Ce texte concerne naturellement l’islam, mais puisque Khazan a parlé de DAZahid et de la burqa, je trouvais qu’il n’était pas complètement hors-sujet !
14 juillet 2009 at 18:33
En vrac parce que je suis un peu à la bourre:
@omicron
J’ai du mal a saisir la référence au 14 juillet :-)
Sinon je ne propose pas grand chose et ne découpe rien, pas même le spectre sociologique français… et si je met des guillemets autours de français c’est que même ça… c’est pas forcément si simple à définir d’un point de vue historique et sociologique (quand à savoir si ce processus d’intégration dans une identité française s’est fait dans la paix et la sérénité…).
@Lisa
Je ne sais pas si les défenseurs de la culture occidentales sont si souvent taxés de rétrogrades ou d’intolérants. Je pense que, bien souvent, c’est plutôt la façon dont ils s’y prennent qui peut attirer les critiques.
Que la religion (plutôt que culture) de Dazahid soit française ou pas… la belle affaire :-)
Je ne suis pas persuadé que ce soit tellement ça le problème.
De nombreuse personnes se « convertissent » au bouddhisme sans que ce ne semble poser de problèmes. De nombreux juifs pratiquants vivent en France sans que ça ne semble poser trop de problèmes.
« Nous devons, Occidentaux musulmans et non musulmans, décider d’une valeur qui reflète notre sensibilité et, à partir de là, revenir en arrière. Tout ce qui ne fait pas avancer la société dans la direction de cette valeur ne devrait plus être toléré. Point.”
Encore une fois, n’y voyez pas malice de ma part… mais il faudrait de temps en temps sortir des généralités avec lesquels on peut tous être d’accord pour rentrer dans le concret, et c’est là que ça se corse.
Pour reprendre un autre débat qui s’est aussi joué ici, et plus particulièrement au sujet des droits de la femme… est-ce que le droit de la femme à disposer de son corps (et ainsi par exemple avoir le droit d’avorter sans le consentement du père par exemple) fait partie de ces valeurs qui ne font pas débat en France et tel que tout ce qui ne ferait pas avancer la société dans ce sens ne devrait plus être toléré ?
Est-ce aussi le cas de la laïcité ?
La liberté de culte?
Le respect de l’identité sexuelle (permettre à des homo d’adopter des enfants?)
Quels sont ces fameuses valeurs?
Cette discussion me fait penser à ces exercices de Math ou on vous demande de plancher sur les fonctions ayant la propriété P. Il faut démontrer tout un tas de choses de plus en plus difficiles et prouver l’inestimable intérêt de cet ensemble de fonctions.
Puis, en dernière question, on vous propose de prouver que cet ensemble est vide…
N’est-ce pas plutôt que l’islam fait peur et que certaines pratiques qu’on voit apparaître et qui nous semblent rétrogrades nous paraissent à ce titre intolérables ?
N’est-ce pas ou bien le « culte » d’un France imaginaire, de terroirs et de petits villages ou le clocher de l’église sonne à midi et fait retentir son appel a travers les champs de blés où de débonnaires paysans arrêtent leurs travail pour aller déguster un peu de saucisson en vidant leurs quarts de rouge ?
N’est-ce pas finalement un avatar de la peur de la mondialisation et de la remise en question d’un mode de vie qui nous apparaît comme éternelle (bien que ne datant que d’avant hier) et qui serait le notre?
J’ai pas trop d’avis sur la question, mais j’aimerais voir les uns et les autres sortir de l’incantatoire pour me dire à moi (qui suis francais) ce que serait ces valeurs, les fondamentaux de ma culture que je serais censé partager avec tous les autres francais.
Une petite anecdote en passant.
En lisant la discussion avec Dazahid chez Aliocha et la réponse d’Aliocha sur le fait qu’en France on respecte les femmes court vêtues et maquillées etc… je me suis souvenu d’un éditorial de télé poche d’il y a au moins 20 ans (oui je sais c’est pas une référence ultra culturelle mais bon). Il était rédigé par une femme et parlait en substance d’une nouvelle mode: les collants opaques avec des motifs portés sous une jupe courte. Elle concluait en substance que, si ces femmes se faisait violer ou n’était pas respectes, certes c’était mal mais ne l’avait-elle pas cherchées ?
J’en connais en France aujourd’hui qui pensent toujours la même chose. Et ils ne sont pas forcément musulmans.
Si même la mini-jupe ne fait pas l’unanimité, quelles valeurs partageons nous tous, nous les occidentaux francais ?
:-)
14 juillet 2009 at 22:32
@ Kahzan
« Que la religion (plutôt que culture) de Dazahid soit française ou pas… la belle affaire :-) »
Dis comme ça… :) Que la culture et la religion qu’elle choisie soit française ou pas, je m’en fiche un peu à vrai dire. Mais n’est-ce pas précisément le sujet de cette discussion: l’introduction d’autres cultures et la façon dont elles interagissent avec notre « culture française » (si tant est qu’on puisse la définir !) ?
Quant à la comparaison avec le bouddhisme ou le judaïsme… ce ne sont pas des religions qui font du prosélytisme, ce qui explique, je pense, qu’elles provoquent moins de controverse que l’islam ou le catholicisme.
Le raisonnement d’Irshad Manji me paraît applicable dans le cas de la valeur qu’elle choisit comme « guide »: l’individualité. C’est du moins comme ça que je le comprends.
« N’est-ce pas finalement un avatar de la peur de la mondialisation et de la remise en question d’un mode de vie qui nous apparaît comme éternelle (bien que ne datant que d’avant hier) et qui serait le notre? »
Est-ce que vous ne déplacez pas le débat ? Il me semble ici que cela ne se limite absolument pas à l’islam, ni aux « accommodements » que les musulmans demanderaient, mais simplement à la difficulté d’intégrer dans la société des groupes de culture différente, que ces cultures soient perçues comme des menaces ou pas.
Et puis, la peur de la mondialisation n’a pas vraiment lieu d’être. On craignait l’américanisation, pour se rendre compte finalement que les cultures qui s’américanisent le font à leur manière et en conservant leur culture.
« Elle concluait en substance que, si ces femmes se faisait violer ou n’était pas respectes, certes c’était mal mais ne l’avait-elle pas cherchées ? »
C’est un peu péremptoire comme jugement, mais il y a des cons partout, non ? Je pense que ce qu’Aliocha voulait dire (ou plutôt, c’est comme ça que je l’ai compris), c’est que les femmes en minijupes sont censées être respectées, et même si certains pensent « qu’elles l’ont bien cherchés. » Le consensus, c’est qu’une femme doit être respectée peu importe ce qu’elle porte.
15 juillet 2009 at 01:05
Il se trouve que je vis dans une des régions les plus culturellement et ethniquement diverses du pays qui a le premier théorisé et mis en pratique le multiculturalisme comme politique d’intégration nationale, au point d’en faire une référence constitutionnelle: le Canada. Sans prétendre être un expert des problèmes politiques et sociaux que pose la posture dite « tolérante », je pense pouvoir proposer un point de vue appuyé sur un peu de vécu, par contraste avec certains de ceux qui vilipendent le multiculturalisme en tant que danger abstrait, sans l’avoir jamais personnellement observé à l’oeuvre.
Premier point: si plusieurs pays d’Europe ont récemment fait machine arrière en la matière, ce n’est absolument pas le cas du Canada. Ici, on aurait plutôt tendance à regarder les crispations européennes avec une inquiétude mêlée d’un petit sentiment de supériorité autosatisfaite. Toute discussion sur le sujet finit rapidement par mentionner les émeutes françaises de 2005, qui ont fortement marqué l’opinion et servent de contre-exemple. Lorsque des difficultés se sont fait jour au Canada, avec l’affaire des « accommodements raisonnables » au Québec, la question posée a été… comment éviter de suivre l’exemple de l’Europe. D’autant plus que le problème n’a pas essaimé à l’extérieur de la Belle Province (ce qui souligne l’existence de divisions d’un autre type, mais c’est là un sujet différent).
@ Lisa, au passage: pour votre information, le gouvernement de l’Ontario a rejeté toute idée d’application de la charia. Le débat, à ma connaissance, en est resté là.
Second point: vous expliquez que le multiculturalisme dénie à la « culture » du pays d’accueil le droit de porter atteinte à l’identité des groupes nationaux, ethniques ou religieux nouvellement installés. Au Canada, la question ne se pose pas en ces termes. D’aucuns estiment que le pays n’a pas de culture propre, fondé qu’il fut par des immigrants il y a relativement peu de temps, immigrants qui appartenaient d’ailleurs à non pas une mais deux cultures très différentes (sans parler de la question améridienne, qui ajoute un degré de complexité au problème). La réponse proposée est de faire de la diversité, justement, la marque culturelle spécifique du Canada. Cette idée ne fait pas l’unanimité, mais il y a tout de même un large consensus pour adopter à l’égard des cultures exogènes une attitude ouverte, ou, plus exactement, une attitude positive, j’y reviendrai plus bas.
Point 3, en réponse à L.Dumont: non seulement la démocratie biculturelle est possible, mais dans le cas du Canada, elle est le fait d’un choix fait par les deux cultures en question. La seule alternative disponible, la séparation, a été implicitement rejetée dès l’origine, choix explicitement confirmé ensuite par le suffrage. Cette situation est peut-être une contradiction dans les termes, mais c’est alors une contradiction plutôt vivace.
Point 4: votre citation de V.Descombes, « on remarque que ce respect des autres consiste, en pratique, à éviter les occasions de les rencontrer » peut décrire l’état d’esprit d’une certaine gauche française, mais il serait erroné de généraliser ce dur jugement. On peut très bien éviter cet écueil, justement, en encourageant et en valorisant l’expression publique des diverses cultures: festivals, manifestations culturelles, subventions aux associations, et bien sûr intégration politique avec admission des minorités, sur la base de la compétence, à des postes de réel pouvoir – voir le cas de la nomination de Mme Sotomayor pour la Cour Suprême des États-Unis. OK, c’est politiquement correct, mièvre, énervant, et l’excès en la matière comporte des risques (ainsi la « discrimination positive » porteuse de fortes tensions). Mais il se trouve que ça marche relativement bien. Toujours dans le cas canadien, sur le plan politique, la tendance des différentes ethnies à se regrouper par quartiers type Chinatown a paradoxalement un effet positif en la matière: cela leur donne une excellente chance d’envoyer des représentants au Parlement, ou au moins d’obtenir, en tant que « bloc d’électeurs », l’attention des élus de leur circonscription. Cela induit certes une représentation ethnique, mais aussi et surtout un facteur majeur d’intégration aux institutions communes de la nation, et d’acceptation des règles qui vont avec. Bref, le respect de l’autre n’implique pas qu’on coexiste en l’ignorant: il est possible, par une démarche positive, de l’accueillir comme un véritable égal, c’est-à-dire quelqu’un dont on attend une contribution et non pas seulement des revendications.
Point 5: c’est à juste titre que vous indiquez la contradiction potentielle entre la reconnaissance d’identités culturelles particulières et l’autonomie individuelle. Cette difficulté n’est pas nécessairement, pour autant, indépassable. J’emprunterai une réponse possible à la récente encyclique Caritas in Veritate: la notion de subsidiarité, que Benoît XVI définit comme « avant tout une aide à la personne, à travers l’autonomie des corps intermédiaires. Cette aide est proposée lorsque la personne et les acteurs sociaux ne réussissent pas à faire par eux-mêmes ce qui leur incombe et elle implique toujours que l’on ait une visée émancipatrice qui favorise la liberté et la participation en tant que responsabilisation ». Le contexte de l’encyclique est principalement celui du développement économique international, mais l’idée n’est-elle pas tout aussi applicable au développement et à l’intégration des minorités ?
15 juillet 2009 at 03:47
@ Gwynfrid
Vous avez raison de rappeler que le Premier ministre de l’Ontario n’a pas donné suite, je ne l’ai pas précisé car j’en avais déjà parlé dans une autre discussion sur un autre billet. Il n’en reste pas moins que l’option a été envisagée, et tous les Québécois qui m’en ont parlé en étaient plutôt choqués.
Comme vous le dîtes plus bas, le multiculturalisme a servi à construire « l’identité nationale canadienne » (appelons ça comme ça, tout aussi insatisfaisante que la formule puisse être pour certains lecteurs). Comme vous le reconnaissez vous même, l’Europe ne peut naturellement pas avoir la même approche, ne serait-ce que du fait de l’histoire. Je ne saurais comment l’expliquer, mais j’ai vraiment senti que la différence de bagage historique avait un impact, entre le Québec et l’Europe.
Quant à votre vision du multiculturalisme à la canadienne, qui permet d’envoyer des représentants ethniques au parlement, elle me paraît un peu enjolivée. Travaillant au quotidien avec des travailleurs et des intervenants sociaux Québécois, ils sont les premiers à pointer du doigt le fait qu’il existe des endroits qui ne sont pas loin du « ghetto ethnique » dans lesquels les gens restent repliés sur soi et refusent de se mêler aux Québécois. Une Québécoise d’origine algérienne, psychologue de profession, m’a raconté qu’elle travaillait beaucoup avec des personnes qui avaient du mal à s’adapter, parce que même si les Québécois étaient accueillants, réellement s’intégrer dans la société était un véritable défi en soi. En visitant des écoles privées musulmanes, j’ai entendu plusieurs fois que le désir d’aller ou d’enseigner dans ces établissements était motivé par une sorte de rejet (ou au moins une désapprobation) de la part des Québécois qui ne voulaient pas voir de femmes voilées. Les français ne font certes pas mieux en la matière (loin de là), mais présenter le Canada comme un pays vraiment harmonieux, je trouve ça erroné. En tout cas, ça ne correspond pas du tout à la réalité que j’ai pu constater.
15 juillet 2009 at 04:41
@ Lisa: « Il n’en reste pas moins que l’option a été envisagée ». Pas sûr. J’ai cru comprendre que le tapage médiatique a fait monter la sauce très loin au-delà de ce qui avait été initialement envisagé. Je dis cela sous toutes réserves, ne m’étant pas beaucoup documenté sur la question.
@ Lisa : « présenter le Canada comme un pays vraiment harmonieux, je trouve ça erroné. En tout cas, ça ne correspond pas du tout à la réalité que j’ai pu constater. »
Soyez gentille de me faire au moins le crédit d’être réellement sur place, immigrant moi-même, et de constater les choses de mes propres yeux. Cela dit, je précise que non, tout n’est pas parfait au Canada, loin de là, y compris en matière d’intégration. Simplement, j’ai trouvé que la question était infiniment mieux abordée qu’elle ne l’est en Europe: plus de pragmatisme, plus d’efforts de la part du gouvernement, beaucoup moins d’idéologie et de petite politique politicienne.
Je précise également que mon témoignage ne vaut pas pour le Québec, que je connais peu et qui est clairement un cas bien à part, une « société distincte », avec des problèmes d’intégration particuliers, qui, vus de loin, ressemblent un peu à ceux de l’Europe – je ne suis pas assez proche du Québec pour pouvoir expliquer pourquoi. Juste à titre d’exemple: en Ontario je n’ai entendu personne dire qu’il y aurait un problème à croiser une femme voilée. Cela signifie-t-il que les problèmes n’existent pas ? Non, bien sûr. Mais je voulais tout de même m’inscrire en faux contre le terme d' »impasse multiculturaliste », dans le titre de ce billet.
15 juillet 2009 at 07:47
@Lisa
C’est étonnant mais d’un côté vous écrivez que la discussion ne se limite pas à l’islam mais en général à l’introduction d’une culture différente.
De l’autre, la première phrase du billet fait référence au voile (ainsi qu’une bonne part du reste) et votre discussion avec Gwynfrid se rapporte exclusivement aux musulmans (charia…)
Tous les exemple de « cultures » différentes qui se sont acclimatés chez nous (divers religions, culture américaine…) l’ont fait sans problème dites vous…
… reste donc les musulmans.
(Au passage, les juifs seront heureux de savoir que ca s’est bien passé et que ca se passe bien pour eux car ils sont non prosélytes… pas certains que d’un point de vue historique et culturel ce soit complètement vrai cependant).
C’est pourquoi j’ai l’impression que le débat tourne un peu autours des musulmans et de l’islam plutôt qu’autour de questions culturelles en général.
Sinon mon exemple de mini-jupe c’était pour montrer que, malgré les déclarations d’Aliocha, je ne suis pas certain que la culture occidentale historique décrète le respect de la femme en mini-jupe et que tous les occidentaux adhèrent à cette idée depuis très longtemps (cf d’ailleurs aussi la pub dont Aliocha à parlé dans un autre billet).
Alors de quoi parle t-on?
:-)
De multiculturalisme ou de l’intégration des musulmans et de l’islam?
15 juillet 2009 at 13:33
@ Khazan,
Il n’y aurait donc pas l’expression d’un caractère national dans l’origine et le déroulement du 14 juillet.
Ce serait donc simplement la fête du feu d’artifice,
Comme Noël serait celle du Père-Noël,
Pâques, celle du gigot et de l’omelette,
Toussaint celle des sorcières….
Fin de toute transcendance et vive la teuf !
Et les Droits de l’Homme, expression typiquement française d’un problème mâchouillé par tous les peuples, de simples droits des individus.
Fin de toute transcendance !
En accord avec vous, je dirai que les processus d’intégration ne se sont presque jamais déroulé dans la joie et la bonne humeur, que justement, et qu’ils se posent aujourd’hui dans un cadre nouveau : le cadre démocratique (créé en partie grâce au génie français d’ailleurs).
Ce cadre exige que nous abandonnions l’éternel règlement à la machette du problème posé par le multiculturalisme et que donc, nous le prenions là bras le corps en le développant sous toutes ses facettes.
Je répète qu’il s’agit de travail de tous les citoyens que nous sommes dans un cadre que je définis, à titre personnel, comme compris entre « l’essentiel et l’insupportable ».
Et je vous invite à y participer, vous qui pensez n’avoir rien à proposer.
Les témoignages de Lisa et de Gwinfrid me conduisent à penser que le multiculturalisme posé dans ce cadre historiquement nouveau décliné chez eux à la canadienne ne va pas de soi.
Et, à mes yeux, bien qu’instructive, cette déclinaison n’est pas transférable à La Frrrrrance. (J’y mets plein de « r » gauliens :-)
Je ne vois pas en quoi le fait de parler souvent de l’islam serait orienté car il s’agit bien de ce qui pose actuellement problème, non ?
15 juillet 2009 at 15:33
« Pas sûr. J’ai cru comprendre que le tapage médiatique a fait monter la sauce très loin au-delà de ce qui avait été initialement envisagé. Je dis cela sous toutes réserves, ne m’étant pas beaucoup documenté sur la question. »
Je vais juste citer Le Devoir: « En décembre dernier, Marion Boyd, une ex-procureure générale de l’Ontario, néo-démocrate de l’Ontario, a déclenché un véritable tollé lorsqu’elle a recommandé de modifier la loi provinciale sur l’arbitrage pour autoriser et encadrer l’arbitrage religieux en vertu de la charia, de la même façon que la province permet l’arbitrage aux chrétiens et aux juifs. »
(http://www.ledevoir.com/2005/09/12/90207.html)
Effectivement, McGuinty a rejetté assez rapidement l’idée. Je ne pense pas que le débat ait été pour autant uniquement crée par les médias, car il a bien été rédigé, ce rapport.
« Soyez gentille de me faire au moins le crédit d’être réellement sur place, immigrant moi-même, et de constater les choses de mes propres yeux. »
C’est bien pour ça que j’ai précisé que c’est comme ça que je percevais la situation. De plus, même si je ne suis au Québec que pour une période limitée, j’y vis également, en tant étrangère (même si les français sont des étrangers un peu spéciaux par ici !).
@ Kahzan
« les juifs seront heureux de savoir que ca s’est bien passé et que ca se passe bien pour eux car ils sont non prosélytes »
Je ne me souviens pas avoir écrit ça… c’est juste que j’ai l’impression que les juifs soulèvent généralement moins de débat (du moins en Europe), peut-être parce qu’ils ne sont pas prosélytes. Mais je ne m’y connais pas assez pour l’affirmer de manière définitive, ce n’est que la façon dont je le comprends.
Mais on peut plus ou moins rebondir: au Québec, le « problème » avec certains juifs, est celui du fondamentalisme. Récemment, il y a eu quelques débats à propos d’une école juive qui refusait d’appliquer le programme officiel. Ce genre de conflit revient assez souvent, d’après ce qu’on m’a dit.
Mais est-ce que ça rentre ici dans le cadre du multiculturalisme ? La même question peut se poser pour l’islam, puisqu’on l’abordait plus haut. Beaucoup de ces personnes sont canadiennes de naissance. Or, il me semble qu’on associe souvent une pratique rigoureuse d’une religion avec l’immigration. Du coup je me demande si la religion entre dans la catégorie des « cultures différentes » qu’il faut « gérer ».
15 juillet 2009 at 16:24
@Lisa
en fait j’ai tendance à aller un poil vite en besogne dans mes commentaires (en même temps c’est pas simple vu la petite boite mise à notre disposition pour les composer).
Je m’inquiète de l’utilisation des mots culture et religion comme s’ils étaient synonymes. Ils ne sont pas, pour moi, interchangeables :-)
C’était le propos de ma référence à Dazahid (culture française, mais religion musulmane)… ainsi que le sujet de mon « la belle affaire » :-)
Il semble que vous ayez finalement réussi à décrypter mes élucubrations quand vous concluez par ce « Du coup je me demande si la religion entre dans la catégorie des “cultures différentes” qu’il faut “gérer”. »
C’est aussi la question que je me pose. Et si vous relisez le billet de Philarête à la lumière de cette question, nul doutes que d’autre questions vous viendront à l’esprit.
Je ne voulais pas vous agresser avec mon exemple sur les juifs d’europe mais, de fait, je ne pense pas que le prosélytisme (ou son absence) soit le problème (c’était le sens de l’exemple. Y’a difficilement moins prosélyte que les juifs).
@Omicron
Oui, je sais bien ce qu’est le 14 juillet :-)
Je suis moins persuadé qu’il représente encore aujourd’hui l’expression d’un caractère national…
Oui, je dirais que c’est la fête du feu d’artifice et du défilé militaire.
Ca serait rigolo de faire un sondage chez les français pour leur demander ce pour quoi le 14 juillet est férié (j’ai fait le test pour les 8 mai et 11 novembre et les réponses ne sont pas tristes non plus).
Sinon je pense qu’on est d’accord sur le fait qu’un choc des cultures se traduit souvent par un bon gros bain de sang. Et, oui, le cadre démocratique rend le bain de sang plus compliqué à organiser (bien que pas entièrement impossible). En ce qui me concerne j’ai surtout l’impression qu’on conserve l’option bain de sang, mais qu’on essaie de le circonscrire hors du territoire national (sauf éruption terroriste de temps en temps).
Le fait de souvent parler de l’islam n’est pas un problème pour moi. Mais pourquoi l’appeler multi-culturalisme alors ?
sinon, ca n’est pas que je n’ai rien à proposer.
C’est que souvent la question m’intéresse plus que la réponse. Et il me faudra un peu plus de temps pour faire le tour de la question avant même imaginer formuler une réponse.
15 juillet 2009 at 17:04
@ Khazan
« Je ne voulais pas vous agresser avec mon exemple sur les juifs d’europe »
Je ne me suis pas sentie agressée. On peut discuter sur ce blog, c’est pour ça que j’y reviens sans cesse :)
15 juillet 2009 at 23:53
@ Khazan,
le fait de l’acculturation (ou déculturation, je sais jamais lequel) de mes concitoyens excuse leur ignorance mais elle n’ôte pas la volonté de « fédération » qui a présidé à la fixation du 14 Juillet comme date de la Fête Nationale. (Tatatam !)
Pffff ! Voila que je parle comme le vieux c… de service :-) :-) :-)
Redécouvrir le pourquoi de ces dates qui émaillent notre calendrier sont des invitations à dépasser le facteur individuel pour construire une culture commune. (et je vous invite à relire les propos de Phiarête dans son commentaire n°6, 2ème paragraphe).
Et ce n’est là qu’un exemple.
@ Philarête (com n°6),
Vous êtes gentil avec les USA lorsque vous dites que la culture commune qui cimente l’ensemble est celle de l’individualisme démocratique.
Je trouve pour ma part que cet individualisme a une forte odeur de Dollar.
J’attends la deuxième partie de votre diptyque qui doit traiter de la posture républicaine avec impatience, et j’espère qu’elle arrivera avant mon départ.
… Histoire de vous mettre la pression.
16 juillet 2009 at 00:43
@Omicon
Nous sommes d’accord :-)
Finalement c’est rigolo… en sommes nous a parler de multiculturalisme ou de multi-acculturation ?
:-)
Je ne vous parle même pas du 1er Mai :-)
Sans aucun doute une fête du travailler plus pour gagner plus… mais je me moque, c’est mal.
Au bout du compte comment défendre/définir la « culture » – ce mot dont Philarête nous dit qu’il n’est pas exempt de difficultés propres mais qu’on y reviendra (peut être dans le prochain billet, parce que dans celui ci en tout cas, j’ai pas vu) – contre le multiculturalisme qui (forcément) est plusieurs fois plus coriace en terme de difficulté :-)
19 juillet 2009 at 00:01
@ Gwynfrid (en réponse au message n°14… désolée, je débarque en retard) :
L’exemple du Canada que vous donnez fonctionne justement parce que chacun est conscient d’appartenir à la fois à un Etat et à une ethnie/race/origine/ce-que-vous-voulez à peu globalement identifiable.
C’est un peu le même principe que l’appartenance au Royaume de France jusqu’au XVIIIème siècle : tous différents, tous plus ou moins juxtaposés, mais tous soumis à la même autorité unique.
Là où il y a un problème en Europe actuellement, c’est que l’idée de nation n’est pas fondée sur la soumission à une autorité, mais sur l’adhésion à des valeurs communes.
Cette notion, née au XIXème siècle avec les nationalismes concurrentiels qui ont déchiré l’Europe pendant deux siècles, n’est appliquable qu’à des peuples relativement homogènes. D’où l’implosion de la Yougoslavie, par exemple, ou de l’Empire Austro-Hongrie.
Des peuples différents, de cultures différentes, de religions différentes, d’origines différentes, d’histoires différentes, ont nécessairement des valeurs différentes. L’Etat qui les gouverne ne peut donc qu’être réduit aux fonctions régaliennes minimales, et ne peut en aucun cas prétendre définir des « valeurs de référence ».
Cela peut se faire sans trop de difficultés lors de l’union de deux peuples, comme au Canada… mais il n’en va pas de même pour des peuples dont la notion d’appartenance s’est construite sur plusieurs siècles et qui doivent brusquement céder une place à de nouveaux arrivants.
On peut comparer ce problème à celui des ethnies africaines millénaires, brusquement obligées de partager un même territoire et de se fabriquer une « nation » commue quand l’ont décidé les colons européens. Elles ont eu un sentiment d’ « invasion mutuelle », pour les raisons évoquées ci-dessus.
En réalité, l’adhésion à des valeurs communes suppose une certaine homogénéité de la (très grande) majorité de la population. Sinon, il faut opter pour la soumission à une autorité suprême.
Le problème de l’Europe est qu’elle prétend se fonder sur l’une tout en la confondant avec l’autre.
19 juillet 2009 at 00:31
@ Khazan (en réponse au message n°20) :
La question de savoir si la religion doit être considérée comme une « culture différente » dépend pour moi du pays où l’on se trouve et de la religion en question. Je m’explique…
En Angleterre, la religion majoritaire (religion d’Etat soit dit en passant) est la religion anglicane (je choisis l’exemple de l’Angleterre à dessein… on peut reproduire le même discours en changeant de religion à l’Ecosse ou à l’Irlande). Il est inutile de chercher à la rapprocher ou à la différencier de la culture anglaise : les Anglais en sont culturellement imprégnés, qu’ils le veuillent ou non, soit parce qu’ils en font partie (les anglicans), soit parce qu’ils s’y opposent volontairement (les protestants non-conformistes, les catholiques, les athées).
Le catholicisme, le non-conformisme, l’athéisme sont liés à l’anglicanisme en Angleterre, parce qu’ils ont longtemps servi à définir un statut ou une posture sociale parmi les Anglais eux-mêmes.
L’islam, l’hindouisme, le bouddhisme sont au contraire des religions d’immigrés, par définition. Elles ont la même fonction dans leurs pays d’origine que l’anglicanisme, le catholicisme, etc. en Angleterre. Elles ont nécessairement « déteint » sur les immigrants originaires de ces pays, qu’ils le veuillent ou non, et font à ce titre partie intégrante de leur culture.
A ce titre, assimiler ces cultures à leurs religions majoritaires, ou l’inverse, a un sens à l’heure actuelle en Angleterre. Parce que ces cultures/religions sont nouvelles, pas du tout assimilées, et que les Anglais ne sont pas du tout habitués à les voir dans leur paysage.
… De même qu’ils ont eu du mal à se faire aux invasions des Angles, des Jutes, des Romains, des Frisons, des Danois et des autres…
Chacune de ces invasions a provoqué à juste titre un choc culturel, qui a ensuite été absorbé au cours des siècles en se fondant progressivement aux cultures antécédentes.
Une assimilation mutuelle passablement violente, et qui ne s’est pas faite sans mal.
C’est (à mon humble avis) ce qui se produira aussi en Europe au cours des prochains siècles. L’immigration massive des populations du Tiers-Monde, avec dans leurs bagages des cultures et des religions radicalement différente des nôtres, est tout à fait comparable à celle des Vandales en Afrique du Nord, ou des Goths en Europe de l’Ouest.
Nécessairement, il y aura (et il y a déjà, mais ça ne fait que commencer) des affrontements violents entre les peuples qui se trouvent mêlés sur le même territoire, et pour lesquels l’assimilation mutuelle représente en soi une violence intolérable contre leur propre culture.
Puis, le temps aidant, ces peuples s’habitueront les uns aux autres, de génération en génération et de siècle en siècle, et se fondront les uns dans les autres pour fonder d’autres cultures dont nous n’avons aucune idée… comme l’ont fait nos ancêtres (envahisseurs ou envahis) à chaque nouvelle invasion massive.
L’ennui, évidemment, c’est que ces phénomènes se déroulent sur plusieurs siècles, et que notre génération (et les premières suivantes) ne va en voir que le début… qui est tout de même le passage le plus désagréable.
20 juillet 2009 at 18:37
Bonjour Philarête,
Je me perds un peu en vous lisant parce que vous démarrez sur le religieux, en visant des pratiques religieuses qui nous sont étrangères et qui nous dérangent, puis vous passez à l’histoire, puis à la sociologie, tout en vous situant dans un cadre juridique, sans trop insister là dessus.
Au cœur de votre sujet: les représentations de l’identité. J’en connais deux:
– Les systèmes identitaires par appartenance (je suis car j’appartiens à telle catégorie d’êtres humains, comme par exemple je suis juif car j’appartiens au groupe des Juifs, ou je suis noir car j’appartiens au groupe des Noirs)
– Les systèmes identitaires ontologiques (je suis parce que je pense être tel être, que je le veux: je manifeste ma volonté d’être ce que je veux être, ce qui suppose que j’y ai réfléchi, même sommairement)
Les premiers se coulent dans le moule de la tradition obligatoire (ma fille tu te marieras avec un bon Musulman, car telles sont nos traditions et si tu n’est pas d’accord je t’enverrai au bled, que tu le veuilles ou non), les seconds induisent une société contractuelles (si je suis libre d’être ce que je suis, l’autre l’est aussi et notre mode de collaboration est le contrat: ma fille, marie toi avec l’homme de ton choix, mais n’oublie pas que le mariage est un contrat).
En Occident, on est plutôt dans les systèmes identitaires ontologiques. Les populations de culture musulmane d’implantation récente sont plutôt dans l’appartenance, ce qui pourrait laisser croire qu’il y aurait incompatibilité culturelle entre les peuples d’origines différentes.
Mais je dis « plutôt », car en fait cela n’est pas lié à l’extranéité mais à des données sociologiques nationales (l’habitat, le niveau d’éducation, de revenu, etc)que les étrangers ou les naturalisés reproduisent comme les nationaux (exemple typique: le taux de fécondité d’une femme étrangère s’ajuste en une génération au taux du pays d’accueil: si une mère africaine peut facilement avoir plus de 3 enfants, ses filles ajusterons leur fécondité au taux des femmes de leur catégorie sociale lorsqu’elles seront en âge de procréer).
Dès lors une jeune femme de culture musulmane peut très bien se définir comme une femme active et moderne, parce qu’elle a décidé de l’être, plutôt que comme une musulmane d’appartenance, parce qu’elle sera urbaine, éduquée et autonome économiquement, alors qu’un Français pourra très bien se dire « je suis Basque » parce qu’il vit au Pays Basque et qu’il est dans sa période régionaliste à donf (dans sa crise identitaire par appartenance: être en quête d’appartenance à un « terroir »).
Bon nombre de Français dits de « souche » se situent complètement dans l’identité par appartenance, ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement le cas de populations immigrées dont le déracinement culturel favorise aussi une ouverture à la culture du pays d’accueil.
Il n’y a donc pas tant d’incompatibilités que cela. Il y a simplement une possibilité de choisir différents types de représentation identitaire.
En disant cela je ne fais que reprendre votre propre canevas:
« L’erreur du multiculturalisme est donc de refuser l’indispensable hiérarchie des « identités culturelles » au sein d’une société démocratique : au niveau supérieur et intangible doit régner le principe de l’autonomie individuelle ; ce n’est qu’à un niveau subordonné, et dont les limites sont intrinsèquement négociables, que peuvent trouver place des revendications identitaires ».
Là où je diffère sensiblement, c’est que je ne perçois pas cela comme un ordre verticalement hiérarchisé, d’une part, alors que vous oubliez le maillon central: l’Etat, d’autre part.
Si je peux exercer un libre choix dans mes systèmes de représentation identitaire – ontologique ou par appartenance – c’est parce qu’un Etat démocratique me garantit que je peux le faire (essayez d’exercer ce choix dans la France de l’Ancien Régime où on appartenait nécessairement à un des trois ordres).
Je peux même cumuler les identités et me dire par exemple « citoyen du monde », « européen convaincu » ou au contraire « noniste », ou me dire « juif sioniste » ou catholique pratiquant ou supporter du PSG, si ça me chante.
Et je suis libre de les hiérarchiser ou les situer sur un même plan. Par exemple je peux dire que je suis français parce que j’appartiens au groupe humain qui se dit français, et mon passeport en fait la preuve comme mon acte de naissance, mais je peux aussi le dire parce que je me pense comme un Français, sans pour autant me sentir en position de conflit interne: je suis autant français parce que je suis né français que parce que je le suis devenu par l’effet qu’a produit sur mon esprit l’éducation que j’ai reçue.
L’important est qu’il existe cette structure en tripode: dualité de systèmes identitaires (ontologique et par appartenance) + Etat démocratique qui garantit la liberté de choix.
Si vous avez ces trois éléments, la société multiculturelle est un atout. Si vous ne les avez pas, les conflits entre individus augmentent en intensité, ils se regroupent donc en communautés qui deviennent rivales, puis ennemies et un jour, c’est la guerre civile comme au Liban.
Ce qui me rend perplexe dans votre post est qu’à partir du même système d’analyse (distinguer l’autonomie individuelle de l’appartenance identitaire) est que nous parvenions à des conclusions diamétralement opposées.
Vous voyez la société multiculturelle comme une nouveauté dans l’histoire de l’humanité, mais vouée d’avance à l’échec en raison de vices intrinsèques.
Moi je la vois comme pré existant à tout (toute société l’est plus ou moins, en raison du brassage des peuples depuis la nuit des temps) mais soumise à des conditions pour produire un résultat positif, ou non.
La question que je me pose est de savoir pourquoi vous croyez que les carottes sont cuites?
La France ne se vit comme une société multiculturelle consciemment assumée que depuis moins d’une génération, et encore!
C’est un peu jeune comme retour d’expérience pour planter les clous dans le cercueil, non?
21 juillet 2009 at 10:20
@ Tous
Vous comprendrez, j’espère, en lisant tous ces commentaires (et ceux du billet suivant) pourquoi il me faut un peu de temps pour rédiger la suite! Ce que vous dites est passionnant et instructif, et j’aimerais pouvoir «digérer» tout cela avant de poursuivre… Merci de votre patience, et surtout de vos contributions.
22 juillet 2009 at 18:58
Bon, bon.
Mais alors vite parce que moi je pars en vacances bientôt (chuis allergique au mot « patience » faut pas m’en vouloir).
16 septembre 2009 at 18:19
C’est-à-dire que là nous sommes mi-septembre et nous attendons toujours la suite…
16 septembre 2009 at 18:22
Ça fait du bien de constater qu’il y en a qui ne perdent pas le fil!
Promis, j’y pense. La rentrée est un peu surchargée, quand même… mais bon, si vous insistez…
17 septembre 2009 at 04:00
@ Philarête : Oui, oui, j’insiste moi aussi. Bien que la rentrée soit chargée ici aussi, je n’ai pas eu le temps de commenter vos billets récents.
@ Ancilla Domini (en réponse au message n°24… désolé, je suis bien plus en retard que vous, ayant complètement raté votre réponse) :
Je crois que vous faites erreur sur plusieurs points factuels.
1) La cohésion du Canada n’est absolument pas fondée sur la soumission à une autorité du type XVIIIe siècle, bien au contraire. L’État canadien est beaucoup plus faible que l’État français: d’abord, c’est un État fédéral où les provinces ont des pouvoirs considérables. Et surtout, l’État n’est pas, dans la culture politique canadienne, considéré comme un acteur instrinsèquement placé au-dessus des autres. Il est en général l’objet de moins d’attachement et de plus de méfiance, si on le compare aux provinces, aux grandes communautés ethniques, culturelles ou religieuses, et même aux grandes entreprises.
2) L’idée de nation canadienne est, précisément, fondée sur l’adhésion à des valeurs communes. Il ne pourrait en être autrement, vu l’histoire du pays, constitué d’immigrants aux cultures très différentes, principalement rassemblés par le souhait d’échapper à une autorité oppressive et/ou à une situation économique insupportable. Bien sûr, le socle de valeurs communes est, dans ces conditions, minimal. Il inclut entre autres le respect de la différence et une déférence à l’égard de la loi qui, sans être totale, est bien plus grande qu’en France. Sans ces deux piliers, le système se serait écroulé depuis longtemps. Dans les années 70, on a officiellement ajouté le multiculturalisme à la liste des valeurs nationales, en cohérence avec une politique visant à favoriser explicitement l’immigration (oui, vous avez bien lu) pour aider au développement du pays et pallier le déficit démographique.
Cela dit, je répète la remarque de précaution déjà faite plus haut: ce système n’est pas parfait, loin s’en faut. Il n’en reste pas moins un excellent contre-exemple aux théories suivant lesquelles le multiculturalisme est, par construction, voué à l’échec .