C’est un sujet récurrent de polémique, en même temps qu’un enjeu majeur de réflexion : Internet est-il un atout ou un danger pour la démocratie ? Pour les plus enthousiastes, Internet est en train de révolutionner les pratiques démocratiques, et l’on salue déjà l’avènement, imminent dit-on, de la « démocratie numérique », qui serait caractérisée par une forme inouïe de « participation citoyenne ». Cette participation, qui prend parfois la forme d’un contrôle accru des faits et gestes des responsables politiques, suscite chez ceux qui s’en estiment victimes des réactions parfois irritées, dont on a eu récemment des exemples. Plus largement, cependant, des voix s’élèvent pour dénoncer les « dérives » de l’Internet, ou les risques qu’il fait courir aux pratiques démocratiques.
Il va de soi que je ne dispose d’aucune compétence particulière, d’aucune « expertise », comme on dit aujourd’hui, pour prétendre apporter ma pierre à cette réflexion nécessaire. Facilement ébloui par l’inventivité et la subtilité des actuels « penseurs de l’Internet », je mesure au contraire l’étendue de mon ignorance. Elle explique largement, je crois, la tonalité quelque peu sceptique des considérations qui vont suivre. C’est peut-être une question de génération, ou de tempérament : il m’est difficile de croire sérieusement aux promesses d’avènement d’un monde nouveau. On nous a fait le coup trop souvent, en Occident.
En outre, je pense volontiers qu’en matière de politique, il est très ardu d’inventer quelque chose de vraiment nouveau. Avec les Grecs dans une main (oui, il faut une très grande main), et dans l’autre les classiques depuis Rousseau jusqu’à Tocqueville (une deuxième grande main – de toutes façons c’est plus esthétique que d’en avoir une seule), j’ai l’impression que l’on est assez équipé pour se poser au moins les questions fondamentales ; et je suis même assez régulièrement surpris de constater que, sous des noms différents, nous croyons souvent découvrir des formes et des pratiques déjà passablement balisées. Cela vaut pour l’Internet dans son rapport à la démocratie.
On comprendrait d’ailleurs difficilement l’enthousiasme parfois délirant de certains, si la technologie numérique ne venait pas remplir une visée, une attente présente depuis longtemps dans notre monde intellectuel. Bien entendu, cette attente, on déjà cru à plusieurs reprises qu’elle serait exaucée par les nouveautés du moment. C’est un trait constant de notre histoire : le progrès technique nous semble fait pour rendre enfin possibles les rêves qui nous hantent, et nous sommes trop souvent étonnés qu’au lieu du miracle attendu se produisent des catastrophes ou des ratages plus ou moins spectaculaires. Tant est rude à nos yeux la leçon pourtant limpide de ces auteurs que je tâche de garder en main, ou du moins sous la main, savoir que la démocratie se fait, ou se défait, dans l’âme des citoyens, non dans les structures et les artefacts.
Je crois prudent de commencer en faisant quelques concessions à l’empirie. Les grandes envolées abstraites viendront plus tard, une fois le terrain arpenté les yeux rivés au sol. De nombreuses études, et l’expérience d’un chacun depuis maintenant dix ou quinze ans, renseignent assez bien sur ce qu’apporte déjà Internet à la vie démocratique. On peut évoquer pêle-mêle – la sécheresse de l’énumération ne vaut pas mépris de ma part, mais conscience de la banalité du propos – l’accès prodigieux à l’information, à la fois sous sa forme professionnelle et sous celle des contributions spontanées d’experts en tel ou tel domaine ; les nouvelles formes de débats et d’interventions rendues possibles par le web 2.0 ; la puissance de mobilisation de l’Internet, par exemple lors des campagnes électorales ; la facilité d’expression qu’il donne à la société civile, notamment dans les États les moins démocratiques. Ce serait le lieu pour moi d’évoquer aussi les joies et bienfaits que me procure la tenue de ce blog. Même si leur impact net sur la vie intellectuelle et politique du pays est assurément nul, j’aurais mauvaise grâce de nier que nos échanges enrichissent substantiellement mon expérience civique. J’y reviendrai un peu plus tard, car cette expérience me suggère quelques remarques sur la nature du débat en général.
Cette floraison de nouvelles pratiques, ou la dimension inédite que l’Internet confère à des pratiques anciennes, explique assez la ferveur qui l’entoure. D’autres constats, non moins nécessaires ni bien connus, viennent pourtant équilibrer le bilan. Des travaux récents, portant sur la campagne présidentielle américaine, tendent à montrer que si l’information en ligne est quantitativement très diversifiée, la consultation réelle des sites reste très concentrée : les pages des grands média – CNN notamment – recueillent la grande majorité des visites. Le phénomène est renforcé par le système des liens, qui pointent vers les mêmes sites de référence, et renvoient donc les internautes de la « périphérie » de la Toile vers son centre.
Dans les débats en ligne, si caractéristiques de l’activité politique sur l’Internet, les effets communautaristes, l’agressivité que rend possible l’anonymat, la tendance à l’expression non argumentée des préférences et des dégoûts, sont des phénomènes trop connus pour que j’y insiste. Je me demande néanmoins si l’évolution qui va du site web au blog, et du blog à twitter, n’indique pas une tendance assez inquiétante vers le degré zéro de l’articulation des idées. Comme les supports de l’activité en ligne deviennent de plus en plus individuels et portatifs – de l’ordinateur de bureau au portable, et du portable à l’i-phone, on peut imaginer qu’un jour prochain, chacun pourra réagir aux événements du jour en appuyant sur la touche « beurk » ou « youpi » de son téléphone, et il se trouvera forcément des gens pour s’extasier devant cette prise de température en temps réel de ce qu’on osera encore appeler « l’opinion ». Le pire n’est pas toujours sûr mais, comme disent les pessimistes qui ont souvent raison, il est quand même le plus probable.
Un article paru dans la revue Dissent me semble apporter des éléments empiriques plus directement pertinents. L’auteur soutient avec de bons arguments que l’Internet pourrait bien, du point de vue politique, se révéler être un jeu à somme nulle.
Il donne une audience inespérée aux militants des droits civiques de par le monde ; mais il donne une audience non moins inespérée aux groupes nationalistes russes ou aux fondamentalistes de toute obédience – avec des effets souvent très visibles, par exemple sur les résultats d’élection.
Internet est un magnifique instrument de diffusion du savoir. Il est aussi un vecteur incontrôlable de la pseudo-science. J’ai reçu récemment un mail (d’un ami, je l’avoue) m’invitant à consulter une page web « très intéressante » prétendant démontrer que la grippe A est une invention du lobby pharmaceutique (désireux, si j’ai bien compris, d’écouler des stocks énormes de vaccins avariés ou inefficaces), avec le soutien conscient et complaisant des gouvernements (je n’ai pas été assez loin dans ma lecture pour saisir leur motivation – mais je suppose qu’on peut les soupçonner de vouloir détourner l’attention de la menace islamiste ou de l’enlisement de l’intervention en Afghanistan, ou de rendre la monnaie de leur pièce aux lobbies qui ont permis leur élection, ou de programmer l’instauration d’un régime policier, ou l’extermination des immigrés, etc.). Dans un ordre d’idées voisin, un lecteur a signalé qu’un sondage informel auprès de ses étudiants avait montré une incrédulité généralisée face à la « version officielle » (sic dicta) des attentats du 11-septembre, et Slate.fr s’interroge sur l’adhésion des pipaules à ces pipeautages complotistes. Il y a tout de même là de quoi s’inquiéter un peu.
Internet donne aux usagers et aux consommateurs le moyen d’exercer leur vigilance sur les agissements des entreprises ou des institutions. Formidable : l’union fait la force, et certaines pratiques méritent en effet d’être dénoncées. Une campagne de courrier électronique, déclenchée à partir d’un blog de consommateurs, produit facilement un effet qu’une lettre isolée n’atteint jamais, même en rêve. D’un autre côté, pourtant, ce sont les groupes industriels ou commerciaux qui se dotent à leur tour, grâce à l’Internet, de moyens tout aussi efficaces de contrôler les informations disponibles les concernant : cela s’appelle, d’un euphémisme caractéristique, « l’optimisation de moteur de recherche » (Search Engine Optimization, SEO en novlangue). On ne regrette pas d’aller faire un tour sur la page de ComplaintRemover.com : l’entreprise propose de nettoyer le web des « informations négatives » et de reléguer les « mauvais liens » hors de la vue du curieux. D’une certaine façon, il est plus facile d’avoir affaire « seulement » à Google qu’à une meute de journalistes incontrôlables. Si toutes les informations passent, avant d’accéder aux internautes, par le même tuyau, peu importe qu’une infinité potentielle de sources alimentent le tuyau : il suffit de boucher l’autre bout. Bien entendu, ces technologies servent également aux États, dans les intentions les plus louables mais parfois aussi, je suppose, les plus détestables.
Enfin, dans les régimes autoritaires notamment, où l’Internet ouvre assurément de nouveaux espaces de libre expression, l’anonymat qui rend celle-ci largement possible permet aussi la manipulation du débat par des intervenants à la solde du régime en place. Il est très facile de s’imposer dans un débat en ligne, et si possible à plusieurs pour tenir des rôles différents, et de prendre le contrôle d’une discussion, ou d’en infléchir subtilement le fil, ou de la faire pourrir si elle devient trop gênante. En France même, durant la dernière campagne présidentielle, les forums de tel ou tel parti étaient régulièrement « infiltrés » par des militants du camp adverse jouant le rôle du déçu, du perplexe, de l’égaré, répondant même parfois à des objections avancées en ligne par d’autres « taupes » impliquées dans la manœuvre. Ce sont des rôles beaucoup plus difficiles à tenir durant des meetings réels, où le risque d’être reconnu ou de se faire casser la figure est assez dissuasif. Sans compter le fait que les effectifs réunis sous un chapiteau en campagne électorale méritent rarement qu’on dépense beaucoup d’énergie pour aller y jouer les agents provocateurs.
Ces quelques données de base, forcément incomplètes, peut-être sélectionnées par moi de façon discutable, présentent au moins l’intérêt de ne pas engager une conception particulière de la démocratie, de ne pas faire jouer des croyances très spécifiques. Elles me semblent utiles à conserver à l’esprit avant de se pencher sur les critiques ou les espoirs plus théoriques – je ne dis pas plus irréels – que suscite Internet. Il m’a souvent semblé, par exemple, que l’idéal d’une « démocratie participative » s’épanouissant dans la nouvelle agora numérique se heurtait aux objections que l’on peut opposer à la notion même de démocratie participative dont un Habermas est en quelque façon le prophète. À l’opposé, le point de vue récemment développé par Jean-François Copé relève d’une version finalement très classique du libéralisme, celle qui peut se réclamer de Hobbes. Ce sont ces argumentations, dans lequel Internet vient remplir une visée théorique préexistante, qui me semblent les plus dignes d’intérêt. Elles seront par conséquent – des promesses, toujours des promesses ! – l’objet des prochains billets.
2 octobre 2009 at 16:08
Bonjour Philarête,
« Tant est rude à nos yeux la leçon pourtant limpide de ces auteurs que je tâche de garder en main, ou du moins sous la main, savoir que la démocratie se fait, ou se défait, dans l’âme des citoyens, non dans les structures et les artefacts »
Eh bien voyez vous, je pense être d’une opinion opposée (chuis dans une période « non-non » faut dire).
Je pense qu’en fait ce qui fait évoluer les mentalités ce ne sont pas les grandes idées, mais des données d’ordre matériel et notamment le progrès technique.
La démocratie est intimement liée à la ville, à la télé, la radio, le vote même (qui comporte un aspect technique primordial, cf l’élection Bush très controversée).
Bref, les structures et les artefacts sont des moteurs de la pensée des « masses ».
Les grandes idées ont un rôle à jouer, mais elle ne sont pas le vecteur, elles sont le contenu.
Les ratages, que vous semblez attribuer à la technique, sont peut être les ratages des grandes idées.
2 octobre 2009 at 18:06
J’applaudis des deux mains, illustrant par la même un travers du web, son communautarisme. Je suis ici parce que je partage les idées de l’auteur et c’est donc sans surprise que je découvre que nous sommes d’accord !Wolton dans « Informer n’est pas communiquer » sur lequel je prépare un billet, développe une idée assez intéressante. Pour lui, information et communication ont été liées jusqu’à l’arrivée d’Internet et ont accompagné les progrès de la démocratie. Mais avec Internet et l’idéologie technique, on a assisté pour la première fois à une séparation des deux, autrement dit, l’information (au sens large et non strictement journalistique) circule à une vitesse folle, se diffuse de manière phénoménale, nous envahit, sans que pour autant on constate une meilleure communication avec les autres. Bien au contraire, il aperçoit deux risque de dérives, l’individualisme et le comunautarisme qui remettent en cause la démocratie, c’est-à-dire pour lui la capacité à cohabiter. J’espère ne pas trop trahir sa pensée en la résumant sans doute de façon fort maladroite. S’il fallait retenir une idée-force, toute simple, c’est que le progrès technologique n’est pas synonyme de progrès dans notre rapport aux autres.
2 octobre 2009 at 21:26
Eh bien, j’aurais tendance à rejoindre tschok, dont je prolongerai le commentaire par les quelques réflexions suivantes.
L’idée selon laquelle la démocratie nait dans l’âme des hommes est une belle idée, mais à laquelle – en toute sincérité – j’ai du mal à croire.
Parce que je ne crois pas que la démocratie soit naturelle. Je crois qu’elle est construite – et toujours à (re)construire – et toujours en construction.
La démocratie vit dans une « architecture », elle vit dans un « environnement ». Elle a besoin pour résister à l’usure et au mille dégradations que nous lui infligeons quotidiennement, d’une écologie qui lui soit propice.
Et cette écologie est structurée par les techniques, artefacts, protocoles de communication, objets divers et variés.
Si je reprends la définition de la politique, déjà citée sur votre blog : « la politique consiste à rendre possible ce qui est souhaitable », il me semble que cette formulation fait très justement ressortir cette double idée.
La démocratie, c’est ce qui est souhaitable.
La question, c’est : comment la rendre possible ?
Quel environnement lui sera propice ?
C’est une question éminemment concrète et pratique. Cela fait maintenant quelque huit années que l’armée et l’administration américaine pâtissent de ne pas se l’être posée avec suffisamment d’intelligence (à moins qu’il n’y ait simplement fort mal répondu, ce qui n’est pas à exclure).
Tout le monde connaît cette petite parabole chinoise, dans laquelle un paysan, pour faire pousser ses plantes plus vite, va tirer dessus toutes les nuits, et finit par les faire toutes mourir.
Il en va de même, sûrement, pour la démocratie.
Toute la difficulté consiste à l’entourer d’un environnement propice à sa survie, voire à son développement.
Et donc la grande question qui se pose, en la matière, c’est toujours la question suivante : « comment faire ? »
C’est une question technique. Et la réponse le sera probablement tout autant.
Quel sera l’équivalent technique de la bêche, la charrue, l’arrosoir, la binette, le râteau ?
Un exemple de technique qui me semble être de toute première nécessité, et qui n’est pas sans lien avec internet, c’est l’écriture. Elle permet de figer les questions, de les « fixer » le temps nécessaire pour que nous nous les partagions, de les rendre publiques, lisibles, et – littéralement – « discutables ».
Ensuite, la deuxième génération de l’écriture, l’écriture 2.0, c’est l’imprimerie.
Écriture de même nature, mais démultipliée.
L’imprimerie n’est jamais qu’une solution technique. Mais avec elle naissent les maisons d’édition et les journaux. Les livres, la presse. Je suppose n’avoir besoin d’expliquer à personne ici en quoi ces artefacts sont utiles – et probablement indispensables – à faire vivre une démocratie, à faire exister un espace commun.
Internet, c’est la troisième génération d’écriture, l’écriture 3.0.
Ce qui me semble, pour ma part, novateur dans cette technique (mais ce n’est qu’une sorte d’intuition irraisonnée), c’est l’hypertexte.
La première génération d’écriture a permis d’arrêter le temps en fixant la parole.
La seconde génération d’écriture a permis d’en organiser la diffusion et l’apprentissage, d’en organiser la mise en commun – c’est-à-dire la transformation en « chose publique ».
La troisième génération d’écriture me semble permettre sa propre ré-organisation, non plus par strate, par catégorie, en un mot, par « empilement » – mais par « croisement ».
Tout se passe comme si chaque mot de chaque texte numérisé pouvait entrer en contact avec tous les autres mots de tous les autres textes numérisés.
Je suis tentée, dans le fond, de parler de la technique de l’hypertexte comme d’une technique de « pistage des idées ».
J’ignore quel effet cela aura sur la démocratie, c’est-à-dire sur la façon dont le « démos » sera susceptible de « crater » dans un avenir proche, mais j’imagine mal que cela n’en ait aucun.
3 octobre 2009 at 11:19
Au fond, le seul apport de cet outil réside dans sa capacité à accélérer, multiplier et démultiplier.
Accélérer et multiplier quoi ?
L’avenir le dira : information, communication, émotion, communautarisme, nouveau totalitarisme, virtualité, pensée, etc
C’est un outil qui n’invente rien, qui n’innove en rien, qui n’éloigne pas plus qu’il ne rapproche les gens, c’est pourquoi d’ailleurs, à partir d’aujourd’hui, je ne mettrai plus de majuscule à l’internet.
Mettons-nous une majuscule à charrue, grue ou avion même si ce dernier est à réaction ?
Et les vérités que vous tenez dans vos deux mains, Philarête, auxquelles j’ajoute celles révélées par le peuple hébreux pour dépasser le simple registre politique, nous disent depuis longtemps : Interroge ton âme, interroge ton coeur, c’est là que se trouvent les clés du bonheur (… démocratique).
Et l’extrait de Wolton repris sur le site Laplumed’Aliocha ajoute : Interroge ton anthropologie.
Parce que Wolton, peut-être sans le savoir (mais je ne connais ce qu’il dit qu’à travers ce simple extrait), replace l’apparition de cet outil dans un contexte plus général qui nous bouscule.
Et c’est ce contexte général qui, personnellement, me questionne plus et peut avoir des incidences sur l’usage de l’internet.
Ne pas confondre l’outil et l’ouvrier.
Classique.
3 octobre 2009 at 11:23
@ Tschok
Ce qui est merveilleux, du moins, c’est que notre point de divergence apparaît tout de suite!
Ce serait un débat trop vaste pour l’argumenter dans ce petit commentaire, mais je crois en effet que les idées précèdent les techniques, qu’elles les rendent possibles et, surtout, font que telle innovation, survenant à tel moment, trouve parfois un terrain préparé, et parfois au contraire demeure stérile parce qu’elle ne répond à rien dans l’univers mental du temps. Je crois qu’on pourrait trouver de nombreux exemples de ce phénomène, et cela pourrait fournir le sujet d’un billet.
Cela dit, je ne veux pas minimiser le rôle des techniques dans les changements sociaux même les plus profonds. On n’imagine pas la naissance de la «civilisation industrielle» sans l’invention du machinisme, la possibilité de produire à grande échelle, etc. Mais là encore, il a fallu encore que ces inventions — la machine à vapeur, par exemple — rencontrent un état d’esprit préparé, une disposition à les utiliser. On peut sans peine imaginer que, dans d’autres sociétés, de telles machines soient regardées immédiatement avec horreur. C’est d’ailleurs ainsi que certains, au XIXe siècle, on vu les machines et les premières usines: comme des dark satanic mills, comme disait William Blake.
Il est clair en tous cas que notre désaccord sur ce point est fondamental — c’est ce qui rend le thème intéressant…
@ Fantômette
Je ne crois pas avoir dit que la démocratie «naissait» dans l’âme des citoyens, mais qu’elle s’y faisait ou défaisait. Pour moi, c’est la leçon des « classiques », mais aussi celle des grands opposants aux régimes totalitaires — ceux pour qui la lecture des livres, le goût de la vie de l’esprit, le sens intime de la liberté, la transmission de la culture, sont les premiers actes de résistance.
Le problème des techniques, des artefacts, c’est pour moi leur foncière ambivalence: tout instrument qui libère peut servir à opprimer. C’est sa nature même qui veut ça. La presse, la radio, la tv, ça peut servir à éduquer, à relier les hommes entre eux; mais ça peut servir aussi à fanatiser, à décérébrer, à délier. Tout dépend de ceux qui s’en servent — de ce qu’il y a « au fond de leur âme ».
Et je dirais la même chose de toutes les techniques d’organisation de la vie sociale, y compris le droit. Après tout, il y avait un droit, en URSS…
L’exemple des fleurs qu’on veut faire pousser en tirant dessus, il a été repris de façon magnifique par Vaclav Havel, dans son discours de réception à l’Académie des sciences morales, il y a quelques années. On peut le lire ici: http://www.asmp.fr/travaux/associes_installation/havel_vaclav_1992.htm#d
Il n’est pas sans rapport avec notre discussion (enfin, je crois: je n’ai pas pris le temps de le relire…)
3 octobre 2009 at 16:08
Il y a un domaine d’étude qui, je crois, réconcilie vos points de vue (dans une certaine mesure, allant quand même plus dans le sens de Tschok et Fantômette, c’est celui de la médiologie (terme forgé par Régis Debray). Il s’agit de « l’étude du système des contraintes matérielles et des guidages techniques grâce auxquels circule un message (qui n’est pas nécessairement d’information) » (définition tirée de Sciences de l’information et de la communication de Daniel Bougnoux, coll. « Textes essentiels », Larousse, 1993 – la substance de ce commentaire ainsi que les prochaines citations non attribuées viennent de son introduction au chapitre VI, intitulé Ouvertures médiologiques : le paradigme).
Vous ne pouvez pas écartez, Philarête, l’influence propre des techniques en disant qu’il a fallu un terrain propice pour leur apparition : certes, l’invention de la machine à vapeur à dû, pour s’imposer, rencontrer – je vous cite – « un état d’esprit préparé, une disposition à [l’]utiliser », mais cela n’enlève en rien l’influence de cette machine à vapeur sur l’état d’esprit de ceux qui l’utilisent. Je ne parle pas de ce que la machine à vapeur a apporté en termes de production de masse et de rapidité des transports entre autres, mais bien de la modification d’un état d’esprit chez ses utilisateurs. Ou, plus savamment dit, « Une innovation ne prend que si elle rencontre un milieu porteur : la logique technique apporte une potentialité, mais ce sont les logiques sociales qui l’actualisent« .
C’était l’objet d’un bout de discussion que nous avons eu récemment avec Fantômette.
Un bon médium, dit D. Bougnoux, est celui qui travaille à se faire oublier. Puis plus loin : « Nous oublions ce que nous devons à nos appareillages dans la mesure où nous pensons avec eux ». Et c’est un peu ce que vous faites : après tout, un des premiers progrès techniques dans le domaine de la pensée est l’apparition de l’écriture (la 1.0) : elle fut d’abord un outil technique pour faciliter le commerce. Et pourtant, sans elle point de développement de la pensée philosophique, non ? Et Socrate ? me direz-vous (si, si, j’ai bien senti que vous alliez me le dire). Mais sans Platon et ses autres disciples, que connaîtrions-nous de lui (hein, dites) ?
Vous faites vous-même référence à la tenue de ce blog, mais sans cet outil et ce qu’il permet de retour (feed-back disent savamment les savants) sur vos réflexions, prendraient-elle le même tour ?
Pour aller dans le sens de Tschok, à savoir que « ce qui fait évoluer les mentalités ce ne sont pas les grandes idées, mais des données d’ordre matériel et notamment le progrès technique », je ne crois pas qu’on puisse dire que les idées précèdent la technique tant celle-ci est le moteur nécessaire (même si non suffisant) de celle-là : « En bref, la lumière de l’esprit n’est pas naturelle mais toujours technique, le bons sens ne devient « la chose la mieux partagée du monde » (…) que par la contrainte et le quasi-dressage de dispositifs très matériels, voire triviaux, que nous nous empressons d’oublier une fois que nous les avons intériorisés. »
Donc s’il ne faut pas confondre, comme le dit Omicron, l’outil et l’ouvrier, il ne faut pas non plus les opposer, vu que l’outil agit à la fois sur le monde et sur celui qui s’en sert.
Pour conclure, Bougnoux montre que l’apparition d’une technique nouvelle ne remplace pas ses précédentes, non plus qu’elle s’y ajoute, mais elle les reclasse et en modifie l’environnement, l’écologie. Donc elle ne promet pas forcément un monde nouveau, mais une réorganisation, une modification du monde tel qu’il existait.
« Une NTIC ne ferait table rase des techniques précédentes que si la relation de l’outil à l’usage était linéaire ou causale. Nous avons vu au contraire qu’elle était éco-logique, soumise à traduction et adaptation (…). La technique propose, les usagers disposent ou composent. De son côté, Serge Proulx a souligné dans ses études d’histoire de la technologie qu’il serait faux de penser l’utilisation d’une innovation technique en termes d’impact ; son introduction est plutôt l’occasion d’une métamorphose et d’interprétations, où l’on peut voir une double articulation : à la logique des outils s’ajoute la logique des usagers qui modifient celle-ci en retour. »
Voir aussi ici pour une vision particulière de l’Internet.
P.S. : @Omicron, si l’on met une majuscule à Internet, c’est pour distinguer le World Wide Web, l’internet le plus courant, des autres internets existant.
3 octobre 2009 at 17:12
Voici un billet extrêmement intéressant, qui fera naître d’inombrables discussions. La preuve : à chaque nouvelle phrase lue une nouvelle réflexion me venait, si bien que je suis incapable d’en retenir une vision d’ensemble… Il faudra que je le relise.
Tout de même, je sais m’être fait la réflexion exactement inverse de la remarque d’Aliocha : le « communautarisme » est une sorte de garantie de qualité.
Qu’entends-je par là ?
Qu’au fil des jours et des semaines, je choisis diverses sources d’informations et de réflexions que je rajoute dans mon agrégateur RSS (ou dans mes favoris) parce que je les juge pertinentes.
Ces sources traiteront de sujets qui me deviendront familiers, et sur lesquels je serai de plus en plus apte à juger des compétences de l’auteur.
Vient un sujet d’actualité sur lequel aucune de mes sources habituelles n’est compétente : je vais me rabattre sur un moteur de recherche, et tomber sur des textes dont les auteurs et leur sérieux, leurs opinions, leurs orientations fondamentales, me seront complètement inconnues : prenez un commentaire de Tschok au hasard dans les nombreux laissés par lui sur ce blog, je pense qu’il pourrait penser tout et son contraire (notamment parce qu’il aime l’ironie, voire le sarcasme, et l’antiphrase).
Si bien que j’en suis venu à trouver que seules les sites qui s’inscrivaient dans un réseau de sites, que je fréquentais régulièrement, pouvait m’apporter une information et une analyse, non pas fiable, mais sur laquelle je pouvais avoir du recul et un regard critique.
4 octobre 2009 at 14:47
@Tschok (et Philarète)
« Les ratages, que vous semblez attribuer à la technique, sont peut-être les ratages des grandes idées »…
C’est amusant, vous professez un point de vue diamétralement opposé à celui de Philarète. Et à raison, puisque vous postulez, si j’ai bien lu, le rôle premier de la technique. Pourtant votre phrase de conclusion me paraît aller en sens inverse. Dire que les ratages sont ceux des grandes idées, non de la technique, n’est-ce pas avouer que la technique, en elle-même, n’est pas porteuse de réussite ou de ratage ? Et que l’important se joue ailleurs (et en l’occurrence, j’aurais tendance à penser, comme Philarète, qu’il se joue dans les esprits, là où se font les choix, non dans les objets, qui sont neutres, même dans leur ingéniosité technique).
Mais peut-être vous ai-je mal compris, ou vous ai-je compris dans le sens où j’avais envie de vous comprendre…
Quant à moi j’aurais tendance à cantonner le progrès technique à un rôle quantitatif. Internet démultiplie le bon sens et l’imposture, les enthousiasmes et les lynchages. La presse l’avait fait avant lui. Il fait simplement plus, plus vite, beaucoup plus vite. Il démultiplie la démultiplication. Ce faisant, il change certainement la (sur)face du monde, en la rétrécissant prodigieusement, notamment, mais il ne rend nul homme plus vertueux ni plus vicieux, ni plus ni moins démocrate. Mes multizaïeux, dès qu’ils ont su parler, ont palabré avec leurs voisins. Mes grands parents lisaient des journaux et débattaient par correspondance. Je lis des blogs et des news sur le web et je poste des commentaires. Je vois mal la différence.
4 octobre 2009 at 15:59
Bonjour,
Le Web devenant indéniablement un moyen technique de se manifester (je n’ai pas dit communiquer), il apparaît à la fois comme une possibilité offerte de « démocratie directe » mais également comme une facilité offerte pour un meilleur contrôle par ceux qui en détiennent les arcanes.
La démocratie directe, impossible dans nos civilisations peuplées, pourrait prendre un nouvel essor dans le monde numérique. Hélas, de trop nombreux sites, et surtout ceux de grande audience, permettent l’épanchement nauséeux de commentaires atrophiés sur tous les sujets sans jamais (ou rarement) dépasser l’esquisse d’une idée. La réaction est instantanée, et incontrôlable. De surcroît, de manière assez « naturelle », celui qui s’oppose à l’establishment a toujours raison (cf ce qu’écrit Philarête sur les thèses complotistes). Un des derniers en date : le crash des rafales est du aux américains qui veulent nous rafler le contrat au Brésil… D’ailleurs il suffit de présenter des arguments avisés pour se voir accuser de soutenir les lobbies de tous poils !!
Sur internet la raison est secondaire. Seule l’expression reptilienne compte !
Alors, cela encourage-t-il, facilite-t-il la démocratie ? De mon point de vue, assurément non. En aucune façon.
L’accessibilité à l’information, souvent de bien piètre qualité, sans analyse ou valeur ajoutée par des journalistes qu’on presse pour être les premiers à publier, ne favorise pas la réflexion. Ce mode d’échange pollue au contraire le débat d’idées d’où doit nécessairement naître la démocratie. Et trouver une information pertinente alors que le cancer de Johnny fait la Une à côté de la bombe iranienne, que la crise mondiale côtoie l’ouverture du site de Mme Bruni…
D’ailleurs, l’information fait un bruit caractéristique de nos jours… Elle fait buzz !!
De l’autre côté de la balance, le technicien du domaine que je suis concède qu’il est facile de contrôler un grand nombre de facteurs de « distribution de l’information » sur le Net. La guerre de l’information n’est pas qu’un concept et les campagnes de dénigrement, de diffamation, d’infiltration, de contre-information… sont légion et des grands groupes y ont recours ou en ont été victimes (un seul exemple fort connu du public: les définitions de Wikipédia !)
Internet a permis la résurgence de manière démultipliée du dicton ‘il n’y a pas de fumée sans feu’.
Donc, contrôle possible de l’information accessible directement et en temps réel aux masses. Et consommateurs (j’ai un peu de mal avec citoyens ici) dont la préoccupation n’est pas de participer mais de tenir un journal intime « multisite » où ils peuvent pleurer à chaudes larmes sur le sort des Philippins ici, s’émouvoir de la mort du chanteur de je-ne-sais-plus-quel-groupe ailleurs… et surtout aller vérifier ultérieurement si d’autres intervenants apprécient leur épanchement. Quel cocktail !!!
Il est vrai que je suis pessimiste et de surcroît cynique. Mais l’avènement d’Internet, en surtout depuis l’Internet « participatif », a modifié la donne de l’accès à l’information par son instantanéité qui fait appel à un seul ressort : l’émotion. Et je rejoins Marcel Gauchet dénonçant « le postulat traditionnel de la curiosité, de la soif de connaissance ne semble plus valide ».
Tout le monde craint l’avènement de Big Brother dans notre société. Mais je pense qu’il existe un danger immédiat bien plus grand pour la démocratie, incarné en partie par Internet et que Neil Postman a raison: « Orwell craignait ceux qui nous priveraient de l’information. Huxley redoutait qu’on ne nous en abreuve au point que nous en soyons réduits à la passivité et à l’égoïsme » (in Se distraire à en mourir)
Cordialement,
4 octobre 2009 at 19:21
LU.
4 octobre 2009 at 22:40
à Tschok et Philarète,
Tiens vous nous refaites le vieux débat autour du matérialisme historique? Est-ce la technique qui en dernier ressort conditionne l’évolution des mentalités, ou bien est-ce la création de grandes idées par des penseurs géniaux?
Et si c’était les deux?
Un bon texte là-dessus: la parabole du semeur (Mt 13, 3): pour qu’un message soit reçu dans une société (comme pour le coeur de l’individu), il faut qu’elle trouve un terrain qui lui soit favorable: le blé ne germera pas au bord du chemin, il ne durera pas longtemps sur un terrain pierreux, il sera vite étouffé dans les buissons, ou il croîtra et fructifiera dans la bonne terre.
La terre n’est que la cause matérielle (pour parler comme Aristote) de la pousse du blé, la nature propre du grain de blé en est la cause formelle. Ce qui explique que du blé pousse, c’est donc à la fois en un sens la cause matérielle, car sans elle rien ne pousserait ou cela pousserait mal, et la cause formelle, car sans elle rien ne pousserait ou toute autre chose.
S’il en allait de même des rapports de la technique et des doctrines philosophiques, politiques, religieuses, artistiques?
En ce cas, on pourrait dire que les évolutions techniques conditionnent pour une part certaines évolutions sociales qui rendent les personnes plus ou moins réceptives à certaines pensées: c’est la part de vérité du matérialisme historique.
Mais toute pensée de quelque tenue a son autononomie, et en cela elle ne se réduit pas à ce qu’une infrastructure technico-économique a rendu possible à un certain moment de l’histoire.
Sans les conditions d’existence des Grecs, il n’y aurait pas eu de mathématiques euclidiennes, mais bien des civilisations ont connu des techniques proches des Grecs sans inventer rien qui ressemble aux Elements d’Euclide…
Dans le même ordre d’idées, la technique industrielle du XIXème siècle a débouché sur les démocraties, mais elle aurait pu aussi bien déboucher sur un monde orwellien: il s’en est fallu de peu que ce ne soit le cas, d’ailleurs…
La technique est sans doute plus qu’un instrument entre nos mains, car cet instrument délimite le champ de nos possibles (en même temps qu’il en augmente l’étendue); mais les réalités culturelles (science, philosophie, religion etc) ont leur propre logique de développement, et détermine quel possible sera sélectionné de préférence à d’autres.
Ainsi, internet crée peut-être de nouvelles façons de débattre, mais il n’est que le champ où pousseront les plantes qu’on y aura semé. Cela dit, l’exposition du champ, la composition de son sol, sa teneur en humidité favoriseront sans doute certaines pousses au détriment des autres. Et il importe d’identifier quelles mauvaises herbes risquent de prospérer pour mieux cultiver ntre champ, avec l’aide de la loi hadopi (ou d’autres), si besoin est.
Voilà pourquoi je trouve les analyses pessimistes de Philarête extrêmement stimulante, comme exercice salutaire de « praemediatio malorum », et attends avec impatience la suite de sa « démocratie en numérique » (j’en profite pour dire au passage que je trouve ce calembour excellent).
4 octobre 2009 at 22:42
…les plantes qu’on y aura seméES.
5 octobre 2009 at 07:29
Je vais poursuivre le raisonnement de mon premier commentaire en citant Dominique Wolton « internet, c’est formidable mais il faut le mettre à sa place dans une longue chaîne de techniques de communication qui vont de la presse écrite à la radio, à la télévision, au cinéma, au téléphone, à la parole, à l’écrit et à l’internet. »(…) il s’agit d’une « panoplie d’outils ».
http://www.omegatv.tv/video/1785267236/societe/medias/Internet–peut-on-parler-de-5eme-pouvoir
je suis en phase avec cet homme-là dont j’ai acheté avant-hier le bouquin « Informer n’est pas communiquer ».
il est pas cher, il se lit très vite, merci Aliocha.
Doter l’internet d’une valeur intrinsèque (« Internet ») comme on nomme à bon droit « la Presse » ou « la Politique » relève d’un éblouissement, à mon avis passager, produit par l’utopie technique appelée aussi technicisme (si proche de l’ancien positivisme) et que j’englobe dans ce fatras des techno-sciences qui sont toutes d’excellentes esclaves et qui se révèleraient de très mauvaises maîtresses si jamais nous les défendions avec dogmatisme.
Donc, oui, rien de nouveau sous le soleil, les risques et merveilles de l’internet restent dans l’Homme qui est derrière.
Pour maîtriser ces outils redoutables que sont l’internet et le nucléaire, par exemple, nous avons besoin de toujours plus d’humanité.
Mais je crois que nous sommes tous d’accord là-dessus sur ce site.
5 octobre 2009 at 12:20
Tous d’accord? Je ne suis pas certain. En tous cas, Tschok et Fantômette ont soulevé la question cruciale de savoir si la technologie, par elle seule, ne pouvait pas faire naître de nouvelles façons de vivre et de penser, et ne suffisait pas à régler les inévitables tensions qui naissent de la vie en commun.
Je me suis tenu un peu trop loin de ce débat, à mon goût — entre autre pour rédiger la suite de ce billet. A vrai dire j’avance à tâtons, avec moins de certitudes que mon ton peut le laisser supposer…
5 octobre 2009 at 14:50
Bon, laissons de coté le matérialisme historique de Physdémon qui, en l’état, mène à une impasse, ou, au choix, à un consensus mou.
Je suggère le système de systèmes. Il n’y a pas de définition unique, à ma connaissance, mais j’en connais une: un système de systèmes est un ensemble de sous ensembles (désolé, je sais, c’est navrant, mais le truc intelligent vient ensuite) dans lequel L’IMPULSION INITIALE A MOINS D’IMPORTANCE QUE LES INTERACTIONS ENTRE ELEMENTS DU SYSTEME.
En gros, c’est la notion de turbulence.
Une turbulence (et ça, c’est un truc précis) c’est:
Un écoulement(d’un fluide):
– Non linéaire (c’est pas une droite, c’est une courbe)
– Aléatoire (c’est le hasard)
– Et chaotique (petites causes, grands effets ou pas d’effets du tout, et inversement grandes causes petits effets, ou pas d’effet du tout)
C’est jamais que la définition de l’histoire.
Arrivé là, on est où?
Dans un système fermé (matérialisme historique)?
Ou ouvert (inconnu…)?
Je passe tout l’aspect démonstratif (blablabla-blablabla): Internet est un système turbulent. Donc ouvert. Donc inconnu.
Totalement?
Non: il est fait d’hommes. Or je connais les hommes: j’en suis un :)
Euh… je connais les hommes?
Ah non, pas totalement.
Qui prétend connaitre les hommes totalement?
Les grandes idées ou la technique?
Les deux, mon capitaine.
Et… elles ont raison?
Oui, seulement quand elles marchent ensemble.
Ah?! La technique et les grandes idées peuvent marcher ensemble, c’est étrange car jusqu’ici je les opposais.
C’est parce que votre radar et Lavoisier sont faux, Monsieur.
5 octobre 2009 at 14:53
Le radar et Lavoisier (je fais pas épisodes)
(entre deux coups de fil)
5 octobre 2009 at 15:00
Lavoisier:
Une grande idée, la révolution, n’a pas eu besoin de savant, au grand dam de Lavoisier, dont le larynx a été tranché net avant qu’il eût pu dire son attachement (viscéral) non pas à l’indivisibilité de la nation, mais seulement à celle du corps humain.
Une grande idée s’est donc passée d’un technicien.
Inversement:
Dans sa lutte contre la délinquance routière, l’Etat a mis en place des techniques de répression de masse.
On ne saura jamais si une justice plus individualisée aurait pu mieux faire, car dans l’histoire, nous avons sacrifié une grande idée, celle de juger un homme pour les faits qu’il a commis, à une technique de répression (certes plus efficace): celle de juger un homme d’après un comportement, mesuré, comme il se doit, scientifiquement.
5 octobre 2009 at 15:55
Cher Philarête
Je découvre par ce billet votre blog, dont il va falloir que j’arrête la lecture si d’aventure je veux continuer à travailler :-)
Mon travail consiste (notamment) à repérer des articles susceptibles de se retrouver en bonne place sur http://owni.fr, un « objet web non identifié » dont le but est d’agréger les articles ayant trait aux mutations technologiques en cours.
Le site est principalement alimenté et lu par des technophiles avertis, avec lesquels le débat pourrait être intéressant.
Vous pouvez me répondre à guillaume@22mars.com, je reste bien entendu à votre disposition pour plus de précisions.
5 octobre 2009 at 16:43
à Tschok,
ce que j’exposais n’était pas un « matérialisme historique », mais une tentative d’échapper et au matérialisme et à l’idéalisme.
Le matérialisme historique c’est Marx, peut-être Tschok (cf.com.1), pas Physdémon…
5 octobre 2009 at 16:53
Quoi?!
Vous tentez d’échapper à un déterminisme?!
Vraiment?
Et pour ça vous êtes prêt à me refiler le bébé?
Ok, j’acepte.
Refilez moi votre bébé.
J’en prendrai soin. Voguez, mon cher, voguez.
5 octobre 2009 at 21:45
à Tschok,
je ne vous filerai pas mon bébé car
je ne m’appelle pas Yochébed et vous n’êtes pas la fille de Pharaon.
Ou alors c’est un scoop!…
6 octobre 2009 at 15:03
[…] amorce sur son blog une réflexion sur Internet et la démocratie. C’est ici et là. Par ailleurs, Jean-François Copé a agité les esprits en publiant une tribune sur Slate […]
6 octobre 2009 at 18:36
[…] — > Lire la suite et faites vivre la discussion sur l’Esprit de l’escalier […]
7 octobre 2009 at 14:06
@ Philarête,
Ouh là, non, je ne crois pas que « la technologie puisse suffire à régler les inévitables tensions qui naissent de la vie en commun ».
On me déverse quotidiennement sur mon bureau des preuves contraires en grand nombre, vous pouvez me croire.
C’est peut-être en partie de cette expérience que je tire l’idée que « la vie en commun » n’est pas un fait acquis. Ce n’est pas « un état des choses » naturellement équilibré, périodiquement menacé par tel ou tel élément qui lui serait étranger ou extérieur.
Fondamentalement, pour reprendre l’image de tschok, c’est une turbulence.
Mais c’est une turbulence générale, qui emporte tout, y compris les technologies, les artefacts, les artifices. Les idées et les outils. Les mots et les choses.
Donc, en un sens, je commence par être plus pessimiste que vous, et je vous dirai que je ne crois pas que des tensions « naissent » de la vie en commun, mais que la vie en commun, c’est précisément une brutale et évidente mise sous tension de tout ce que nous n’avons pas en commun.
La démocratie est une façon de contenir – dans les deux sens du terme – ces tensions. Et les technologies, en un sens, les structurent – j’utilise ce verbe parce qu’il me semble relativement neutre – elles structurent notre « mise en commun », sur laquelle elles exercent donc, à mon avis, une influence. Mais elles n’œuvrent évidemment pas uniquement pour le bien.
Les artefacts également sont des points de convergence de ces structures – des endroits où se précipitent et s’agglomèrent une certaine vision de la réalité, tensions et sympathies, les idées et leur symbolisation.
Mon prof de philo de terminale nous avait dit que l’idée de démocratie avait pu apparaître du fait de l’apparition d’un bouclier particulier, qui se tenait à main gauche, et était utilisé par des fantassins en ligne pour se protéger la moitié gauche du corps ET la moitié droite du corps de leur voisin. La solidarité de fait créée entre ces soldats aurait contribué à faire naître l’idée d’une communauté d’intérêts entre les individus, en lui offrant un support concret, une matérialisation dans l’espace réel.
Un symbole, donc.
Vous mesurez peut-être également l’importance de l’existence de tables lorsqu’il s’est agi d’inventer l’art de la diplomatie. La question de la forme de la table à laquelle les ennemis d’hier acceptent de s’asseoir a pu faire l’objet de longues discussions préalables. Ce fut le cas en Pologne, par exemple, lorsqu’il s’est agi d’asseoir à la même table les « Solidarnosc » et les communistes.
Au-delà de tout ça, je me demande également si les technologies, en nous ouvrant de nouveaux champs lexicaux, ne nous présentent pas une nouvelle façon de percevoir le réel, de l’interpréter, et donc d’y réagir.
Par exemple, je me pose souvent la question de savoir comment, avant la découverte des ondes radio, comment deux personnes se trouvant « sur la même longueur d’ondes » l’auraient exprimé. L’auraient-elles perçu de la même manière ? L’auraient-elles même vécu de la même manière, si elles avaient simplement disposé des notions de sympathie, empathie, accord, compréhension, intelligence ou que sais-je ?
7 octobre 2009 at 15:27
[…] Original post by Philarête […]
8 octobre 2009 at 10:05
[…] De la démocratie en numérique « L’esprit de l’escalier – une analyse critique de la démocratie numérique […]
8 octobre 2009 at 11:05
[…] This post was Twitted by ked_ […]
8 octobre 2009 at 12:58
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11 octobre 2009 at 23:55
Le numérique plutôt que de révolutionner la démocratie , la renouvelle. C’est un véritable retour aux origines de la démocratie de cité. Pourquoi aux XXI avoir des députés d’une circonscription aussi étendu qu’une journée a Cheval ? As t’on encore besoin de représentativité en France , quand la taille de la Suisse permet la démocratie direct? Le web a abolit la contrainte d’espace et de temps. Nous sommes redevenu plus proche de Pericles, que de César . Astronomiquement, c’est une révolution .
12 octobre 2009 at 19:22
@ One,
Ya un truc qui va pas dans votre raisonnement c’est que vous faites comme si le nouveau supprimait l’ancien.
Il ne s’est jamais passé ça, tel quel, dans toute l’histoire de l’humanité, sauf en quelque très rares exceptions, qui chacune se discute.
En revanche, ce qui se passe en permanence: le nouveau se superpose à l’ancien qu’il finit éventuellement par mettre e minorité ou par éliminer.
Alors ça c’est tellement banal que c’est rien de le dire.
Mais c’est tout de le comprendre.
9 décembre 2009 at 17:59
etout a fait, l’évolution a ammené le portable mais le fixe est toujours la.
le nouveau apporte de nouvelles possibilité qui s’ajoute à l’ancien mais ne prend pas sa place
23 décembre 2009 at 10:51
[…] un jour du format de Twitter, en se demandant s’il n’allait pas entraîner “une tendance inquiétante au degré zéro de l’articulation des idées”. Que voulez-vous dire en effet sur Pie XII en 140 signes si ce n’est “ton Pape n’a […]