Nota bene : Cet article a été mis à jour quelques heures après sa publication (voir ci-dessous).
Il est 11h30, ce 2 novembre (jour des morts), et je cherche toujours en vain, sur le site du journal Le Monde, une information quelconque sur la tuerie survenue à Bagdad durant une messe, dimanche dernier. Libération titre «58 morts après le carnage d’Al-Qaeda dans une église à Bagdad». La Croix fait sa Une d’aujourd’hui sur cet événement sanglant. Le Monde n’a pas l’air au courant qu’il s’agit d’un des épisodes les plus meurtriers du long calvaire des chrétiens d’Irak dont la communauté, depuis l’invasion américaine de 2003, s’est réduite d’un tiers — conséquence de l’exode provoqué par la persécution dont ils sont victimes.
Petit rappel grâce à La Croix:
Bien antérieure à l’islam, la communauté chrétienne irakienne est considérée comme l’une des plus anciennes du Moyen-Orient.
Aujourd’hui, on estime que les chrétiens d’Irak ne représentent plus que 3 % de la population, soit environ 600 000 personnes. À la fin des années 1980, ils étaient 1,2 million, sur 23 millions d’habitants. Ce qui signifie que la moitié d’entre eux ont fui depuis les années 1990 à cause de l’embargo infligé au temps de Saddam Hussein, puis du fait des violences déclenchées par l’invasion anglo-américaine de l’Irak en 2003.(…)
La plus importante communauté est celle des chaldéens (environ 350 000 fidèles). Catholique, sa langue liturgique est l’araméen [la langue du Christ, précise le blogueur].
La communauté syrienne-catholique, meurtrie par l’attentat de dimanche 31 octobre, est de taille plus modeste, environ 40 000 membres, héritière du schisme nestorien, avec les syriens-orthodoxes (30 000 en Irak).
Le silence du Monde est une bien triste métaphore de celui d’une large partie de l’Occident sur le sort de ces chrétiens. Comme s’il était déjà admis qu’ils n’ont vraiment rien à faire dans ce Proche-Orient où sont pourtant une partie de nos racines.
Mise à jour à 17:50: l’information semble bien s’être trouvée sur le site du Monde, dès le 31 octobre, hélas d’abord recouverte par d’autres nouvelles, avant de recevoir le traitement qu’elle mérite. L’éditorial du Monde daté du 3 octobre est consacré à l’exode des chrétiens d’Irak. Je laisse mon billet pratiquement en l’état, d’abord parce qu’il contient tout de même quelques informations avérées, ensuite parce qu’il témoigne, pour ma confusion, du risque de réagir «à chaud» – sans laisser l’esprit de l’escalier fonctionner à son rythme… Merci à Physdémon et Gwynplaine de leur promptitude à me corriger.
2 novembre 2010 at 16:40
Cher Philarête,
Je partage ton émotion.
Mais je crois que Le Monde a rendu compte de cette atrocité dès dimanche. Il a modifié ensuite le titre de l’article, lundi soir, pour, je suppose, le réactualiser.
D’où ta déconvenue de ce matin, le titre de l’article ne portant plus sur la tuerie mais sur la réaction de notre ministre de l’intérieur.
Cela dit, le fait qu’une opération de communication gouvernementale passe avant l’événement lui-même n’est peut-être pas anodin…
Voici l’adresse:
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2010/10/31/irak-une-eglise-prise-d-assaut-par-un-commando-a-bagdad_1433659_321
2 novembre 2010 at 17:04
Le lien ne fonctionne pas (mais il devait renvoyer à une dépêche, parue au moins dans l’édition papier du journal daté d’aujourd’hui).
Un article en bonne et due forme vient tout juste d’être publié sur le site du Monde, signé par Stéphanie Le Bars.
Mieux encore, l’éditorial est consacré au sujet.
J’hésite encore: dois-je supprimer ou corriger mon billet, ou bien le laisser comme un témoignage de ce qui était vrai à l’heure où j’ai écrit? Car je peux assurer que j’avais bien fouillé le site avant de me lancer!
Du reste, j’ai eu tort de me focaliser sur « Le Monde » (déception de lecteur mise à part). C’est bien sous le coup de l’émotion causée par ce massacre que j’ai écrit.
2 novembre 2010 at 17:57
Il manquait la fin du lien de Physdémon, le voici donc en entier :
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2010/10/31/irak-une-eglise-prise-d-assaut-par-un-commando-a-bagdad_1433659_3218.html
3 novembre 2010 at 15:53
Cher Philarête,
Ne bats pas ta coulpe si fort. En matière de communication, c’est toujours le communicant qui a tort. Or, si tu n’as pas trouvé tout de suite l’article que tu cherchais sur le site du Monde, c’est ben parce que la rédaction du Monde(du moins celle du site) en sous-estimait la gravité, du moins sur le moment.
D’autre part, je trouve que dans son exposition des faits, le Monde donne trop de place aux doléances des terroristes, comme si les chrétiens lâchement assassinés pouvaient être en quelque façon complices de cette histoire assez fumeuse d’enlèvement en Egypte de deux femmes supposées s’être converties à l’islam.
Du reste, je n’ai trouvé nulle part d’informations sur la communauté copte incriminée par les terroristes d’Al Quaida: on ne sait même pas s’il s’agit de coptes fidèles à Rome ou d’une Eglise autocéphale…
Les terroristes le savent-ils eux-mêmes d’ailleurs ? Apparemment non, puisqu’ils appellent au meurtre de tous les chrétiens indistinctement.
D’ailleurs, a-t-on remarqué qu’il s’agit là d’un appel à génocide, au sens précis du terme? Le relever est important pour qualifier ce genre d’attentat de crime contre l’humanité, avec toutes les conséquences que cela implique en terme de droit international. Pourquoi une presse par ailleurs si prompte à victimiser les uns ou les autres rechigne-t-elle à employer ici la terminologie qui convient? Le terme de génocide constitue-t-il une appellation d’origine contrôlée ? Ou bien rechigne-t-on à voir que, de nos jours, ce sont bien les chrétiens de certains pays musulmans qui constituent les minorités les plus férocement opprimés? L’aveuglement de la presse aurait-elle sa cause dans certains préjugés antichrétiens largement partagés et entretenus dans certains organes d’influence?
Toutes ces questions méritent d’être posées.
Quant à Kouchner, si soucieux d’accueillir quelques réfugiés chrétiens d’Irak, je suis bien étonné que personne ne le questionne sur son approbation de la guerre d’Irak en 2003. Ni ne questionne Nicolas Sarkozy sur le choix qu’il a fait de ce ministre… ainsi que sur sa propre attitude en 2003, où je n’ai pas souvenir qu’il ait fermement appuyé la résistance de Villepin et Chirac aux projets belliqueux de Bush… Savoir quelle vision a notre président de l’avenir du Moyen Orient ne semble intéresser pas grand monde…Curieux, non ?
C’est pourtant bien le job d’un journal comme le Monde de poser de telles questions.
4 novembre 2010 at 00:18
[…] la difficulté des médias à prendre en compte cette tragédie, même s’il a ensuite amendé son propos qui fustigeait Le Monde. Les revues catholiques, de La Vie à Famille Chrétienne, couvrent […]
4 novembre 2010 at 13:37
Il me semble en tous cas que la douloureuse question de la persécution anti-chrétienne au Proche Orient donne une actualité spéciale à la réflexion sur le «multiculturalisme» engagée précédemment. Ça m’ennuierait, notamment, que mon scepticisme en la matière puisse servir de caution intellectuelle à l’idée que l’Irak, par exemple, est une «terre d’islam» où les chrétiens doivent être considérés au mieux comme des hôtes tolérés!
Ce qui est en jeu, dans l’idée d’une démocratisation d’un pays comme l’Irak, c’est précisément l’édification d’une conscience nationale moderne où des communautés distinctes puissent se sentir toutes comme des composantes essentielles d’une «identité» irakienne. Et l’on sent bien que ce n’est pas le chemin emprunté pour l’instant, sous l’œil des Américains…
Rétrospectivement, on peut peut-être aussi trouver dans l’Irak de Saddam une petite confirmation empirique de l’accointance entre multiculturalisme (au sens sérieux du mot) et régimes autoritaires.
Mais je dois avant tout confesser ma grande ignorance des réalités politiques proche-orientales.
5 novembre 2010 at 19:59
Mais, n’êtes vous pas des capitalistes de la pensée?
L’homicide de 300.000 êtres humains pour de mauvaises raisons, mais très chrétiennes selon la doctrine tea party, cède très rapidement le pas devant l’homicide de moins d’un cent pour de bonnes raisons.
Et vous voilà à arbitrer des conflits dits éthiques comme si le salut de votre âme était l’équivalent d’un point de retraite.
Philarête, une phrase comme celle là:
« Rétrospectivement, on peut peut-être aussi trouver dans l’Irak de Saddam une petite confirmation empirique de l’accointance entre multiculturalisme (au sens sérieux du mot) et régimes autoritaires »
… Vous fait frôler la flamme de la lampe.
Avant elle, vous vous en êtes pris aux Lumières, et vous avez cru pouvoir y sonder les racines du totalitarismes.
Maintenant c’est le multiculturalisme. Soit.
Drôle de réflexe tout de même.
Comme si c’était un prototype de la pensée, comme un blindage, qui devait résister à tous les coups, à toutes les contradictions que la pensée ou l’action peut porter contre lui.
Il faut s’habituer à cette idée qu’avec le multiculturalisme, nous allons perdre pour gagner à la fin.
Gagner quoi, on ne sait pas.
Et c’est vous, les cathos, qui nous faites un concours de doute pour nous dire que vous ne croyez plus?
Bon, ok.
Pas de problème. La république laïque assume.
Vous croyez à quoi? La bible et la matraque?
Sans problème. C’est assuré jusqu’en 2012.
Envoyez nous un mail d’ici là.
PS: ah oui! les chrétiens d’Orient! Je les avais oubliés. C’est vos bébés phoques à vous.
Sincèrement vous attendez quoi d’une république laïque? Qu’elle s’engage pour une religion?
5 novembre 2010 at 21:37
Euh… toujours dérouté par la répartie et le mode de pensée de Tschok.
Je ne réagirai que sur un point de détail : « très chrétiennes selon la doctrine tea party ».
Non-sens absolu. Le mouvement Tea Party est peut-être un fleuve formé par tout plein de ruisseaux, mais j’ai du mal à y voir un truc chrétien.
Rand Paul s’illustrait à l’université en organisant des pastiches de cérémonies religieuses pour ridiculiser le christianisme. Si quelques sites « catho » français se gargarisent de son succès, c’est pour des raisons idéologiques bien éloignées de la religion, ne leur en déplaise.
Provocateur, le Tschok ?
6 novembre 2010 at 00:25
à Tschok,
je vous rappelle que l’intervention américaine en Irak a été désapprouvée par TOUTES les églises au États-Unis, à l’exception de la conférence des baptistes du Sud.
On ne peut donc vraiment pas dire que les chrétiens des États-Unis ou d’ailleurs(à l’exception des baptistes du Sud) aient la moindre responsabilité concernant les 300 000 morts de la guerre d’Irak.
Ensuite, si la mort des chrétiens d’Irak nous émeut particulièrement, c’est parce qu’ils sont les plus faibles du Moyen Orient: on ne voit pas sur le soutien de qui ils peuvent compter, à part nous. Les chiites peuvent compter sur l’appui des iraniens, les Sunnites ont des alliés tout autour d’eux, les Kurdes contrôlent le nord de l’Irak. En revanche, les chrétiens d’Irak sont très, très vulnérables. Et ils le seront encore plus après le retrait des troupes américaines.
Ensuite, je ne vois pas quel rapport ils ont avec le mouvement des Tea Party où, certes, il y a quelques chrétiens américains, mais qui n’ont rien à voir avec les chrétiens de l’Irak et ne semblent pas trop préoccupés par leur sort.
Pour les rapports entre multiculturalisme et autoritarisme, j’ai bien l’impression que vous avez commis un contresens sur la remarque de Philarête. Vous faites comme s’il disait que le multiculturalisme pouvait être la cause des régimes autoritaires. Or il me semble que vous inversez ici le rapport de cause à effet (si tant est qu’il y en ait un): il me semble plutôt que Philarête voulait dire, tout au plus, que l’autoritarisme serait une cause possible de multiculturalisme, au sens où pour subsister il pourrait s’en accommoder.
Autre interprétation possible: penser que multiculturalisme et autoritarisme sont deux effets concomitants d’une même cause qui serait l’hétérogénéité des communautés ethniques. Pour arbitrer les litiges engendrés par ce type de structure sociale, il faut en effet un pouvoir fort et indépendant (le parti Baas était un parti laïque); la paix civile ainsi obtenue permet le mutliculturalisme, c’est-à-dire la coexistence pacifique de communautés distinctes qui ne se mélangent pas mais se respectent mutuellement.
Quoi qu’il en soit de l’interprétation proposée du lien observable entre multiculturalisme sociétal et autoritarisme politique, je ne vois rien qui permette d’attribuer à Philarête l’idée étrange que le multiculturalisme pourrait causer directement l’autoritarisme.
Quant à tourner en dérision l’idée qu’il puisse y avoir un lien entre les Lumières (ou plutôt la Révolution française) et le totalitarisme moderne, c’est faire preuve de beaucoup de légèreté. Cette idée est peut-être fausse mais elle a été soutenu par des penseurs aussi distingués que François Furet, Hannah Arendt ou Theodor Adorno. Si telle était la position de Philarête, ce dont je ne suis pas tout à fait sûr, on pourrait dire qu’il n’est pas en mauvaise compagnie. En tout cas, la question mérite mieux que d’être rejetée avec désinvolture.
Enfin, pour revenir aux chrétiens d’Irak, je crois que leur situation est suffisamment dramatique pour qu’on s’abstienne de parler d’eux sur le ton du persiflage ou de l’ironie facile.
6 novembre 2010 at 00:26
à Tschok,
Un dernier mot: d’une république laïque, j’attends qu’elle s’engage à assurer la coexistence pacifique de personnes ayant des convictions religieuses et philosophiques différentes.
Je croyais même que c’était pour ça qu’on avait inventé la laïcité…
6 novembre 2010 at 13:28
Encore un mot:
Les évêques d’Irak ont lancé un appel aux évêques de France pour obtenir le soutien des chrétiens d’Occident.
http://www.eglise.catholique.fr/actualites-et-evenements/actualites/un-appel-des-eveques-d-irak-aux-catholiques-de-france-9936.html
Je rappelle que depuis le règne de François 1er, qui s’était allié à Soliman le Magnifique, la diplomatie française a coutume de se porter garante des intérêts des chrétiens d’Orient. Ceci explique peut-être que nous autres Français nous sentions particulièrement solidaires de leur sort.
8 novembre 2010 at 16:53
@ Physdemon,
Permettez moi de limiter ma réponse à un seul thème, celui qui vous a le plus mobilisé, en laissant de côté les autres: retenons les chrétiens d’Orient.
Je crois que vous comprendrez sans mal ce qu’il y a de délicat pour une république laïque à condamner à titre particulier les attentats terroristes visant les communautés chrétiennes d’Orient.
Que ce soit condamnable en tant qu’attentat terroriste n’est même pas discutable, et là dessus je ne vois pas de contestation possible.
Mais condamner à titre particulier un attentat parce qu’il vise une communauté particulière n’est pas vraiment dans le credo laïc.
En outre, une condamnation de nature « communautaire » pourrait être exactement ce que recherche les auteurs de ces attentats qui peuvent vouloir une polarisation des opinions, sur des bases communautaires, dans le but de favoriser l’éclosion de ce qu’on appelle le « choc des civilisations ».
Il appartient aux diplomates de faire en sorte que ce choc des civilisations demeurent une chimère.
A partir de là, une absence de condamnation officielle émise par les autorités de l’Etat sur une base communautaire non seulement ne me choque pas, mais me parait correspondre à ce qu’il faut faire: seule une condamnation d’ordre général, c’est à dire dirigée contre le terrorisme en général, terrorisme qui a d’ailleurs fait au même moment de nombreuses victimes parmi les autres communautés religieuses, me paraît adapté.
Mais cela n’empêche nullement, de mon point de vue, tout ceux qui ne sont pas compris dans le périmètre laïc de s’exprimer sur le sujet pour condamner de tels actes sur une base communautaire ou plus universaliste, si telle est leur sensibilité (puisque la république n’a pas le monopole de l’universalisme).
Ainsi, le titre de La Croix ne me dérange nullement: l’organe de presse est dans sa fonction.
On peut même dire que si La Croix ne s’en était pas émue, on aurait pu être inquiet.
A côté de cela il y a la réaction que chacun doit avoir, religieux ou simple croyant ou athée ou autre, institutions républicaines ou religieuses, lorsque nous considérons les actes de discrimination religieuse dont sont victimes les ressortissants d’un Etat étranger qui, soit est incapable de les empêcher, soit les tolère, soit en fait carrément la promotion quand il n’en est pas lui-même l’auteur.
Là, c’est la discrimination qui met tout le monde d’accord: qu’elle soit exercée pour des motifs religieux est indifférent et la république est parfaitement habile à se saisir du motif religieux, pour le condamner, comme elle le ferait si le motif était racial par exemple.
Le problème dans le cas d’espèce est que si les chrétiens d’Orient passent effectivement par une mauvaise période dans un monde musulman qui a tendance à se radicaliser, il n’en reste pas moins qu’en Irak les chrétiens ont morflé comme les autres: dans une guerre qui devient à la fois civile et ethnico religieuse, chacun doit appartenir à un camp. C’est la logique des blocs.
Il est évident que les minoritaires, comme les chrétiens d’Irak, ne peuvent que s’en prendre plein la gueule pour pas un rond à un moment où un autre.
Même s’il est clair qu’il sont ou seront encore victimes de comportements qui ressortissent manifestement à l’intolérance religieuse dans ce qu’elle a de plus fanatique, ces comportements ne sont cependant pas discriminants au sens habituel, dans la mesure où l’intolérance fanatique est le contexte général: le seul tort des chrétiens est d’être pris dans un conflit qui les dépassent, mais ils peuvent se consoler en se disant qu’ils ne sont pas les seuls à être pris dans la tourmente.
Bien maigre consolation me direz vous.
Et c’est vrai!
On peut donc se demander comment les aider, tout simplement parce qu’ils sont dans la merde, sans intellectualiser le problème, comme on aiderait n’importe quelle population en difficulté (les Haïtiens par exemple) en se disant qu’après tout l’aide qu’on apporte à autrui est souvent plus efficace lorsqu’on a des affinités communes avec lui.
Par comparaison, on peut même se dire que la mission officielle de l’armée française en Afghanistan est d’apporter de l’aide aux Afghans, mais que le manque d’affinités communes fait que cette « aide » est perçue comme une « occupation », ce qui génère des résistances de tous ordres qui dérivent en guérillas.
Il est tout à fait admissible de se dire qu’il ne faut pas hésiter à privilégier ceux avec qui ont a des affinités communes dans l’aide qu’on peut apporter pour combattre les malheurs de ce monde.
Mais il ne faut pas perdre de vue qu’une telle comparaison, qui met en lumière l’intérêt des affinités communes est un rien angélique:
– D’une part, beaucoup d’Afghans pourrait nous faire remarquer avec légitimité qu’une « aide » qui se présente sous la forme d’une bombe de 450 kg guidée par GPS qu’on se reçoit sur le coin de la tronche est éminemment discutable en tant qu’aide, ce à quoi on répond que, nous, on n’est pas comme les Américains. Mais cet argument ne porte hélas pas;
– D’autre part, présupposer qu’il existe avec les chrétiens d’Orient des affinités communes qui les rendront plus proches de nous est peut être dans une large mesure un fantasme.
Combien de fois a t-on constaté dans l’histoire qu’un groupe religieux minoritaire a adopté la loi du for, c’est à dire la loi du milieu où il se trouve?
Cette assimilation volontaire de la minorité à son environnement est parfois si complète que la minorité religieuse en perd sa spécificité.
N’est ce pas ce qui s’est produit dans une très large mesure en France ou en Allemagne avec la communauté juive avant la Shoa?
Il n’est donc pas impossible que vos chrétiens d’Orient ne soient pas si proches que cela de vous.
Et puis surtout: qu’est ce qu’ils vont vous dire? Ils vont vous dire: « surtout ne m’aidez pas! Vous allez aggraver mon cas! Si vous m’aidez les autres vont m’en vouloir encore plus ».
Je ne dis pas que c’est ce qui va se produire, mais ça peut.
Je vous vois partir bille en tête, telle Brigitte Bardot protégeant les bébés phoques, invoquant François 1er, Soliman le magnifique et les coutumes de la diplomatie française (ce dernier élément me laisse franchement songeur).
Mais finalement dans un cas de figure de ce genre il y a deux façon d’agir:
– Soit vous réagissez sur un mode communautaire, même de façon très mesurée, comme Philarête, mais à ce moment là vous serez confronté aux problèmes dont je parlais précédemment, d’une façon ou d’une autre.
– Soit vous réagissez philosophiquement en vous disant qu’en fin de compte le problème c’est le fanatisme religieux. Quel est l’antidote? La laïcité.
Et là effectivement on peut réfléchir à ce que vous dites en com 10:
« d’une république laïque, j’attends qu’elle s’engage à assurer la coexistence pacifique de personnes ayant des convictions religieuses et philosophiques différentes. »
Certes oui, mais la république laïque ne fait régner cet ordre que sur l’étendue de son territoire.
Sur celui des autres Etats, elle n’a que les pouvoirs que lui donne la diplomatie et plus généralement son soft power (le pouvoir de convaincre).
Bref on est dans le moyen long terme.
Si vous accepter cela (c’est une approche un peu real politik j’en conviens) vous comprenez qu’on ne peut rien faire pour ces gens dans l’immédiat, sauf par petites touches et dans la discrétion, en faisant jouer des appuis parmi nos alliés locaux ou autres.
Et à la réflexion, c’est déjà énorme.
9 novembre 2010 at 00:42
à tschok
`
Vous dites :
« Mais condamner à titre particulier un attentat parce qu’il vise une communauté particulière n’est pas vraiment dans le credo laïc. »
On en reparlera la prochaine fois que des néonazis profaneront un cimetière juif…
Le problème n’est pas de savoir si les victimes d’attentat sont chrétiennes ou non, mais si elles appartiennent à une minorité particulièrement vulnérable.
Sans doute, tout le monde souffre en Irak. Mais la majorité a un avantage considérable sur les petites minorités: c’est d’être majoritaire, précisément.
D’où la nécessité de prêter une attention toute particulière aux chrétiens d’Orient.
Ensuite, s’il y a un peuple qui est bien placé pour les soutenir, c’est la République française. Je pense qu’un certain nombre d’Irakiens doivent se souvenir que la France n’est pour rien dans l’occupation américaine qu’ils viennent de subir…
Et si vous pensez que la solution des problèmes de l’Orient passe par la laïcité, on voit mal qui est mieux placé que la République française pour jouer un rôle protecteur à l’égard des chrétiens d’Irak, nation bien connue pour être laïque, tout autant qu’hostile à l’intervention américaine qui a fait tant de mal.
Sans compter que nous avons été, avec la défunte URSS, les principax soutiens de l’Irak au cours de la guerre irano-irakienne.
Plus j’y réfléchis, plus je me persuade qu’il n’y a que notre pays qui puisse faire quelque chose pour améliorer un tant soit peu le sort des Irakiens,en général, et tout particulièrement des chrétiens de ce pays.
Mais pour mener ce genre de politique, il faudrait se débarrasser au préalable de Kouchner et Sarkozy qui sont aujourd’hui un problème pour la diplomatie française, pour reprendre les mots que Dominique de Villepin a employés dans un autre sens : leur atlantisme nous conduit à une impasse.
9 novembre 2010 at 11:45
Mais Physdemon, je suis désolé, je serais ministre des affaires étrangères, je ne ferais pas de la protection des chrétiens d’Orient ou d’ailleurs un axe de la politique étrangère de la France, enfin voyons!
Dans la laïcité, il y a la notion de séparation, bien sûr, mais surtout celle d’impartialité (à laquelle on préfère parfois mais c’est un tort, je crois, celle de neutralité).
Un Etat laïc ne prend pas parti sur un terrain religieux. Jamais au grand jamais.
Donc, jouer un « rôle protecteur » des chrétiens d’ici ou de là, c’est pas dans ses cordes et ça ne doit pas l’être.
On peut effectivement prêter une attention particulière au traitement des minorités dans le monde musulman, en ce sens que c’est le signe de l’amoindrissement d’un certain pluralisme religieux dans ces sociétés, et vraisemblablement le symptôme d’une radicalisation de l’Islam.
Il ne faut pas confondre: si la république française a certes pu recueillir l’héritage historique de la France « fille ainée de l’Eglise », elle ne peut être le bras séculier de l’Eglise catholique, ou des Eglises chrétiennes, sur son propre territoire, et encore moins dans le reste du monde.
Si vous rompez le principe d’impartialité au profit des chrétiens, puisque c’est votre religion, qu’est ce qui va se passer d’après vous?
Les autres religions vont revendiquer leur voix au chapitre et la république deviendra une foire d’empoigne pour les religieux de tous poils.
Vous, jeune droite catho et enthousiaste, vous avez tendance à oublier que la religion c’est de la braise et qu’il faut la mettre sous les cendres, pour éviter qu’elle n’allume ou rallume un incendie.
Dès que vous permettez au religieux d’investir le champ social au delà de certaines limites qui sont variables suivant les sociétés concernées, vous permettez à certaines formes de fanatismes, qui sont inévitables, de s’exprimer.
Autre phénomène dont vous n’avez pas conscience, vous, jeune droite catho et enthousiaste: la radicalisation des religions monothéistes.
Faites l’inventaire: chez les musulmans ça se radicalise, chez les juifs, pareil, et chez les chrétiens, si la foi recule, elle se durcit.
Autre point: le monde musulman est traversé par une ligne de fracture, plusieurs même, et on peut même dire qu’il est en pleine guerre de religion, comme en a connu le monde chrétien au XVIième siècle.
Or l’Islam est la deuxième religion en France. Traiter le fait religieux sur le plan du communautarisme, c’est prendre le risque d’importer en France cette guerre de religion qui, jusqu’à présent ne nous impacte que sous l’angle du terrorisme, ce qui est déjà pas mal.
regardez ce qui s’est passé dans les pays du nord de l’Europe, où l’approche a été communautariste.
Je vous dis cela en toute bonne part: allez y molo avec votre communautaire. A titre perso, vous pouvez faire ce que vous voulez, mais ne demandez pas à la république de s’engager sur cette voie.
Pour moi, l’impartialité de la république est plus que jamais de mise. N’allons pas souffler bêtement sur des braises.
Préférons la laïcité à la française, fondée sur le concept d’ordre public et bannissons les approches communautaristes, sinon, on ira vers l’enfer.
On le sait, nous, Français. On est des experts en matière de guerres de religions: on les a quasiment toutes faites.
9 novembre 2010 at 15:42
Bonjour tschok,
Je tiens pour l’une des plus importantes leçons d’éthique et de philosophie politique que mon père m’ait jamais donnée, celle qu’il m’énonça un jour, en une phrase: « la neutralité est impossible; l’impartialité est un devoir ».
9 novembre 2010 at 17:18
à tschok,
j’ai l’impression que vous passez vos derniers com. à combattre des moulins. Vous me prêtez des idées cléricales qui ne sont pas les miennes, ni celles de personnes que je connaisse.
Je n’ai jamais demandé que la France se lance dans une croisade pour intervenir dans une guerre de religions entre musulmans et chrétiens dans un pays étranger.
Je demande seulement que la France assume ses reponsabilités pour aider à garantir la sécurité d’une minorité opprimée par des groupuscules terroristes.
Et ce, précisément, au nom de la laïcité et du respect des droits de l’homme.
Je ne dis pas que c’est facile et je crains que cela soit peu efficace. En tout cas je pense que la France aurait une plus grande marge de manoeuvre si elle n’était pas dirigée en ce moment par des politiciens qui ont rompu avec sa meilleure tradition diplomatique et qui jusqu’ici ont surtout fait de la surenchère anti-iranienne dans une région du monde où rien de durable ne peut se faire sans des relations diplomatiques correctes avec ce pays.
Je ne suis pas spécialiste de la diplomatie au Moyen Orient, mais j’ai plus ou moins l’impresson que la paix en irak dépend du bon équilibre de 3 forces: les chiites, qu’on peut apaiser par le biais des iraniens, les kurdes, soutenus par les Américains tant qu’ils ne regardent pas du côté de la Turquie, les Arabes sunnites dont les alliés naturels devraient être les Russes et les Français, dans la mesure où nous avons soutenu les baasistes par le passé et où nous nous sommes opposés à l’intervention américaine…
La sécurité politique des chrétiens d’Irak peut très bien devenir un objectif politique raisonnable si les principaux appuis étrangers des forces politiques d’Irak jouent le rôle diplomatique qu’on peut attendre d’elles.
A côté de ces considérations, je trouve vos vues générales sur les rapports entre politique, religion et laïcité , si justes soient-elles sur le fond, très éloignées du problème politique qui nous occupe.
D’autant plus éloigné qu’en Orient, les principaux partisans de la laïcité sont les chrétiens. Défendre la laïcité et soutenir donc les communautés chrétiennes, c’est en pratique la même chose dans ces pays.
Je dis tout cela sous réserve des corrections que pourrait apporter un meilleur connaisseur de la situation politique du Moyen Orient.
Enfin, j’ai le regret de vous détromper sur mon âge qui, hélas, n’est pas aussi tendre que vous le supposez.
9 novembre 2010 at 19:16
Désolée, Physdémon, mais, de fait, je ne comprends absolument pas votre position.
Qu’entendez-vous par « je demande seulement que la France assume ses responsabilités pour aider à garantir la sécurité d’une minorité opprimée par des groupuscules terroristes »?
Concrètement, dans votre idée, ça recouvre quoi?
Parce que, « assumer ses responsabilité », c’est une expression qui a une signification précise. Ça renvoie à l’idée que la France a soit une part de responsabilité dans ce qui arrive à cette minorité religieuse, soit une obligation particulière envers cette minorité qu’il lui revient d’exécuter.
Or c’est déjà là, dans ce présupposé, que se glisse la partialité qui, in fine, vous garantit d’aller dans le mur – et éventuellement d’y entrainer les membres de cette minorité.
9 novembre 2010 at 19:46
à Fantômette,
Euh, assumer des responsabilités ne se réduit pas au( fait d’être civilement responsable, encore moins pénalement!) de quoi que ce soit. On peut aussi penser que la responsabilité a un sens éthique: être responsable d’autrui, c’est répondre de son sort face au mal qui peut lui être infligé par un tiers. A ma connaissance, au Moyen-Orient, la France s’est longtemps portée garante des intérêts des Chrétiens d’Orient qui pour beaucoup étaient imprégnés de culture française. cela s’est fait même aux heures où la III° Réublique pratiquait l’anticléricalisme le plus agressif en métrople !
Je n’ai pas une vision isolationniste de l’action diplomatique de la France dans le monde.
Depuis De Gaulle, la politique de la France a été assez constamment de chercher à briser les blocs, à éviter l’alignement moutonnier sur les positions américaines, contrairement à nos voisins européens. Elle l’a fait avec bonheur en 2003.
Peut-être m’aventuré-je mais il me semble que la France peut encore avoir une politique originale au Moyen-Orient. Je me fais peut-être quelques illusions sur la marge de manoeuvre que possède encore notre diplomatie, mais je crois que le regretté Grand Charles a prouvé qu’on pouvait arriver à certains résultats dans ce domaine quitte à bluffer un peu.
En tout cas, je pose ici des questions qui sont complètement en dehors de mon domaine de compétence. Ce que je regrette, c’est que la majorité pseudogaulliste actuelle soit incapable de mener un vrai débat sur notre politique étrangère qui, à mon avis, est fort mal menée, en particulier au Moyen orient depuis l’arrivée au pouvoir de M. Sarkozy.(Cf. la question iranienne) C’est là qu’on voir à quel point la droite bourgeoise actuelle a complètement apostasié son héritage gaullien.
Cela dit, je vous concède que je suis singulièrement sorti de mon domaine de compétence. Le peu que je sais de la politique internationale est que dans ce domaine, il ne faut jamais laisser tomber ses alliés sans rien dire, même quand on ne peut rien faire pour eux. Et, que vous le vouliez ou non, il y a eu par le passé des liens forts entre les chrétiens d’Orient et la France et qu’il serait irresponsable, d’un point de vue politique, de l’ignorer.
Cela dit, si vous voulez dire que la France doit se montrer discrète dans son soutien aux chrétiens d’orient pour éviter que l’opinion publique musulmane les assimile davantage aux occidentaux, je le conçois bien. Mais, le point de départ du débat n’était pas le silence du Quai d’Orsay mais la relative indifférence du Monde à leur sort. Maintenant, je pense que si la France avait mieux tenu ses distances à l’égard des USA sur la question iranienne comme sur la question afghane, elle serait en meilleure posture pour faire quelque chose, je ne dis pas des miracles. Et je m’étonne de la passivité de nos députés et sénateurs supposés gaullistes sur de telles questions…
12 novembre 2010 at 11:38
Bonjour Physdemon,
Non, non, je ne vous prêtais rien de tout ce que vous décrivez en intro à votre com 18, savoir:
– Des idées cléricales qui ne sont pas les vôtres: sauf erreur de ma part vous êtes un laïc au sens où vous reconnaissez la séparation de l’Eglise et de l’Etat;
– Une volonté de croisade: franchement, je vous vois mal partir pour l’Orient combattre les païens.
En fait, je faisais un constat beaucoup plus simple: l’Irak a connu dans la période qui a immédiatement précédé le départ officiel du gros des troupes US une vague d’attentats à +100 morts par unité à raison d’une à deux fois par semaine, au plus intense de la période, le tout pendant plusieurs mois d’affilé.
Les victimes étaient musulmanes.
Sans vouloir vous accuser d’avoir un cœur de pierre, je relève seulement que ni vous ni Philarête n’avez rendu publique votre émotion au sujet de ces attentats.
Et puis voilà que des chrétiens figurent parmi les victimes. Et soudainement votre émotion devient publique.
Attention, je ne refais pas à l’envers le post de Philarête (qui reprochait un peu rapidement au Monde son silence sur les attentats dont sont victimes les chrétiens).
Je constate simplement qu’une affinité commune avec les victimes vous a décidé tous les deux à faire montre de votre légitime émotion, ce qui n’était pas le cas avec les autres victimes, faute d’affinité commune.
L’émotion, c’est toujours légitime: c’est le cœur qui parle. En soi c’est irréprochable.
Je ne dis pas qu’il y a les bonnes et les mauvaises victimes, je dis qu’il y a celles qui vous décident à montrer votre émotion et les autres et j’insiste bien là dessus: je vous imagine mal, vous Physdémon ou notre hôte, classer les victimes en fonction de leur appartenance à une religion ou une ethnie.
Il n’en demeure pas moins que parmi les éléments qui vous ont décidés à faire montre de votre légitime émotion, l’appartenance des victimes à une religion qui vous est commune a joué un rôle de premier plan.
J’en déduis donc que le critère de l’action (rendre publique son émotion) est de nature communautaire, c’est à dire l’appartenance à une identité commune.
C’était d’ailleurs, mais à l’envers, le reproche déguisé que Philarête formait contre le Monde: le Monde, selon lui, ne se reconnaissait pas d’identité commune avec les chrétiens d’Orient, comme s’il fallait accepter qu’ils ne fassent plus partie de l’Orient.
Ici on peut ouvrir une parenthèse: le Monde à l’origine, mais il l’est resté dans une très large mesure, est un héritier à sa façon de la France radicale.
C’est à dire qu’il est une synthèse entre ces deux grands courants politiques européens que sont les Sociaux Démocrates (tout ce qui est de gauche, mais non révolutionnaire) et les Chrétiens Démocrates (tout ce qui est chrétien, mais non réactionnaire). Je vous le fais à la hache, mais tout cela pour vous dire que voir dans Le Monde un journal qui serait insensible à la religion chrétienne est un contre sens du genre monumental, et je pèse mes mots.
Sans même parler du fait que le groupe de presse du Monde publie des titres vers le lectorat chrétien.
Ni du fait que le directeur de la rédaction de La Croix est un ancien du Monde (Bruno Frappat)
Fin de la parenthèse.
Mais revenons à notre critère communautaire.
L’objet de notre discussion était de savoir si ce critère communautaire pouvait être transposé dans le discours républicain officiel, au niveau des modes d’actions symboliques (condamnation officielle, action diplo).
Bien que je n’aie pas très bien saisi ce que vous attendiez exactement de la république en pareil cas, je vous ai répondu que selon moi il ne fallait pas se situer sur ce terrain là, pour des motifs d’opportunité, alors qu’en outre les principes de la laïcité s’y opposent.
Le reste de notre discussion a eu trait, finalement, au droit d’ingérence, puisque c’est ainsi que cela s’appelle, avec de mon côté, une mise en garde sur les conséquences du positionnement idéologique qu’impliquerait pour la république l’exercice d’un droit d’ingérence pour motifs religieux.
Fantômette a également présenté des objections que je partage totalement.
Là dessus vous en appelez aux mânes de de Gaulle.
Bon, très bien. Mais quelle conclusion donner à cette discussion?
J’en ai deux à vous proposer.
La première est que nos vues « politiques » ne me semblent pas si éloignées que cela, ce qui n’appelle pas de commentaire particulier.
Le seconde est que ce qui a commandé la publicité de votre émotion est un critère de nature communautaire-religieuse.
Ce n’est en rien une maladie honteuse,mais je voulais simplement vous dire que pour ma part c’est un type de réaction qui m’est totalement étranger.
Et là je mesure ce qui nous sépare. Et ce qui me sépare de Philarête.
En somme, vous seriez les CD et moi le SD.
Or, ce qui est amusant, c’est que le Monde faisait précisément la synthèse de ces deux courants.
Alors, je vous pose la question: cette synthèse est elle encore possible?
12 novembre 2010 at 18:33
@ tschok,
C’est fini, le temps de la synthèse.
Il faut vivre avec la contradiction.
12 novembre 2010 at 20:55
à tschok,
Je comprends mieux votre point de vue à la lumière de vos éclaircissement.
Il est vrai que c’est plus particulièrement comme chrétien que je suis ému par la persécution des chrétiens d’Irak. Il est non moins vrai que si j’étais un bon chrétien je devrais l’être autant par toutes les autres victimes innocentes du conflit, quelle que soit leur communauté.
Cela dit, je pense que pour un observateur extérieur, l’attentat contre la cathédrale syro-catholique de Bagdad est particulièrement grave en ce qu’il met en péril l’existence même d’une communauté fragile.Sans doute, dans l’absolu, il y a eu plus de musulmans que de chrétiens tués en Irak ces dernières années et ils méritent autant notre compassion. Je vous l’accorde. Mais si l’on tient compte des proportions, le nombre des morts chez les chrétiens est plus considérable, me semble-t-il. Il est donc vrai de dire que chaque chrétien est plus menacé que chaque musulman.
Au delà de l’aspect compassionnel, il y a donc un aspect politique du problème: la présence même de chrétiens sur le sol irakien est désormais en péril. Ce n’est évidemment pas le cas de la présence des musulmans chiites ou sunnites. Or si les chrétiens d’Irak devaient être obligés de fuir ce pays, ce serait une défaite regrettable pour tous les partisans de la paix entre les religions, un peu comme lorsque les Serbes (et certains Croates) ont chassé de leurs propres terres les musulmans Bosniaques.
D’ailleurs, on voit que le Monde insiste sur cet aspect du problème en s’attachant moins à l’attentat lui-même qu’aux conséquences à moyen terme de ce terrorisme.
A la limite, je veux bien pardonner au Monde de manquer de compassion. Mais je déplore que l’on ne se questionne pas davantage sur ce que représenterait pour le Moyen-Orient la disparition des minorités chrétiennes. Je le déplore d’autant plus que, à tort ou à raison, je suis persuadé que la France a eu par le passé une « politique arabe » où nos relations avec les chrétiens d’Orient avaient un grand rôle.
Pour le Monde, je ne sais pas s’il est encore la synthèse de la social-démocratie et de la démocratie chrétienne. Ce que je lui reproche c’est surtout d’être très « politically correct » et pontifiant. Cela dit il est toujours le meilleur quotidien français, hélas, comme Gide disait que Victor Hugo était notre plus grand poète, hélas.
12 novembre 2010 at 23:49
Koz signale cette tribune publiée par le Monde qui montre que des musulmans de France ont le souci de la sécurité et de la liberté des chrétiens d’Orient:
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/11/09/pour-nos-freres-chretiens-d-orient_1437238_3232.html
Par ailleurs, je tiens à signaler que l’intellectuel musulman pratiquant, Rochdy Alili s’efforce depuis quelques années de sensibiliser ses coreligionnaires au sort des chrétiens d’Orient:
http://oumma.com/Les-eglises-chretiennes-du-Proche,2595
13 novembre 2010 at 14:27
@ Physdémon,
Il est vrai qu’au delà des aspects compassionnels, il faudra peut être un jour appeler un chat un chat et amener dans le vocabulaire du débat des mots comme « nettoyage ethnique ».
Ca, la république peut parfaitement le dire sans heurter ses principes de laïcité.
La question des chrétiens d’Orient n’est pas nouvelle. Elle a été mise en sourdine pendant la période Bush et la guerre d’Irak dans la mesure où, je pense, on a voulu éviter qu’elle ne soit instrumentalisée dans le cadre du « choc des civilisations », qui n’est jamais qu’une façon de voir extrêmement dramatisée voulue tant par les extrémistes musulmans qu’une partie des faucons neo-cons américains.
Aujourd’hui ce danger d’instrumentalisation n’a pas totalement disparu.
C’est peut être la raison pour laquelle la question des chrétiens d’Orient n’est pas considérée comme une question de premier plan par les chancelleries occidentales, ou en tout cas pas comme une question qu’on peut mettre sur la table sous la forme d’un reproche adressé au monde musulman en général et au monde arabe en particulier.
L’Occident joue toujours en Orient des parties assez délicates, que ce soit pour le pétrole, les armes ou la nucléarisation de l’Iran.
Compte tenu de l’imbrication des deux zones de civilisations, il y a une volonté bilatérale de ne pas dramatiser, à l’exception notable de l’Iran, qui a repris à son compte un discours de type nassérien (pan arabisme en moins) extrêmement belliciste à l’égard d’Israël.
Je pense que c’est sage.
Maintenant je suis très impressionné par le fait que les musulmans de France montrent leur solidarité avec les chrétiens d’Orient.
C’est le genre d’initiative qu’il faut valoriser.
Ca nous permet de rompre avec le discours nouveau réac de type Redeker qui n’était finalement porteur que de suspicion et de division.
13 novembre 2010 at 14:30
@ Fantômette,
Et même vivre dans la contradiction.
13 novembre 2010 at 17:52
@ tschok,
Et même vivre pour la contradiction.
13 novembre 2010 at 23:51
@ Tschok, notamment
Vous écriviez:
Je n’aime pas me justifier, mais un mot quand même, puisque c’est moi qui ai lancé la discussion. Elle était mal partie, puisque mon propos a mélangé mon souhait de parler enfin des chrétiens d’Orient, et mon énervement de ne rien trouver à lire sur le site du Monde à propos de l’attentat de la Toussaint. Il se trouve que cet attentat a acquis depuis une sorte de valeur symbolique qui fait qu’il n’est plus exactement comme les autres. Une prise de conscience s’opère, dont il est trop tôt pour estimer les conséquences.
Il est évident que tous les attentats sont odieux. Pourtant, à ma connaissance, personne n’a jamais soutenu que ceux perpétrés par des musulmans contre d’autres musulmans relevaient d’une volonté d’extermination. Or c’est le cas pour ceux qui visent les chrétiens, dont certains pensent ouvertement qu’ils n’ont rien à faire en «terre d’Islam».
C’est pourquoi je récuse la symétrie. Ce n’est pas la même chose, les enjeux ne sont pas les mêmes.
Par ailleurs, j’assume parfaitement le fait que mon émotion tient largement au fait que les victimes de ces attaques sont mes frères dans la foi. Je ne suis pas un gouvernement, moi, je ne suis pas tenu à je-ne-sais-quelle neutralité ou laïcité. Et il se trouve en général que ceux qui estiment devoir dénoncer des injustices le font parce qu’ils se sentent particulièrement touchés par elle.
On peut appeler ça si on veut un «critère communautaire», mais ça me paraît mobiliser un concept compliqué pour une situation plutôt banale. Le seul point à discuter est: y a-t-il, oui ou non, aujourd’hui, pour les chrétiens d’Orient, une menace spécialement grave? Si la réponse est non, alors je veux bien être taxé de communautarisme, et qu’on puisse m’accuser d’être aveuglé par un réflexe identitaire. Mais si la réponse est oui et si objectivement il s’agit de justice…
Je suis d’ailleurs frappé que le sort des chrétiens orientaux mobilise désormais bien au-delà de ceux qui partagent leur foi. Témoin, ce billet du blog « Partageons mon avis »:
http://www.jegoun.net/2010/11/asia-bibi-37-ans-condamnee-mort-pour.html
qui relaie d’ailleurs un billet de Romain Blachier:
http://www.romainblachier.fr/2010/11/asia-bibi.html
Et ça, ce n’est pas la « catosphère »!
D’autre part, je n’ai pas introduit moi-même dans la discussion la question diplomatique, mais je ne vois aucune atteinte à la laïcité au fait que la France se sente, comme Etat, intéressée au sort des chrétiens d’Orient. Désolé de prendre le risque d’un point Godwin, mais si un Etat avait argué de la «laïcité» pour se laver les mains du sort des Juifs… (la France, en l’occurrence, n’a même pas eu à invoquer cet argument pour le faire, mais c’est une autre histoire).
Outre le fait que, oui, il y a en diplomatie, comme l’a rappelé Physdémon, des traditions d’intérêt et d’engagement actif qui créent des obligations particulières. C’est théoriquement le cas de la France à l’égard des chrétientés proche-orientales.
Et puisque je parle de lui, merci à Physdémon d’avoir apporté dans la discussion cette mention des réactions musulmanes. Il serait particulièrement intéressant (mais ça dépasse mes moyens) de faire connaître sur ce sujet les réactions de la presse arabe, qu’on m’a dit récemment assez unanime à condamner les attentats anti-chrétiens. Ce serait une contribution vraiment importante à la compréhension de la situation, et un moyen de prévenir si possible les risques de crispations «communautaristes».
17 novembre 2010 at 14:00
Bonjour Philarête,
Permettez moi de reprendre vos arguments, non pas pour les contredire, mais plutôt pour préciser ma pensée.
1) La volonté d’extermination
Dans les guerres de religion qui se déroulent aujourd’hui en terre d’islam, il y a indubitablement une volonté d’extermination de l’adversaire, ou de « l’autre », dans l’esprit des plus fanatiques, qui sont heureusement peu nombreux, mais malheureusement assez actifs.
Et « l’autre » en question est un musulman. Rappelons que l’écrasante majorité des victimes du terrorisme intégriste est musulmane. Ce fait est si évident qu’on le perd constamment de vue: ces fanatiques ont pour ambition d’éradiquer ceux qui n’entrent pas dans le schéma de leur folie. Seuls les moyens leur manquent, mais l’esprit criminel est là.
2) La symétrie
Ce point posé, il est bien plus aisé de comprendre qu’il ne faut pas inscrire le fait criminel fanatique dans une logique de symétrie, car cela n’aurait tout simplement aucun sens, et nous sommes bien d’accord là dessus.
Il y a un fanatisme religieux qui fait des victimes. Dans l’ensemble « victimes » il y a des différences, qui font la spécificité de la victime, et des convergences qui relient toutes les victimes entre elles.
Le dénominateur commun des victimes: elles n’entrent pas dans le schéma du fanatique, donc elles sont potentiellement consommables.
3) Le critère communautaire
Un république laïque se positionnera davantage sur ce qui relie les victimes plutôt que sur ce qui les distingue, même si rien dans la laïcité n’oblige à nier la spécificité de la victime, en l’espèce sa religion.
Simplement la religion ne peut être la base idéologique de son action, étant précisé que chaque citoyen conserve la liberté d’accorder à ce qui lui tient à cœur (la religion par exemple) une place de premier plan.
Mais la république, elle, a une obligation d’impartialité qui en définitive la force à concentrer les bases idéologiques de son action sur des valeurs qui lui semblent plus universelles.
4) Mobiliser des concepts compliqués?
L’universalisme donnent lieu à des discussions sans fin.
J’ai moi-même proposé à Physdémon de poser le problème au ras des pâquerettes: aider celui qui se trouve dans la merde, parce qu’il est dans la merde, sans se soucier des identités culturelles ou religieuses.
En pratique les choses ne sont pas aussi simples, hélas: les identités culturelles ne disparaissent pas parce qu’on décide d’en faire abstraction. En réalité elles demeurent.
Or la persistance des identités culturelles perturbent les processus d’aide (Cf ce qui se passe en Haïti ou en Afghanistan).
D’où l’idée de diriger l’aide vers ceux avec qui nous avons des « affinités communes ». Mais d’autres problèmes se posent encore, et finalement rien n’est évident.
A partir des points 1+2+3+4 je ne suis pas du tout opposé à l’idée:
– D’une réaction de type identitaire ou communautaire dans la presse, en fonction de la ligne éditorial du média en question;
– De la manifestation d’une légitime émotion par quiconque devant la commission d’un crime grave;
– D’une condamnation de ces crimes par la république pour ce qu’ils sont: des actes terroristes dictés par une logique de fanatisme religieux;
– D’une action d’aide, sous toute les formes qui sont efficaces;
– D’une prise de conscience que la situation du groupe minoritaire dont nous parlons, les chrétiens d’Orient, peut basculer de la discrimination quotidienne plus ou moins diffuse vers le pogrom, puis vers le nettoyage ethnique.
Sur ce dernier point il faut faire extrêmement attention à ce qu’on fait, car les enjeux de toutes sortes sont évidemment très importants.
Par ailleurs, il y a un autre thème qui me semble d’actualité, c’est le renversement de perspective: jusqu’à présent, seules les sociétés occidentales ont été mises devant leurs responsabilités en matière de lutte contre la discrimination pour motifs ethniques ou religieux.
On n’a jamais demandé aucun compte aux sociétés musulmanes de ce point de vue là, alors que la radicalisation de l’Islam rend ce sujet très actuel au sein de ces sociétés pour leurs propres ressortissants.
Or, je constate qu’on commence à demander des comptes avec de moins en moins de timidité et j’observe avec grand intérêt que les musulmans français n’hésitent pas à se mettre en pointe.
Et je trouve ça très positif.
17 novembre 2010 at 21:50
à tschok,
juste un truc: votre expression « guerre de religion ». Je ne la trouve pas très heureuse.
D’abord ce n’est pas une guerre: dans une guerre il y a deux camps et en principe des armées. Où sont ici celles des chrétiens?
D’autre part dans une guerre de religion, il y a des communautés religieuses qui s’affrontent. mais, comme vous le faites remarquer, Al Qaida représente une infime minorité de l’islam. Au demeurant, ce groupuscule s’en prend encore plus souvent à des musulmans qu’à des chrétiens pour imposer aux uns comme aux autres sa conception très particulière de l’islam.
Plutôt que de parler de « guerre de religion » ne vaudrait-il pas mieux parler de « l’activisme terroriste de groupuscules sectaires »?
18 novembre 2010 at 11:02
@ Physdémon,
Je suis d’accord, ce n’est pas une expression très heureuse, ne serait ce que parce qu’elle nous renvoie à un passé européen, ce qui pourrait nous enfermer dans un modèle de pensée un peu trop egocentré.
Loin d’éclairer la situation telle qu’elle se présente, ce genre de modèles peut nous amener inconsciemment à y mettre trop de nous même.
Mais je n’ai rien d’autre en magasin pour l’instant.
Pour autant, l’expression n’est pas totalement décalée: le mot « guerre » évoque un affrontement armée (pas nécessairement sur un champ de bataille, avec des troupes rangées en bataillons au sein d’un système hiérarchisé étatique).
Le mot « guerre » traduit très bien l’aspect pulsionnel de la chose, ou le côté « obscur de la volonté de puissance », si j’ose dire.
Une guerre, au sens classique, est la traduction violente de trois pulsions:
– L’accaparement: s’approprier les richesses d’autrui
– La volonté de domination: exercer un pouvoir sur autrui
– La volonté d’anéantissement: éliminer autrui du monde parfait qu’on veut créer
On retrouve ces trois thématiques dans le discours des fanatiques musulmans.
Le mot « religion », quant à lui, traduit le fait que la croyance religieuse est à la fois le moteur de l’action, le moyen de cette action et l’enjeu du combat: celui qui gagnera sera celui qui saura le mieux utiliser la religion et son triomphe sera celui de ses idées.
Vous proposez « activisme terroriste de groupuscule sectaires ».
Ce n’est pas faux, mais à mon avis, ça réduit le phénomène à sa manifestation la plus spectaculaire, en laissant dans l’ombre le fait que le monde musulman est traversé par un conflit proprement idéologique sur le contenu de la foi et sur la place de la religion dans la société.
L’activisme terroriste n’est qu’un point d’émergence d’un conflit idéologique interne au monde musulman.
Si le point 1 de la plupart des mouvements terroristes islamiques consiste effectivement à repousser « l’ennemi » occidentales aux limes du monde musulman, le point 2 consiste à mettre les sociétés musulmanes sous la domination d’un islam radical.
Selon les zones, ces deux points sont alternatifs ou peuvent correspondre à des objectifs qui vont être poursuivis simultanément.
Par ailleurs, le mot « groupuscule » ne traduit pas suffisamment bien la dimension mondiale de cet affrontement et ne parvient que très partiellement à l’expliquer.
Il y a quatre grandes zones qui sont autant de théâtres d’opérations:
– Le bassin « historique » de l’islam, qui ne correspond que très partiellement à l’Orient: du Maroc au Pakistan, d’est en ouest, et des pays en « stan » du Caucase, au nord, jusqu’au Soudan et même la Somalie au sud. Au cœur de cette zone: l’Arabie et la Mésopotamie et un peu à part, la Perse.
– L’Afrique subsaharienne occidentale, qui constitue une sorte de nouveau marché en dépit d’un implantation de l’islam assez ancienne, mais les chiffres sont là: il y a une génération, les musulmans étaient minoritaires dans cette zone, aujourd’hui ils sont à la parité avec les chrétiens.
– L’Asie Pacifique (Philippines et Indonésie): c’est dans cette zone qu’on trouve le poids lourd démographique de l’islam, l’Indonésie.
– La diaspora musulmane dans les sociétés occidentales qui est perçue comme un enjeu à la fois par les stratèges de l’islam radical et les stratèges occidentaux, les uns et les autres voulant en faire un cheval de Troie dans le camp de l’adversaire (je caricature, mais à peine).
On ne peut pas expliquer l’activité idéologique autour de questions religieuses dans chacune de ces zones seulement par l’activisme de groupuscules.
Il y a manifestement un mouvement plus profond.
18 novembre 2010 at 17:24
à Tschok,
Il y a certainement des mouvements plus profonds. La salle de prière salafiste (pour autant que je puisse en juger) qui se trouve à trois immeubles de chez moi me le rappelle tous les jours.
Mais un islam qui extermine des chrétiens en tant que tels, c’est plutôt bizarre. A ma connaissance, le Coran pousse les musulmans à s’emparer du pouvoir pour imposer la chari, mais la charia interdit de tuer les chrétiens en tant que tels: l’islam même le plus radical n’a pas un caractère génocidaire.
Ainsi en Iran, les chrétiens sont plutôt assez bien traités par le régime, sachant que, néanmoins, tout prosélytisme leur est interdit et qu’un musulman qui se convertirait au christianisme serait aussitôt condamné à mort pour apostasie. Mais les chrétiens peuvent pratiquer leur culte, manger du jambon et consommer de l’alcool etc.
Le terorisme d’Al Qaida est donc à mon sens un phénomène marginal à côté d’un processus plus profond et plus large qui est la propagation des théories et des pratiques de l’islam radical au sein des populations musulmanes.
En ce sens, je suis d’accord avec vous pour penser que l’islam radical est étroitement lié à une volonté de domination.
Mais je pense aussi que les pratiques d’extermination doivent recevoir des explications plus spécifiques.
Bref ce que vous dites me semble bien expliquer la condamnation à mort d’Asia Bibi. Pas les récents massacres de chrétiens en Irak.
18 novembre 2010 at 18:35
Physdémon,
Extermination n’est pas égale à génocide, attention.
L’extermination, c’est le massacre de l’adversaire, la killing box, si vous préférez.
C’est un geste purement tactique, si je puis dire (dans le registre terroriste et pas militaire, quoique…).
La killing box, c’est une zone où on attire, ou bien ou on trouve un adversaire qu’on va massacrer (anéantir disent plus volontiers les militaires).
Cette zone va être conçue comme un lieu de massacre soit par une préparation préalable du lieu lui-même (mise en position préalable de la puissance de feu: mines ou nid de mitrailleuse, par exemple) soit parce qu’on amène la puissance de feu sur le lieu lui-même au moment de la réalisation du massacre.
Par exemple, lors de leur retraite du Koweit en 1991, de nombreuses troupes irakiennes ont été surprises par l’aviation US alors qu’elles empruntaient une autoroute, qui créait un effet naturel de canalisation des convois, donc de concentration.
Cette autoroute a été une gigantesque killing box.
Un attentat terroriste du type de celui qui a fait des victimes parmi les chrétiens d’Irak dernièrement obéit strictement à la même logique: des personnes sont concentrées dans un lieu dont elles peuvent difficilement s’échapper. L’acte préparatoire consiste à amener sur place la puissance de feu nécessaire pour tuer les gens, puis en faire usage.
Le vecteur de cette puissance de feu, au lieu d’être un avion militaire appartenant à une armée régulière, est un groupe d’hommes.
Le reste n’est qu’une histoire de pièces de métal ou d’ondes de chaleur qui transforment les chairs en bouillie ou en charbon. Que ces deux formes d’énergie proviennent d’armes industrielles ou artisanales n’a qu’une seule incidence répertoriée: les taux de survie parmi les victimes sont en général plus élevées en cas d’emploi d’armes artisanales.
Mais sinon, du point de vue biologique, le résultat recherché est le même: la cessation des fonctions vitales de la cible.
L’homicide, quoi.
Le génocide, c’est autre chose.
La volonté d’extermination est bien un concept qui explique typiquement un attentat terroriste, mais uniquement dans ses modalités tactiques (applicatives).
Ca ne règle en rien une autre question: quelle est la pensée idéologique qui fait naître dans l’esprit d’une ou de plusieurs personnes une telle volonté d’extermination?
Ca, c’est beaucoup plus complexe.
25 novembre 2010 at 13:22
C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai suivi le fil de cette discussion.
Je ne crois pas, n’en déplaise à Tschok, que l’émotion suscitée par l’attaque de la cathédrale de Bagdad s’explique par un réflexe communautaire. Au contraire. Il est facile de s’abriter derrière la laïcité pour garder le silence. Serait-il interdit de s’indigner quand des Chrétiens sont persécutés et assassinés parce qu’ils sont justement Chrétiens et qu’on ne l’est pas? Si c’est le cas, le silence de ceux qui ne s’indignent par parce qu’ils ne sont pas chrétiens fait le lit du communautarisme. Et va dans le sens de ce « choc des civilisations » qui fut théorisé dans les années 90 par Huntington et que les gens d’al-Qaïda désirent aujourd’hui de toutes leurs forces.
25 novembre 2010 at 13:38
Oups, une coquille s’est glissé dans mon commentaire précédent: il faut lire « ne s’indignent pas » et non « ne s’indignent par ». Voilà qui m’apprendra à ne pas me relire.
Tschok, vous vous demandez quelle est la pensée idéologique qui fait naître une telle volonté d’extermination. Je ne peux que vous conseiller la lecture, très intéressante, de l’essai d’Élie Barnavi, « Les religions meurtrières » (Flammarion, 2006). Dans le chapitre où il analyse le fondamentalisme révolutionnaire musulman, Barnavi nous explique pourquoi, et l’actualité nous le confirme régulièrement, le sort des minorités en terre d’Islam est de plus en plus misérable.