Avec le développement du numérique, disent les bons esprits, « nous sommes en train de basculer dans un nouveau monde ». L’antienne est entonnée avec conviction par Jean-François Copé, dans une tribune qui suscite sur la Toile un débat instructif. Car si nouveau monde il doit y avoir, la question se pose de savoir à quoi nous souhaitons qu’il ressemble. Plus précisément, puisqu’il s’agit de politique, la question est de savoir à quoi doit ressembler la démocratie de l’ère numérique.
Copé, après avoir répété sa conviction qu’« Internet et les nouvelles technologies sont une chance pour tous et pour la politique en particulier », qu’Internet peut « offrir une véritable respiration démocratique », fait ce rappel qu’il croit de bon sens : « sur Internet comme ailleurs, l’absence de règles n’est pas liberté mais anarchie ». C’est l’application, au cas particulier d’Internet, d’une conception de la vie sociale aujourd’hui largement partagée – même si la version qu’en donne Copé soulève à mes yeux de graves questions, qui sont l’objet du présent billet.
Les réponses de ce qu’on appelle parfois, un peu hâtivement peut-être, la « communauté de l’Internet », sont plutôt véhémentes. Les uns dénoncent une « croisade contre le Net », d’autres soupçonnent le gouvernement d’arrière-pensées liberticides, et plus généralement on laisse entendre que la démocratie-qui-vient saura (ou devra) précisément conjuguer l’absence de règles et la liberté. Le blogueur Renaud Revel exprime excellemment la croyance qui soude entre eux les adversaires les plus résolus de Copé :
Vouloir réguler un monde où les convergences technologiques sont en train de modifier la face de nos sociétés est tout simplement absurde : liberté, mobilité, initiative, participation, jeunesse, confiance, ouverture, réactivité, contre-pouvoir, mondialisation, c’est tout cela Internet.
On reconnaît dans ce type de propos le point de vue « éclairé », conscient d’énoncer un paradoxe apparent, mais qui croit s’autoriser néanmoins d’une nécessité inscrite dans l’ADN des nouvelles technologies.
Tout se passe comme si l’erreur reprochée à Copé était justement de prétendre aborder Internet à partir de convictions formées dans un tout autre contexte – celui du monde ancien, celui d’avant les « convergences technologiques ». Je ne suis pas certain, à vrai dire, de saisir le sens exact de cette expression, mais sa connotation vaguement ésotérique montre bien que la doctrine énoncée relève d’une forme de gnose. C’est une connaissance d’initiés, appelée à devenir le sens commun de demain, lorsque le nouveau monde aura finit d’émerger de l’ancien. On y reviendra plus tard.
Dans la tribune de Copé, je crois reconnaître l’exact signalement d’un libéralisme cohérent. C’est la doctrine de Hobbes. On la croit à tort impopulaire. J’ai appris en cours de philo à y lire les germes du totalitarisme, sous prétexte que Hobbes veut que l’autorité des lois soit absolue. C’était une grave erreur. Hobbes est l’inventeur de l’homme contemporain, il est par excellence le penseur de l’individualisme, le père de l’homo œconomicus. Il ne choque que parce qu’il tire les conséquences d’une conception de la vie humaine en laquelle chacun peut reconnaître celle de notre temps. Ce n’est pas faire injure à Copé, je crois, que de le prendre pour guide d’un petit parcours hobbésien.
Copé entre dans le vif de son sujet d’une manière très digne de l’auteur du Léviathan, c’est-à-dire marquée au sceau d’un robuste sens des réalités :
Il faut en finir, dit-il, avec une certaine forme de naïveté qui fait d’Internet « le pays des bisounours », où tout le monde serait gentil et aurait des intentions louables.
Le propos n’a évidemment rien de scandaleux. Il tire sa force de sa platitude même. Mais ce qui est intéressant, du point de vue d’une réflexion politique, est de cerner les contours de la menace. Qu’est-ce qui est mis en danger dans un monde qui n’est pas celui des bisounours ? Copé le suggère à travers une liste de questions qui, de son propre aveu, « est très loin d’être exhaustive », mais qui est néanmoins révélatrice.
Ce qu’Internet menace, d’après Copé, c’est une série de droits et de libertés : le « droit à l’oubli », le « droit à l’intimité », la propriété intellectuelle, la sécurité (celle des enfants notamment), la protection du consommateur, la responsabilité individuelle. Il s’agit exclusivement, on le voit, de droits et de libertés individuels. La liste de Copé est éminemment consensuelle : elle s’adresse à chacun dans ses intérêts particuliers. Jamais n’apparaît quelque chose comme une appartenance commune, encore moins une communauté de destin. La dimension politique est entièrement absente. Pourtant, le propos prétend s’inscrire dans une réflexion sur la place d’Internet dans la vie démocratique.
C’est ici que s’impose le rapprochement avec Hobbes. Nous sommes dans un monde d’individus, au sens d’un monde où chacun est réputé chercher exclusivement sa propre satisfaction. Chacun poursuit son propre intérêt, à commencer par la conservation de soi, et ensuite la jouissance des fruits de son propre travail, la sécurité pour mener sa vie à sa guise, pour consommer ce qui bon lui semble, et pour autant que possible accroître son propre pouvoir – la maîtrise de sa propre vie. Mais tout le monde n’est pas « gentil ». Entendez : il ne manque pas de gens qui, au nom de leur intérêt propre, sont disposés à nuire aux autres. Il n’y a rien à faire à cela : c’est la nature même de l’intérêt que d’être exclusif, et de faire de chacun le juge ultime de ce qui est bon pour lui. Si mon intérêt peut être satisfait au prix d’un empiètement sur votre liberté, votre sécurité, vos droits ou votre vie, qu’est-ce qui m’en empêchera ?
La réponse par le sens moral ou par son substitut moderne, le sens de l’intérêt « bien compris », est faible et naïve. L’anthropologie sous-jacente à la conception hobbesienne interdit d’invoquer une morale commune, et aucun calcul rationnel ne peut me persuader que c’est mon intérêt, « à long terme », de renoncer à un avantage immédiat assuré au bénéfice d’un avantage lointain et incertain. En réalité, si l’on porte à la limite la description que Copé donne, en creux, d’un pays qui n’est pas celui des bisounours, c’est l’état de nature qu’on obtient, et dans la version du Léviathan : la guerre de tous contre tous, qui est la vérité d’un monde où l’intérêt fait loi.
Aussi bien n’y a-t-il d’autre garantie pour la vie en société que l’instauration de règles assorties de sanctions onéreuses – ce qu’on appelle des lois. Cette conclusion résulte des principes mêmes qui rendent si menaçant le règne exclusif de l’intérêt. La crainte du châtiment relève en effet de l’intérêt immédiat ; la peur de souffrir est le contraire de mon inclination native à la jouissance et à la sécurité. Nul besoin d’être préoccupé de mon salut éternel, d’être habité par l’altruisme, de préférer le bien commun à mon bien particulier : puisque je crains la peine, c’est mon intérêt immédiat de m’abstenir de ce qui nuit à autrui, dès lors que le faire m’expose à une sanction immédiate. Faut-il autre chose qu’un peu de lucidité pour apercevoir que c’est ainsi que nous concevons nos lois ? Elles n’expriment à nos yeux ni la volonté des dieux, ni les exigences d’un ordre immémorial, mais posent les bases minimales d’une vie commune, sur le fondement de notre désir de vivre à notre guise sans être dérangés ni menacés par les autres.
« L’absence de règles n’est pas liberté mais anarchie » : c’est exactement, sous la plume de Copé, la justification par Hobbes de l’autorité politique. Et la conséquence est inéluctable : une société ne peut subsister, c’est-à-dire échapper à l’anarchie, que grâce à des règles appuyées sur la force publique. Peu importe la teneur exacte de ces règles. Hobbes est le premier à dire que le type de régime n’est pas ce qui importe :
la prospérité d’un peuple régi par une assemblée aristocratique ou bien démocratique ne tient pas au régime aristocratique, ou au démocratique, mais à l’obéissance obtenue des sujets, qui assure leur concorde (…). Dans n’importe quelle forme d’État, retirez l’obéissance, et par conséquent la concorde du peuple, et non seulement le peuple ne prospérera plus mais en peu de temps la société se trouvera dissoute. (Léviathan, chap. xxx)
C’est donc une erreur complète de faire comme si Copé, ou le gouvernement actuel, préparaient en coulisse un contrôle autoritaire du Net, ou tramait des projets liberticides. Au contraire, rien n’est plus conforme à la conception hobbésienne que de chercher ce qui garantira la meilleure obéissance aux lois. Partant, si l’esprit du temps veut que celles-ci soient élaborées dans la concertation, sur la base d’un vaste consensus, et pourquoi pas à travers des échanges entre le Parlement et les internautes, ou par le jeu des tribunes et des commentaires sur Slate.fr, ce sera la meilleure solution. L’important n’est pas que les règles soient justes, mais qu’elles soient respectées. Le consensus obtenu par un vaste débat participatif est aujourd’hui la meilleure garantie de ce respect. « Ensemble, inventons donc la CNIL du XXIe siècle ».
Si Hobbes est impopulaire, s’il est si généralement décrié, ce n’est pas du tout parce qu’il est un penseur anti-libéral. C’est au contraire parce qu’il est un libéral absolument cohérent. L’alpha de sa pensée politique est qu’il n’existe strictement que des individus. Chacun est le seul « tout » dont il se préoccupe intensément et sérieusement. Ma vie, mon travail, ma sécurité, mes loisirs, mes plaisirs. Mes amours et mes enfants, bien sûr : ils entrent sans peine dans la sphère de mes intérêts propres. Et puisque tout le monde n’est pas aussi gentil que moi, qu’il existe d’autres individus, hélas, disposés à me nuire s’ils ne risquent rien à le faire et que cela leur soit profitable, l’oméga de la politique, la conclusion nécessaire, est qu’il faut des lois absolues, s’imposant à tous de la même manière, et auxquelles tous consentent d’autant plus volontiers qu’elles ne demandent rien d’autre que le sens de son intérêt immédiat. Entre la liberté de l’individualisme et l’autorité absolue des lois, il n’y a pas d’opposition, mais au contraire la plus étroite solidarité.
Bertrand de Jouvenel, qui a magnifiquement traité, dans son livre De la Souveraineté, de ce qu’il appelle « les conséquences politiques de Hobbes », n’hésite pas à proposer cette conclusion :
Il semble que la lecture de Hobbes comporte un sérieux enseignement pour nos démocraties modernes. Dans toute la mesure où le progrès développe l’hédonisme et le relativisme moral, et où la liberté individuelle est conçue comme le droit d’obéir à ses appétits, la société ne peut se soutenir que par un pouvoir très fort.
C’est donc très justement que Copé peut, sans paradoxe, lier la nécessité d’une régulation d’Internet à la préservation des libertés. Car il ne s’agit dans son propos que de libertés conçues comme le droit pour chacun « d’obéir à ses appétits », sans avoir à craindre les empiètements des moins altruistes de ses concitoyens – qu’ils agissent, d’ailleurs, au nom de leur puissance privée, ou des fragments de puissance publique dont ils disposent. La façon dont cette régulation est élaborée est un point de détail. Elle sera nécessairement « autoritaire », non parce qu’elle exprimera le caprice de l’autorité, mais parce qu’elle s’imposera avec la rigueur des lois.
J’avoue être incapable de déceler dans les propos de Copé la moindre velléité tyrannique. Il n’exprime rien d’autre que le sens commun d’une société qui ne peut que se reconnaître sous les traits hobbésiens. Cela n’exclut pas de louables exceptions, mais on peut penser qu’elles sont minoritaires. « Du pain et des jeux », c’est tout de même le programme qui semble plaire au plus grand nombre. La minime restriction imposée aux libertés par les exigences de la vie commune est largement compensée par la jouissance généralisée des biens auxquels la plupart sont attachés. La question est plutôt de savoir en quoi la conception de la vie sociale qui sous-tend le point de vue de Copé correspond le moins du monde à un idéal politique. Il s’agit plutôt d’une gestion optimale, économique, des désirs majoritaires : la régulation autoritaire n’est que le moyen le plus efficace de maximiser les satisfactions. C’est ce qui fait sa force de séduction, mais aussi, je crois, ce qui doit la rendre suspecte à quiconque n’égale pas la liberté au simple pouvoir d’obtenir satisfaction. De quoi, si le temps le permet, nous reparlerons bientôt, car j’ai déjà trop bavardé.
5 octobre 2009 at 16:45
Il n’y a sans doute pas la moindre velléité tyrannique chez Copé.
Cela dit, chez Hobbes, la tyrannie est le meilleur des régimes, puisque selon lui « tyrannie » et « monarchie absolue » sont deux noms pour une seule et même réalité, et que la monarchie est un régime nettement supérieur à la république.
5 octobre 2009 at 16:48
Mais je suis mille fois d’accord pour voir en Hobbes l’ancêtre de ce qu’il y a de pire dans les diverses traditions libérales.
5 octobre 2009 at 17:16
Bien sûr qu’il n’y a pas la moindre velléité tyrannique chez Copé.
Mais vous, vous vous ne l’avez pas vu grimper dans sa voiture républicaine garée en double file, avec tous ses passe droits affichés sur le pare brise, et un flic qui faisait la circulation, pour que sa bagnole, sagement pressée contre le trottoir, ne gène pas la circulation des Rolls, neutralité de l’Etat oblige.
Mais moi si.
C’est ça, Paris.
Et vous comprenez tout de suite que ce parangon de vertus n’a pas de vices, oui, certes, mais il n’a pas pour autant de vertu.
Il se contente de ce que la république a mis à sa disposition (et en plus il ne tire pas sur a ficelle: il est économe, je l’aime!).
Maizofait?
Pourquoi lui qui a tant de talents a besoin d’autant de moyens, puisque c’est nous qui sommes censées être l’objet de toutes ses sollicitudes?
Monsieur Copé se défend d’un vice qu’on ne lui prête pas.
Dans son article, il adopte un point de vue insipide. Il défonce des portes qu’il n’a pas créées et que d’autres ont défoncées, avnt lui, au prix parfois d’une sanction pénale.
Si l’insipidité devient la marque des grands, alors c’est un grand.
S’il faut lui rendre un grand honneur pour cela, alors, je préfère être un petit.
Ce n’est pas qu’être petit me plait.
C’est que cette petitesse ne me plait pas.
(on n’est quand même pas obligé d’écarter les cuisses, non plus)
5 octobre 2009 at 17:22
Mais je n’ai pas dit que c’était ce qu’il y avait de pire. C’est juste le libéralisme cohérent, et le régime qui convient à des hommes hobbesiens. C’est-à-dire à nous.
Hobbes parlait avec les catégories de son temps. S’il connaissait la manière dont les démocraties d’aujourd’hui fonctionnent, il s’apercevrait sans peine qu’elles disposent de moyens incomparablement plus étendus et puissants que les monarchies absolues de son temps.
5 octobre 2009 at 17:25
@ Tschok
Je ne sais si l’insipidité est la marque des grands. Mais elle est sûrement ce qui est requis aujourd’hui pour gouverner. Et le phénomène ne risque pas de diminuer si les politiques se mettent en peine de refléter au plus près une opinion manifestée sous les espèces souverainement insipides de la démocratie participative.
Cela dit, gardons les genoux serrés.
5 octobre 2009 at 17:26
Mais?!
Philarête, comment vous lisez Hobbes?
Hobbes s’est gouré!
C’est un auteur de science fiction. C’est l’ancêtre de 1984, qui ne se passe même pas.
Je croyais que la SF vous laissait de marbre.
Ou alors c’est moi qui me goure et j’ai besoin de vos explications.
5 octobre 2009 at 17:33
Gouverner des brebis n’a jamais exigé un grand talent.
Mais des brebis, en avez vous vu tant que cela?
Gouverner des tigres, ou des hommes libres, ce qui est encore une autre race, c’est l’histoire.
Hitler était un salaud, c’est entendu. Une ordure même. Une foutue saloperie. Mais tous ceux qui l’ont suivi? Tous? Vraiment tous?
Donc, non! L’insipidité n’est pas ce qui est requis pour gouverner les hommes.
Avec l’insipidité vous ne faites rien.
Au mieux, vous vendez des tuperwares, et encore.
5 octobre 2009 at 17:45
Tschok,
Il est vrai que je ne lis pas Hobbes comme un auteur de SF, mais comme celui qui m’éclaire le plus sur ce qui arrive dans une société comme la nôtre (remarquez, je crois qu’on pourrait dire cela d’un bon auteur de science-fiction…).
Je crois bien sûr qu’il s’est gouré. Mais dans son point de départ, pas dans les conséquences qu’il en tire. Si l’homme est effectivement tel qu’il le représente, s’il est mû par la recherche de la satisfaction et la fuite de la peine, s’il est l’homme du «choix rationnel» de la théorie économique classique, alors la conséquence est qu’il faut un pouvoir fort et des lois absolus pour faire tenir ce petit monde ensemble.
Quant à l’insipidité: je ne formulais pas une loi générale, mais plutôt un constat sur aujourd’hui. Rappelez-vous la dernière campagne présidentielle, les assauts de deux candidats pour prouver qu’ils étaient chacun les plus proches des vrais Français, qu’ils prenaient en charge toutes leurs angoisses, qu’ils les «représentaient» au sens le plus imagier du terme… Ça ne fait pas des leaders, ça ne fait pas des gens capables de formuler des projets en lesquels beaucoup peuvent se reconnaître. Mais ça suffit bien pour être élu. Après, «gouverner», c’est une autre affaire.
5 octobre 2009 at 18:16
Bonjour,
c’est mon premier commentaire ici, aussi vous prierai-je d’être indulgents.
Il y a quelque chose qui m’a choqué dans le propos de Hobbes : « L’important n’est pas que les règles soient justes, mais qu’elles soient respectées. »
Ce que je n’arrive pas à bien cerner, c’est comment on peut espérer que la règle sera suivie et respectée dès lors qu’elle est injuste. Bien sûr, la justesse d’une règle ne satisfera pas tout le monde, mais tout le monde doit pouvoir s’accorder dessus.
Pourriez-vous expliciter ce point ?
Bien à vous,
5 octobre 2009 at 18:28
Ah bon?
Mais je suis l’exemple vivant de ce que Hobbes s’est trompé.
En moi, il y a une partie qui n’est pas mue par la recherche de la satisfaction et la fuite de la douleur.
Vous aussi, vous êtes pareil.
Fantômette est pareille, Aliocha est pareille, Physdémon est pareil. Etc (j’énumère, mais j’oublie, qu’on ne m’en veuille pas)
Je suis heureux d’avoir à vous le dire, mais l’homme est vivant.
Il est, potentiellement, imprévisible.
(le 11/09, vous l’aviez prévu, vous?)
J’emmerde Hobbes.
5 octobre 2009 at 18:34
@ Olaf
Bonjour, et bienvenue!
Vous posez bien sûr une question essentielle. Hobbes pensait qu’une règle, pourvue qu’elle soit garantie par une force suffisante, serait suivie quoiqu’on en pense. Il pensait aussi que l’important était que tout le monde soit d’accord pour qu’il y ait des règles — et cela devait suffire à leur établissement.
Cela ne se passe pas ainsi «en vrai», et je crois que Hobbes lui-même était conscient d’extrapoler pour faire comprendre son idée principale. Cependant, il est vrai qu’il est plus facile de dire si une règle est obéie ou non, que de dire si elle est juste ou non. Et pour ce qui me concerne, je crois bien que je tâche d’obéir aux lois, non parce que j’estime chacune d’elle juste, mais parce que, en gros, j’estime qu’il est juste de le faire (obéir), que, globalement, ça nous permet de vivre en société. Je fais un prix de gros, en quelque sorte.
5 octobre 2009 at 18:37
@ Tschok
On est d’accord. Hobbes a tort. Mais beaucoup de monde fait (font?) comme s’il avait raison. La preuve, Copé.
Je suis content qu’il y ait tant de gens bien sur mon blog. Sont-ils tous là, ou y en a-t-il quelques uns ailleurs, aussi?
5 octobre 2009 at 18:47
Je suppose qu’il y a plein de gens bien ici…
… Et autant ailleurs.
Donc, autant chez « l’ennemi ».
Ce qui veut donc dire qu’on peut se faire laminer.
Mais comme disent les Apaches (?): « c’est un beau jour pour mourir ». :))
(ça m’a toujours fait marré ce truc, comme s’il y avait un beau jour pour mourir, ah, j’vous jure!)
Bref, c’est plutôt intéressant, non?
PS: je me fous complètement de savoir qui à raison et combien ils sont, et je suis, en plus, incapable de vous expliquer pourquoi. C’est vous le type cultivé, pas moi.
5 octobre 2009 at 18:56
Menteur!
5 octobre 2009 at 19:30
Du tout.
Moi j’ai qu’une toute petite bibliothèque.
Et en plus je n’aurais aucun scrupule à la brûler s’il fallait l’abandonner à un ennemi qui la retournerait contre moi. Moi, chuis un catho pur jus, vous n’avez même pas idée.
Vraiment.
je sais faire la différence entre un type comme moi qui peut briller pendant les cocktails – ça c’est sûr – et un type comme vous qui sait vraiment les choses.
Faites moi honneur, Philarête, si vous voulez le faire.
N’ayez pas peur de faire la différence (elle est évidente!).
Moi je la fais.
Avoir conscience de mon rang fait partie de ma valeur.
5 octobre 2009 at 19:58
Nous assistons à un savoureux échange épistolaire entre un Tschok au mieux de sa forme et un Philarête qui (cela faisait longtemps) prend le temps de répondre aux commentateurs : je me délecte !
Sinon, toute incursion de la classe politique dans les discussions autour d’Internet soulève généralement les mêmes réactions. Plus ou moins arbitrairement, et toujours avec une grande méfiance.
Cela n’est-il pas dû au fait que, statistiquement, lorsque nous entendons un homme ou une femme politique s’exprimer dans les médias sur les nouvelles technologies, il n’a pas fait la preuve de sa compétence dans ce domaine ?
Ainsi, on a entendu le Père Kubler dire sur France Inter que le pape avait mieux à faire que d’aller vérifier sur Google si tel évêque n’était pas négationniste — et je ne le lui reprocherai pas : il a mieux à faire.
De même, les « vrais gens » n’ont pas encore eu de garantie que nos hommes politiques savaient se servir d’internet (beaucoup en sont rester à cette vidéo au sujet du P2P et de sa maîtrise par nos députés).
Bref, Nathalie Kosciusko-Morizet a un droit de regard… Les autres ne sont pas fichus d’alimenter leur compte Twitter.
Je pourrai aussi comparer cela au sentiment d’exaspération chaque fois que dans les médias est abordée la question de l’islam, au travers de phrases politiques : elles sont rarement posivites à l’égard de cette culture et de cette religion.
Bref, leur compétence est contestée, leur droit à s’exprimer aussi. Quel que soit le propos qu’ils soient amenés à tenir (et même si un intelligent rédacteur de discours les leur a préparés).
5 octobre 2009 at 21:30
Vous écrivez:
Ce qu’Internet menace, d’après Copé, c’est une série de droits et de libertés : le « droit à l’oubli », le « droit à l’intimité », la propriété intellectuelle, la sécurité (celle des enfants notamment), la protection du consommateur, la responsabilité individuelle. Il s’agit exclusivement, on le voit, de droits et de libertés individuels.
Et moi je ne peut pas m’empêcher de penser que cet inventaire à la Prevert est quand même parfaitement ridicule. Je n’y voit en tout cas absolument rien qui soit spécifique d’internet et rien qui ne soit déjà encadré par tout un tas de lois existante. De fait rien de bien nouveau sous le soleil.
Je ne peut me départir de l’idée que Copé (comme d’une manière général ce gouvernement) a une fâcheuse tendance à travailler les électeurs sur leur fibre anxieuse (donc sur ce qui les touche personnellement) et sécuritaire plutôt que sur de vrais enjeux de société.
A rapprocher d’ailleurs de façon amusante du dernier billet d’Aliocha sur la censure… A rapprocher de l’affaire Polanski…
Bref… une fois de plus les politiques nous sortent un discours sécuritaire (pensez! Internet va manger vos enfants, changer les homme en addict de you porn et vos enfants ne trouveront jamais de travail car une photo d’eux bourrés circulera à tout jamais sur facebook).
Tout ca pour quoi ?
A mon avis:
– Hadopi (évidemment)
– Les différentes vidéo qui circulent ou ont circulé (Hortefeux, Besson)
– Une « opposition » violente, frontale et surtout incontrolable (blogs, Sarkofrance par exemple).
Soit au final: des fantasmes.
Il y aurait tant à écrire sur Internet et sur la façon dont le monde se transforme du simple fait de l’émergence de cette technologie. Mais franchement, essayer encore et toujours de faire croire qu’internet c’est la jungle, l’absence de lois etc… c’est vraiment de la politique à deux balles et je pèse mes mots.
En terme de contrat social, je reste persuadé que Rousseau est supérieur à Hobbes et Locke :-) Et je ne suis pas du tout d’accord avec vous sur une quelconque « évidence » de la supériorité du modèle de Hobbes en ce qui consisterait le (très hypothétique) homo economicus. D’ailleurs il me semble que c’est plutôt Locke que vous devriez invoquer pour l’homo economicus liberal non ?
5 octobre 2009 at 21:47
Khazan,
Je me suis mal exprimé si je laisse penser que j’adhère à la conception de Hobbes. Il me semble correspondre à la conception que beaucoup (ou pas — voir les remarques de Tschok) se font de la vie sociale. Avec ce paradoxe que, tout en professant les idées de Hobbes sur l’homme, ils prétendent échapper à ses conclusions sur le gouvernement qui lui correspond.
Mais je suis parfaitement convaincu de la supériorité de Rousseau.
Pour l’homo economicus, Locke est certes plus directement pertinent. Mais je crois que, sur ce point, il est dans la filiation de Hobbes — Hobbes a posé le principe, l’anthropologie de base, et Locke prolonge en l’appliquant à la sphère économique.
5 octobre 2009 at 22:21
… et moi je suis allé un peu vite en besogne… du coup je suis passé un poil à côté de votre argumentation.
Il faut dire que ce sujet particulier m’agace beaucoup et du coup je perd tout esprit critique :-)
Toutes mes excuses.
[Si en plus vous tentez de propager subtilement cette idée que finalement Locke c’est de l’eau tiède et que donc c’est soit Rousseau soit Hobbes… et qu’ainsi les tenants du libéralisme sont, au fond, partisans de régimes faiblement démocratiques (pour ne pas dire pire alors… alors… l’émotion m’étreint.]
5 octobre 2009 at 22:21
à Philarête,
je t’accorde que Hobbes est bien un précurseur (parmi d’autres…) du libéralisme économique des théories classiques: on peut suivre à la trace l’influence du Léviathan sur les premiers théoriciens anglais de la fiscalité dès la fin du XVIIème siècle, puis montrer comment l’influence de Hobbes se fait sentir sur Mandeville, Smith etc.
Je suis beaucoup moins convaincu pour en faire le précurseur d’un libéralisme politique cohérent, le libéralisme n’ayant rien d’une idéologie homogène.
Ne peut-on pas en effet se rallier au libéralisme en se fondant sur une anthropologie qui n’a rien à voir avec celle de Hobbes?
Car faire de Hobbes le précurseur du libéralisme politique n’est-ce pas faire l’impasse sur Locke qui promeut le libéralisme au nom d’une Loi naturelle.
N’est-ce pas également faire l’impasse sur le Kant de la doctrine du droit? Pour ces auteurs, le libéralisme politique et juridique est antérieur au libéralisme économique et il en détermine les limites légitimes.
Pourquoi aller chercher chez Hobbes théoricien du régime le plus autoritaire qui soit l’expression d’un « libéralisme cohérent » qu’il n’a jamais professé?
Le « libéralisme cohérent », celui qui est à la source des droits de l’homme, est fondé sur des principes moraux, pas sur des calculs d’intérêt…
Ou alors peut-être que tu parles d’un libéralisme entièrement subordonné à l’économie, comme l’homme hobbesien est entièrement soumis à ses passions avant de se soumettre à l’Etat, à Léviathan, peu importe qu’il ait la figure d’un tyran, d’une république ou de je ne sais quel autre démon…
à Khazan,
peut-être Locke est-il moins extrémiste que Hobbes en matière de libéralisme économique débridé, car Locke met des limites au droit de propriété. Par exemple dans le Second traité du gouvernement civil, chap. V § 36 il loue le droit coutumier espagnol de laisser aux pauvres la possibilité de cultiver de leur propre initiative les terres des plus riches, inexploitées des plus riches car le droit de propriété est d’abord le droit naturel de subvenir à ses besoins par son propre travail. Droit naturel qui est bafoué lorsque la propriété est monopolisée par certains individus au détriment des autres.
C’est en cela qu’il est bien un « libéral de gauche », et sur ce point précis, Proudhon et Marx lui doivent beaucoup…
Peut-être a-t-on fini par faire de Hobbes un maître à penser du libéralisme parce qu’au fond la droite d’aujourd’hui est hobbesienne et veut faire oublier que l’étiquette de « libéral » était initialement une étiquette de gauche?
à Tschok,
« c’est un beau jour pour mourir », n’est-ce pas plutôt une formule empruntée aux Arapahoes (cf. Little Big Man, d’Arthur Penn)?
(Ou alors, si ce ne sont pas des Arapaohes, ce doivent être des Cheyennes, mais pas des Apaches, parce qu’il n’y en avait pas à Little Big Horn).
5 octobre 2009 at 22:26
à Tschok,
Erratum, dans Little Big Man, ce sont des Cheyennes et non des Arapahoes (enfin, ils étaient alliés contre les Pawnees)…
5 octobre 2009 at 23:15
@Physdémon
Vous écrivez:
« Peut-être a-t-on fini par faire de Hobbes un maître à penser du libéralisme parce qu’au fond la droite d’aujourd’hui est hobbesienne et veut faire oublier que l’étiquette de “libéral” était initialement une étiquette de gauche? »
Pour le coup, nous sommes assez d’accord.
Bon, maintenant et de mon point de vue, dire de la droite qu’elle est hobbesienne est la chose la plus proche d’une violente critique qui ne soit pas en même temps une insulte.
6 octobre 2009 at 11:28
@ Physdémon
Tu as raison, je pense, de distinguer comme deux familles du libéralisme, celui qui peut (ou qui devrait, s’il avait le courage) se réclamer de Hobbes, et celui qui reconnaît l’existence d’une «lumière naturelle» permettant à chacun de connaître le bien et le mal. Un libéralisme cartésien, en somme, ou malebranchiste.
Si il existe une «lumière naturelle», qui permet de connaître une loi naturelle, d’accéder à des principes moraux communs à toute l’humanité, alors on peut fonder un libéralisme politique. Par exemple, on peut croire que la libre discussion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression doivent être à la base de l’ordre politique, parce que ce libre jeu de la confrontation des opinions convergera nécessairement vers le juste et le bien; que tous les citoyens tendront de plus en plus vers les vérités communes, grâce à la «lumière naturelle» qui les guide.
Ce postulat est commun à tous les penseurs libéraux qui se réclament de Locke ou, d’ailleurs, de Tocqueville, ou de Constant. Ils sont aux antipodes de l’anthropologie hobbesienne, ce qui explique que leurs conséquences politiques soient également aux antipodes de celles de Hobbes.
MAIS qui, aujourd’hui, croit sérieusement à la «lumière naturelle»?
Mon idée en rédigeant ce billet est qu’on ne peut adhérer à l’anthropologie hobbesienne et soutenir les conclusions lockéennes; on ne peut avoir l’homme de Hobbes — ce prédateur en puissance, en tous cas cet individu essentiellement préoccupé de son plaisir, de ses satisfactions, de son indépendance, etc. — en même temps que la liberté politique.
6 octobre 2009 at 13:03
C’est un point de vue intéressant auquel je n’avais pas du tout pensé (mais ça, c’est assez normal). C’est pourquoi j’aime lire votre blog: il ouvre mes horizons !
Cela dit, c’est toujours un peu difficile de poster ici et d’avoir quelque chose d’intéressant à dire ! Enfin, j’apprécie les échanges, à défaut de pouvoir y participer !
6 octobre 2009 at 13:35
@ Philarète qui demande :
MAIS qui, aujourd’hui, croit sérieusement à la «lumière naturelle»?
– Moi ! Et « sérieusement », en plus.
Mais je pense aussi que par les temps qui courent, elle est sérieusement contrariée ou affaiblie par des tas de choses qui n’aident pas toujours à en faire usage (la prose et la pensée de JF Copé par ex, mais pas seulement…)
6 octobre 2009 at 13:54
Merci, Philarête de tes précisions.
Mais je ne suis pas sûr que la confiance dans les Lumières naturelles soit si désuète en notre temps.
Vois à ce sujet l’évolution de Gilles Lipovetsky dans son dernier opuscule sur les temps « hypermodernes ». Lipovetsky, qui acontribué dans les années quatre-vingts, à banaliser la notion de « post-modernité » s’est r&étracté en disant que loin d’avoir renoncé à croire que la raison puisse mener au bien ou au juste, notre temps y croit plus que jamais…
Je t’enverrai ce soir un petit texte à ce sujet.
D’où, autre question: est-ce que le « hobbesisme » est vraiment la pensée profonde de nos libéraux, ou un langage commun, adopté par commodité rhétorique? Un peu comme à une époque on utilisait le « basic » en informatique. Ou encore un peu comme professeur de management et de communication qui se sente obligé d’appeler « problématique » un problème, ou de parler de « concepts » pour parler d’idéde au sens le plus banal du temre…
Car s’il est vrai que nos hommes politiques de droite déploient une rhétorique de la rationalité calculatrice froide,il me semble que la plupart d’entre eux sont des hommes de terrain bien implantés dans leur circonscription et qui savent que c’est surtout en tapant sur le cul des vaches qu’on s’assure la victoire aux élections.
Ils cessent d’ailleurs d’avoir en tête l’orthodoxie du néolibéralisme économique dès qu’ils voient que le nombre de chômeurs de leur circonscritpion augmente etc.
Tout cela crée un solide sens des réalités qui résiste à toutes les idéologies, même si le recours à certaines d’entre elles s’impose moins par conviction intérieure, sans doute, que par commodité: le hobbesisme vulgarisé à l’avantage de reposer sur une axiomatique beaucoup plus sommaire que, par exemple, le libéralisme de Montesquieu ou de Tocqueville.
Bref, la droite française est dirigée depuis des lustres par des conservateurs modérés qui se donnent des allures de matamores néolibéraux. Peut-être est-ce d’ailleurs une façon de donner un peu de travail à leurs jeunes attachés parlementaires.
Enfin, ce que je dis était vrai de la droite française jusqu’à une époque très récente… Car je crains que les choses bougent depuis l’arrivée de Sarkozy au pouvoir.
Il faut dire qu’il y a peu de vaches à Neuilly.
Or la vache est l’avenir de l’homme!
6 octobre 2009 at 21:21
@Physdémon
Je ne suis pas certain que quelqu’un qui déclare (par exmeple) que: « le prix le plus bas n’est pas forcément le meilleurs » (au sujet de la 4eme licence téléphonie mobile) puisse être considéré comme faisant réellement une différence à droite par rapport aux ex « conservateurs modérés qui se donnent des allures de matamores neoliberaux ».
Mais ca nous éloigne de la philosophie. Mais pour y revenir j’avoue être très sceptique que ce soit au sujet des « Lumières naturelles » ou des « mains invisibles ».
6 octobre 2009 at 21:32
à Philarête,
Voici le texte de Lipovetsky auquel je pensais dans mon com.26:
« Il ne manque pas de phénomènes qui peuvent autoriser une interprétation relativiste ou nihiliste de l’univers hypermoderne. Dissolution des fondements incontestés du savoir, primat du pragmatisme et de l’argent roi, sentiment d’égale valeur de toutes les opinions et de toutes les cultures, autant d’éléments qui nourrissent l’idée que le scepticisme et la disparition des idéaux supérieurs constituent une caractéristique majeure de notre époque. La réalité observable donne-t-elle vraiment raison à un tel paradigme ?
S’il est indéniable que nombre de repères culturels se sont brouillés et que la dynamique technicienne et marchande organise des pans entiers de nos sociétés, il n’en demeure pas moins que l’effondrement du sens ne va pas jusqu’au bout de lui-même, ce dernier se déployant toujours sur fond de consensus fort et large portant sur les fondements éthico-politiques de la modernité libérale. Par delà la « guerre des dieux » et la puissance grandissante de la société de marché, s’affirme un noyau dur de valeurs partagées instaurant des limites strictes au rouleau compresseur de l’arraisonnement opérationaliste. Tout notre patrimoine éthico-politique n’a pas été éradiqué : des crans d’arrêt axiologiques demeurent qui empêchent d’accréditer l’interprétation radicaliste du nihilisme hypermoderne. En témoignent, en particulier, les protestations et engagements éthiques, la nouvelle consécration des droits de l’homme érigeant ceux-ci en centre de gravité idéologique et norme organisatrice omniprésente des actions collectives. Il n’est pas vrai que l’argent et l’efficacité soient devenus les principes et les fins ultimes des rapports sociaux. Comment comprendre, dans ce cas, la valeur reconnue à l’amour et à l’amitié ? Comment expliquer les réactions d’indignation face aux nouvelles formes d’esclavage et de barbarie ? D’où viennent les exigences de moralisation des échanges économiques, des médias et de la vie politique ? Même si l’époque est le théâtre d’une pluralité conflictuelle des conceptions du bien, elle est marquée, dans le même temps, par une réconciliation inédite avec ses fondements humanistes de base : jamais ceux-ci n’ont bénéficié d’une telle légitimité incontestée. Toutes les valeurs, tous les référentiels de sens n’ont pas volé en éclats : l’hypermodernité ce n’est pas « toujours plus de performance instrumentale, donc toujours moins de valeurs ayant force d’obligation » mais une spirale techno-marchande se doublant du renforcement unanime du tronc commun des valeurs humanistes démocratiques. »
Gilles LIPOVETSKY, Les Temps hypermodernes, LP, p. 96-98
Etonnant, de la part d’un ancien apôtre de la post-modernité…
7 octobre 2009 at 15:28
Je ne crois pas que l’on puisse faire de Hobbes le chantre de la tyrannie ou de l’autoritarisme (ce qui ressort parfois de quelques commentaires) : si les hommes acceptent de se soumettre au souverain, c’est uniquement afin qu’il garantisse l’exercice de leur liberté. Si le souverain y fait obstacle, ils n’ont plus de raison de reconnaître son autorité: le pacte est rompu. Ainsi s’il est vrai que seul un pouvoir fort peut garantir l’ordre public, seul un pouvoir non tyrannique et non arbitraire peut s’assurer de la reconnaissance et du soutien nécessaire à sa préservation.
Mais il est vrai que cette limitation du pouvoir de l’Etat est une auto-limitation. J’avoue, c’est un peu court. Mais quand même…
7 octobre 2009 at 19:40
Ah ben, il suffit que je m’éloigne deux jours et j’ai déjà une quinzaine de com à lire.
J’croyais avoir trouvé le blog pépère où les choses vont lentement, et puis c’est les cadences infernales.
Ralala.
7 octobre 2009 at 22:05
à Estula,
certains historiens des idées font de Hobbes un ancêtre du libéralisme contemporain. Cette thèse me paraît soutenable (quoiqu’elle ne me convainc pas) à condition de bien dire qu’elle est très paradoxale. Voici pourquoi:
Dire que Hobbes a fait l’apologie de la tyrannie n’est pas faire de la polémique:
cf. Léviathan, chap. 19, Folio p. 306:
« tyrannie et oligarchie ne sont que des noms différents pour monarchie et aristocratie ».
Comme par ailleurs Hobbes fait l’apologie de la monarchie absolue, il n’y a plus qu’à achever le syllogisme. Hobbes fait donc bien l’apologie, entre autre, de ce que tout le monde appelle tyrannie. Il est le premier à le reconnaître.
Avec Hobbes, on justifie non seulement Charles Ier et Louis XIV, mais aussi toutes sortes de dictatures comme celles de Buonaparte, Franco, Salazar et bien d’autres… La seule condition requise pour justifier leur pouvoir est qu’il soit assez fort pour garantir l’ordre public.
D’autre part, selon Hobbes, aucune limitation du pouvoir du Souverain (qui peut éventuellement être une assemblée, mais doit être de préférence un monarque) n’est légitime, une fois conclu le contrat fondateur:
« quoi qu’il fasse, cela ne peut constituer une injustice pour ses sujets, pas plus qu’il ne peut être accusé d’injustice par aucun d’eux. » Léviathan, ch. 18, §4.
Voir aussi ch. 21, §7 où Hobbes dit très sérieusement qu’en faisant assassiner Urie (2Samuel 11), David ne lui avait pas porté préjudice « parce que le droit de faire ce qu’il voulait avait été donné à David par Urie lui-même »!
On ne saurait être plus clair:
en, cas de litige entre le Souverain et ses sujets, le Souverain a toujours raison…
Comment voir là quelque chose qui préfigure la thématique libérale de la protection des droits des citoyens face à la puissance publique? Ce qui intéresse l’homme hobbesien, ce n’est pas la garantie de ses libertés, mais la garantie de l’ordre public. C’est pourquoi il est prêt à renoncer à tous ses droits naturel en échange de sa sécurité. C’est pourquoi les citoyens ne sont délivrés de leur devoir d’obéissance à l’égard du Souverain que si celui-ci n’est plus en mesure de les protéger.
Cela veut dire dans l’exemple ci-dessus que David a le droit d’ordonner à Joab d’assassiner Urie, que Joab a le devoir de lui obéir et que si Urie apprend la combine, il a quand même le droit de s’enfuir, mais que par contre Bethsabée a le devoir de rester la maîtresse du roi, puisque sa sécurité à elle n’est pas en cause. Comme la liberté est bien protégée dans le système hobbesien!
Maintenant, si on veut chercher des théories de la souveraineté qui préfigurent les démocraties modernes, je pense qu’il vaut mieux se tourner vers Grotius et surtout Pufendorf et Burlamaqui. (Cf. Robert Derathé, « Rousseau et la science politique de son temps »).
Evidemment, ils ont des noms ridicules, et comme ce sont des juristes, leur style est aussi ennuyeux que celui de Hobbes est vif, limpide, brillant… Mais au moins ils ont un souci du droit naturel qui préfigure notre libéralisme politique.
Alors pourquoi s’obstiner dans une lecture « révisionniste » de Hobbes qui, maintenant qu’elle est largement diffusée, finit par faire oublier à quelle point elle est paradoxale ?
Hobbes était un contre-révolutionnaire anglais, un cavalier qui savait très bien ce qu’il détestait: et ce qu’il détestait plus que tout, c’était le parlementarisme naissant des têtes rondes, parlementarisme qu’il s’est efforcé d’étouffer dans l’oeuf.
A ce compte, autant faire de Joseph de Maistre le concepteur de la laïcité moderne sous prétexte qu’il reconnaît que pouvoir temporel et pouvoir spirituel ne doivent jamais être confondus…
Un dernier mot sur Hobbes:
Hobbes est méchant.
Ce n’est pas moi qui le dit, mais lui-même puisque, pour lui, tous les hommes sont foncièrement méchants.
Mais on peut aimer les méchants.
D’ailleurs, c’est mon cas: j’aime bien Hobbes.
Mais je me méfie des politiques qui s’inspirent de ses idées…
8 octobre 2009 at 20:18
Ah! Bonsoir Physdémon,
Il suffit que je vous lise pour avoir l’impression qu’une bibliothèque me tombe dessus.
Ce que j’avais compris de la discussion était le point suivant.
Philarête reprend à son compte pour l’appliquer au net, à travers son commentaire de l’article de F. Copé la proposition de Hobbes selon laquelle, d’après lui, peu importe la teneur exacte des règles, peu importe que les loi soient justes ou injustes, ce qui compte c’est leur autorité, donc le fait qu’elles aient été discutées par ceux auxquels elles s’appliquent et approuvées.
Et il affirme:
« L’important n’est pas que les règles soient justes, mais qu’elles soient respectées. »
Puis ajoute: Hobbes est un libéral.
En fait je crois bien que la seule idée un peu libérale de Hobbes est celle qui est reprise par Smith et qui consiste à dire qu’on est guidé par son intérêt, mais Smith ajoutait que l’ensemble des intérêts égoïstes des individus concoure à l’intérêt collectif de la société.
Aujourd’hui on ajoute à notre tour la formule « greed si good » pour dire que le principe au non duquel les vices sont une vertu en économie est applicable à l’ensemble de la société, qui n’est qu’économie.
La tendance naturelle de l’économie, entendue de ce sens là, étant de produire une « turbulence », donc un certaine anarchie dans TOUS LES DOMAINES DE LA VIE SOCIALE,y-compirs le net donc, Phil revient au point de départ fixé par Hobbes et en arrive à dire cette phrase extraordinaire, citée plus haut:
« L’important n’est pas que les règles soient justes, mais qu’elles soient respectées. »
C’est la peur de l’anarchie qui le guide vers cette forme d’autoritarisme auto acceptée par les citoyens – ou les sujets – parce qu’elle est discutée et librement acceptée par eux.
A ses yeux, l’injustice des règles est moins importante que l’ordre public, si et seulement si la procédure démocratique a été respectée.
En clair, la loi peut tout faire, du moment qu’elle est votée démocratiquement. La règle peut tout décider du moment qu’elle est élaborée dans la concertation.
Inutile de vous dire que cela remet en cause pas mal de chose dans l’ordre philosophico-juridique de notre société, parce qu’à l’issue d’une histoire assez mouvementée nous avons très précisément décidé que justement la règle ne pouvait pas tout décider, même si elle était démocratique.
Et il en vient à caresser le concept de société totalitaire non liberticide qui me fascine depuis un certain temps, mais en l’abordant par un autre côté.
Voilà comment je me pose le problème.
8 octobre 2009 at 21:37
Cher Tschok,
je crois que vous êtes avocat. Mais si la magistrature était élective comme aux Etats-Unis, je voterais tout de suite pour vous, car vous avez un talent admirable pour recadrer les débats!
Je confesse que je me suis un peu éloigné du sujet, peut-être emporté par ma haine amoureuse (ou mon amour haineux) pour Hobbes.
Le point important est:
Peut-on dire :
“L’important n’est pas que les règles soient justes, mais qu’elles soient respectées” ?
Et je suis mille fois d’accord avec vous pour voir là s’annoncer la possibilité d’une démocratie où :
« la loi peut tout faire, du moment qu’elle est votée démocratiquement ».
Sans aller jusqu’à parler de « totalitarisme liberticide », je parlerais plutôt d' »absolutisme démocratique ». Voulons-nous vivre dans une « démocratie absolue » (comme il y a eu une monarchie absolue ») ou bien dans une démocratie tempérée par des principes de droits intangibles?
Si Hobbes est influent de nos jours, c’est à mon sens parce qu’il a inventé un concept de souveraineté que les républicains héritiers de Rousseau se sont contentés de transférer de la personne physique du monarque à celle du peuple souverain.
Or c’est cette omnipotence qu’a combattue la tradition libérale passant par Locke et Tocqueville.
C’est également contre cela que lutte de toutes ses forces la doctrine sociale de l’Eglise. Je crois me souvenir que le Cardinal Ratzinger a débattu d’un sujet assez proche avec Jürgen Habermas quelques mois avant de devenir Pape…
9 octobre 2009 at 14:57
Une démocratie absolue… c’est pas idiot comme appellation. Elle est parlante.
Juste une remarque: j’ai parlé de société totalitaire NON liberticide dans mon com 32.
J’emploie l’acronyme TNL pour simpifier. Et aussi le concept de de CAG (prononcez « cage »): contrôle actif généralisé, ou global.
Dans le CAG, le contrôle est actif: les citoyens sont eux mêmes demandeurs de contrôles et de sanctions et les exercent spontanément sur autrui. Nous devenons tous flics, censeurs, juges, etc les uns des autres.
Le contrôle est généralisé, global: il porte sur tous les domaines de la vie sociale, à l’occasion de tous les gestes de la vie même les plus anodins.
Je vais vous donner un exemple pour bien saisir la notion.
Admettons que nous décidions de lutter contre les accidents domestiques, qui font plus de morts en France que les accidents de la route. C’est une bonne intention, qui pourrait être contre?
Nous allons donc développer une notion de « terroristes domestique » comme nous avons développé une notion de « terroriste de la route » pour lutter contre les chauffards. Qui pourrait être contre, car il y a vraiment trop de négligences coupables qui coûtent tant de vie?
Puis nous allons sacraliser les victimes ce qui nous permettra de nous placer dans le prisme méchant-gentil: tous ces gens négligents ne méritent t’ils pas d’être punis? Après tout, être libre, c’est être responsable, non?
Admettons que parmi les nombreuses mesures qui seront prises pour lutter contre les accidents domestiques on isole un compartiment particulier de victimes: les enfants gravement brûlés parce qu’il ont saisi la queue de la casserole qui dépassait de la cuisinière.
Et on va dire: faire dépasser par négligence la queue de la casserole de la cuisinière est un geste équivalent à un crime, ce qui justifie la mise en place d’une dispositif de surveillance et d’alerte au sein même du domicile privé.
Qui pourrait être contre cela, puisqu’il s’agit d’épargner à nos enfants des souffrances atroces souvent mortelles, et en tout cas avec des séquelles extrêmement graves?
Ne venez pas dire que le droit à l’intimité de votre vie privée justifie qu’on sacrifie la vie de nos enfants, sinon vous seriez vraiment une ordure!
Donc on votera un loi qui prévoira l’installation au-dessus de la cuisinière d’une webcam reliée à un ordinateur central logé dans les locaux d’un futur Ministère de la Sécurité Civile et de l’Identité Nationale, ledit ordinateur doté d’un logiciel de reconnaissance d’images lui permettant de repérer la queue de la casserole litigieuse à partir des millions de webcam connectées et diffusant instantanément un message d’alerte à votre domicile, par l’intermédiaire de votre PC domestique relié lui-même à votre chaine HIFI par wifi. Ou à votre téléphone portable, peu importe.
Au bout d’un certain nombre de messages d’alerte, vous serez déclaré « parent irresponsable » par une Haute Autorité Administrative Indépendante chargée de la protection de l’enfance.
A l’issue d’une procédure allégée qui fera intervenir notamment un magistrat au sein d’une commission administrative, la garde de votre enfant pourra vous être retirée pour être confiée à des « parents responsables », qui se sont signalés auprès des autorités pour leur bonne conduite notoire et leur probité sans faille.
Une loi pénale rendra bien sûr obligatoire l’installation de la webcam par un installateur agréé, sous peine de prison et d’amende, et il sera impossible de connecter au réseau EDF ou GDF une cuisinière sans cet agrément, sous peine de sanctions pénales également.
Le scénario que je vous décris relève pour l’instant de la science fiction. Pour l’instant seulement, car si vous observez ce qui se passe déjà en matière d’informatique grand public, on est dans ce type de logique.
Voilà ce qu’est la TNL et le CAG, enfin un échantillon de ce que cela peut être, car il existe une infinité de formes de CAG.
J’en reviens à l’expression « démocratie absolue ».
Tout ce que je viens de décrire est absolument démocratique, car à aucun moment il n’est question que la mise en place de ce dispositif de surveillance soit décidée par un autre pouvoir que celui du peuple, qui s’exprime par ses représentants et les corps intermédiaires.
Dans le fond, tout cela n’aura été mis en place que parce qu’il s’est exprimée tout à fait légitimement une demande sociale on ne peut plus légitime là encore: protéger nos enfants contre les accidents domestiques causés par la négligence.
Pour l’instant, le comportement que je décris relève de notre appréciation personnelle sans qu’aucune loi n’intervienne. La société nous confie simplement le soin d’être prudent et vigilant, surtout avec des enfants.
Mais il n’existe aucun texte spéciaux qui vise un comportement particulier à ne pas avoir en cuisine avec une casserole brulante, alors qu’un enfant se trouve à proximité.
C’est simplement notre « gros bon sens » qui nous dit de faire gaffe.
Il est manifestement insuffisant vu le nombre d’accidents domestique, d’où l’idée très naturelle de recourir à une loi.
Si on applique ce raisonnement à toute activité humaine susceptible de générer un préjudice on arrive rapidement à la conclusion qu’il n’existe que très peu de comportements humains absolument insusceptibles de générer un préjudice.
Donc, il est possible d’étendre à tout le champ de l’activité humaine le CAG.
Et on arrive très naturellement à la TNL.
C’est même du billard.
Relisez ce qu’écrit Philarête dans ce post: il pose la base idéologique qui permet d’amorcer le raisonnement TNL CAG.
Peu importe que les lois soient justes ou injustes, l’important c’est qu’elles soient respectées.
Et, je le répète, ce n’est pas liberticide puisque nous consentons nous mêmes à la soumission que nous nous imposons.
Et nous le ferons même sur la base du contrat social de Rousseau: la loi étant l’expression de la volonté générale, en me soumettant à la loi je ne fais que me soumettre à moi-même. Je reste donc un homme libre.
Je mets en place un système totalitaire, mais je le fais librement.
Intéressant mécanisme, non?
9 octobre 2009 at 15:28
Désolé de ne pouvoir intervenir comme je le voudrais dans ce débat. J’espère seulement qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur ma propre position, il est vrai plus suggérée qu’énoncée clairement. Le but du billet est de suggérer que le propos de Copé s’inscrit dans une certaine tradition de la pensée libérale — celle qui pose les hommes égoïstes et méchants. Ce n’est pas le seul courant libéral qui existe, mais c’est un courant consistant, qui va de Hobbes à Kelsen, si l’on veut, en passant par Mandeville et Smith. Ce qui m’importe dans ce petit diagnostic, au fond, c’est de montrer que Copé, en bon libéral (j’insiste) est incapable de faire intervenir la dimension politique des affaires humaines autrement que sous la forme d’une loi répressive. Autrement, il ne connaît que des individus jaloux de leurs droits. L’idée qu’il existe des communautés politiques, un intérêt général, des objectifs importants pour une société en tant que telle, tout cela, il l’ignore. Son approche de l’Internet est entièrement dépourvue de dimension politique — autrement que sous les espèces d’un Etat-flic. Et j’essaie de montrer que cela est cohérent avec une anthropologie « hobbésienne ».
Enfin, j’ajoute que des conclusions « à la Hobbes » (des lois absolues pour protéger chaque citoyen de tous les autres) sont les plus cohérentes (et peut-être les seules cohérentes) lorsqu’on adopte une anthropologie hobbésienne. Ce qui me semble être le cas de beaucoup de nos contemporains.
Si l’on n’aime pas ces conclusions — je veux dire, celles de Hobbes — alors il faut réviser l’anthropologie de départ.
C’est juste cela que je voulais dire. Bien entendu, je n’adhère pas moi-même à cette anthropologie.
10 octobre 2009 at 11:21
Votre billet résonne avec une de mes préoccupations principales :
Quel est le projet de société de notre Nation ?
Quel intérêt commun doit-on inventer qui pourrait nous aider à surmonter nos intérêts particuliers ?
Pour nous éviter de passer d’une nation hétérogène à une nation irrémédiablement hétéroclite.
Au fond, je me demande quelle est ma mission d’éducateur car en tant qu’instituteur je ne me conçois pas comme un simple instructeur.
Pour en revenir au thème de votre billet, je cite Wolton et son désir de réguler ce qui se passe à la sortie des boyaux de l’internet :
» Le problème n’est plus seulement celui de l’information mais davantage celui des conditions à satisfaire pour que des millions d’individus communiquent, où plutôt arrivent à cohabiter dans un monde où chacun voit tout et sait tout et où les innombrables différences linguistiques, philosophiques, politiques, culturelles, religieuses rendent encore plus difficiles la communication et la tolérance. » (p 11 de « Informer n’est pas communiquer »)
C’est le défi que nous pose l’arrivée de ce nouvel outil qu’est l’internet, et auquel l’anthropologie hobbésienne, si je vous comprends bien, ne peut répondre sans nous faire courir le risque de nouvelles dérives.
11 octobre 2009 at 14:07
Seulement la premisse est fausse. Il y a des règles sur Internet et c’est pourquoi ce n’est ni l’anarchie, ni les bisounours. Que les politiques ne les connaissent ni ne les comprennent, est le le cœur du problème. Sur Internet, on parle d’usage, de charte, de netiquette, de norme, et de respect des lois nationales et supranationales, etc. Ces règles sont non seulement consensuelles mais aussi internationales. Y a-t-il besoin que le politique rajoute une couche de règle? Je ne pense pas. D’autant que son approche est en porte-à-faux avec l’esprit du monde. Calquer le modèle de l’état teritorial sur la noosphere du net, c’est comme dénoncer Schengen unilatéralement en Europe. Ça va dans le mauvais sens. Et que dire de cette fable qui ferait d’Internet un espace public? Votre blog est un espace privé libre d’accès sous les limites et règles que vous fixez. Quand à la sphère commerciale est déjà sous la tutelle du droit commercial. Enfin, le droit à l’oubli, vaste blague que nos personnages publics la demande. De un, la cnil est là pour ça, de deux, pardonner n’est pas oublier. Un criminel, même si il à payer, vit avec son histoire et doit l’assumer. Que la société doive faire évoluer sa conscience et accepter qu’un homme, même si il a fauté, a droit à une deuxième chance, ne peut se faire justement que si on ne tombe pas dans la facilité de l’oubli.
Non, vraiment, Internet n’est pas le farwest. Ce n’est pas une nouvelle dimension de l’espace et du temps. Internet est une absence d’espace et de temps, plus proche de votre esprit que votre corps. Et en cela, à ce que je sache, l’Etat n’a pas a se mêler de que je pense!
11 octobre 2009 at 15:45
@One : le droit à l’oubli, c’est aussi la possibilité de supprimer les photos de moi, bourré, quand j’avais 21 ans et qui sont sur un forum archivé et dupliqué à présent que je cherche du boulot (cet exemple est complètement fictif : je ne cherche pas de boulot :-)).
Bref, c’est beaucoup plus large que les aspects pénaux ou criminels.
Mais par ailleurs, je suis d’accord sur le fait que les acteurs d’Internet s’organisent eux-mêmes déjà pour édicter nombre de règles et n’ont pas attendu les politiques pour ça.
11 octobre 2009 at 19:03
@novice
vous avez déjà le pouvoir (de par la loi) de demander le retrait de toute information personnelle sur support informatique, et ce depuis au moins 10 ans. Et entre nous, vous n’avez rien a regretter si un gars ne vous embauche pas pour vos photos bourré. vous ne travaillerez pas pour un %$%# comme ca.
Non, le droit a l’oubli concerne les personnes publiques: élus, prisonniers, artistes, etc.. dont les frasques colorent la presse. La presse peut toujours archiver dans les bibliothèques, mais plus sur internet. L’information est trop facilement accessible. Aussi, ce qu’il nous demandent, c’est qu’on leur donne le pouvoir de nous rendre amnésiques. D’oublier l’affaire Clearstream, l’auvergnat d’hortefeux, le bouquin de mitterand, ou le gang des barbares, la bande a bono, etc…
Franchement, ne tomber pas dans le piege, le politique se fout complètement de votre vie et de vos photos. ce qui les intéressent, c’est EUX.
11 octobre 2009 at 20:41
@One : Laure Manaudou a eu besoin d’un avocat à plein temps pour faire ça pendant un certain temps. Mais bref, même pour les cas pénaux et criminels (si on oublie les personnalités politiques), vous écrivez : « Un criminel, même si il à payer, vit avec son histoire et doit l’assumer. »
Là dedans, il y a un petit retour du cas Jean Valjean se promenant avec son passeport de bagnard, non ? Le souhaitez-vous ?
(et non : une comparaison avec Jean Valjean ne vaut pas un point Godwin ;-)).
11 octobre 2009 at 20:57
@novice laure manaudou est une personne publique. Son avocat se battait contre la liberte de la presse.
Son avocat a reussit a les faire retirer. tres bien. la justice a fait son oeuvre.
Si vous, vous souhaitez retirer vos photos de facebook, google, ou meme de l administration, ils vous suffit de les contacter. ils sont dans l’obligation de s’executer.
Quand a jean valjean (s’il eu existait), ce que je veux eviter, c’est qu’on rature son nom de tout les journaux qui ont parles de lui.
mon avis est que toute cette histoire de droit a l’oublie frise le revisionisme. Si certainement, des cas mériterait un « oublie », le systeme judiciaire est suffisamment performant pour qu’il n’y ait besoin d’user d’une loi pour en faire un automatisme.
12 octobre 2009 at 22:52
@ Oneo,
Je ne pense pas qu’il soit absurde d’associer l’Internet à l’idée d’espace public, loin de là.
Internet est double.
Il offre à la fois, en effet, une technique de correspondance privée (les mails, notamment), mais propose également un espace de communication publique.
Juridiquement, et même si la question ne se pose pas totalement dans ces termes (espace public vs espace privé), elle est tranchée: les textes écrits sur un blog, que ce soit par celui qui l’anime, ou par les commentateurs, sont bien des publications, au sens légal du terme.
Vous pouvez donc vous rendre coupable de n’importe quelle infraction de presse, la diffamation, l’injure, les différentes provocations, négation de crime contre l’humanité, et autres.
En ce sens, je vous rejoins pour dire qu’Internet, en effet, loin de souffrir d’un manque de droit pourrait bien souffrir plutôt d’un excès de droit. Beaucoup de textes lui sont applicables, qui recouvrent non seulement des domaines multiples (le droit pénal avec par ex. les infractions de presse, le droit civil avec par ex. les atteintes à la vie privée, le droit commercial avec par ex. les problèmes de contrefaçon, j’en passe) mais aussi des espaces juridiques multiples (quel droit appliquer à un espace aussi « extra-national » : le droit national de l’hébergeur ? Du défendeur ? Du demandeur ?
Ceci dit, la question de la délimitation sphère publique / sphère privée est effectivement l’une des problématiques juridiques de l’Internet.
Ce que je trouve intéressant, dans votre propos, c’est que, pour vous, il ne fait aucun doute qu’un blog, comme celui-ci, est un espace privé.
Nous sommes ici chez Philarête. Il est notre hôte. Nous sommes chez lui.
Je crois que cette façon de voir est très répandue, chez ceux qui fréquentent régulièrement les blogs. Raison pour laquelle il sera le plus souvent admis par les internautes qu' »invités » chez tel ou tel, ils sont soumis aux règles de courtoisie que ce dernier définira.
Plus cette façon de voir est naturelle, plus l’idée d’une régulation de ces activités « privées » semblera profondément contraignante.
On trouve parfois des internautes qui n’ont pas la même position, cependant, même si je tends à penser qu’ils sont minoritaires.
Certains, empêchés de poster leurs commentaires chez tel ou tel, vont crier à la censure, alors même qu’ils ont posté (ou pourront poster) vingt fois, sur vingt sites différents, ce commentaire là dont ils se plaignent – sans craindre le paradoxe – qu’il a été censuré.
Eux, ce sont nos Hyde Park Corner’s speakers.
Debout sur leurs caisses à savon, ils tiennent à parler, ici et maintenant, et toute interruption équivaudra à les priver de leur liberté d’expression.
Et admettons qu’ils ont quelques raisons de penser de cette façon. Après tout, Philarête (par exemple) ne réserve nullement son blog à qui que ce soit en particulier, pas plus qu’il ne sélectionne ses commentateurs. Ses propos sont publics, et le champs « laisser un commentaire » est accessible à tous.
Alors, a t-il vraiment pu « privatiser » cet espace virtuel, cet espace qui n’en occupe aucun, mais les touche presque tous ?
A t-il vraiment pu s’approprier cet espace où nous intervenons, où nous interagissons sans autre limites que celles que nous nous fixons mutuellement, par la façon que nous aurons de nous répondre ou de nous ignorer, de nous saluer ou de nous disputer, et qui m’évoquent les « commons » anglais, espaces dont (dit-on) « nul n’est le souverain, mais où chacun se sent chez soi? ».
Admettez que cela se discute, finalement.
Ceci dit, concrètement, pour en revenir au droit positif, la question a été tranchée, et avec une rigueur logique peu critiquable.
Les propos tenus ici comme ailleurs, dès lors qu’ils sont accessibles au public, sont des publications, et relèvent donc, dans une large mesure, du droit de la presse.
Les lois actuelles, en France, (LCEN incluse, bien entendu) permettent, à mon sens, d’encadrer avec suffisamment de pertinence nos activités sur la toile.
Par contre, la répression – c’est-à-dire le mise en œuvre concrète et violente des textes existants – ne semble pas pour l’instant s’est pratiquement organisée.
HADOPI ne crée aucun droit nouveau : elle cherche essentiellement à organiser la massification et la systématisation de la répression. J’utilise ce terme d’une façon relativement neutre, la répression n’est pas évidemment pas injuste par nature.
C’est la raison pour laquelle les propos de Copé (d’une platitude qui devrait être pénalement réprimée, par parenthèse) me laissent songeuse.
Qu’appelle t-il « régulation » exactement ?
S’agit-il de créer de nouveaux droits ou s’agit-il d’assurer un meilleur respect de ceux qui existent d’ores et déjà ? Parle t-il de fond, ou de procédure ? Légiférer ou réprimer ?