En introduisant dans le débat politique l’idée d’une « société du care », qu’elle oppose à la « société individualiste », Martine Aubry a fait deux choses suffisamment rares pour attirer l’attention : elle a annoncé que le PS avait désormais un projet de société, et elle a mobilisé pour ce faire un courant philosophique qui était jusqu’à présent resté plutôt confidentiel chez nous. Sans compter l’audace de balancer en public un mot anglais, care, intraduisible autrement que par des gloses laborieuses. Je ne sais pas si toutes ces innovations sont autant de bonnes idées. Mais ce sont au moins des idées, et comme telles elles offrent matière à la cogitation…
Ce qu’on appelle, en philosophie, « l’éthique du care », est né aux États-Unis, « il y a trente ans », comme le signale Nathalie Kosciusko-Morizet (qui a l’air de penser qu’une idée vieille de trente ans est forcément déjà obsolète). À l’époque, Carol Gilligan voulait faire entendre « une voix différente » en éthique : contre l’universalisme abstrait des éthiques dominantes – d’inspiration kantienne ou utilitariste, – elle revendiquait la spécificité des attitudes morales féminines, faites d’attention concrète, de sollicitude, voire de dispositions particulières au sacrifice de soi, au renoncement, dans le service du proche dépendant ou affaibli – l’enfant, le malade, le vieillard, etc.
Gilligan ne prétendait pas forcément que toute la morale se résumait à ce type d’attitude ou d’activité. Elle voulait plutôt attirer l’attention sur un faisceau de phénomènes négligés par la réflexion éthique classique. En effet, les soins prodigués à un enfant, à un infirme, ne découlent pas de principes généraux d’action : il est difficile, sinon impossible, d’en faire l’application d’une « maxime » kantienne (qui doit être susceptible, selon Kant, d’être « universalisée », c’est-à-dire que l’agent doit pouvoir souhaiter que la maxime guidant son action soit suivie par tout le monde) ; il n’est pas possible non plus de les tirer de l’utilitarisme : il ne s’agit pas alors, en effet, de chercher à procurer « le plus grand bonheur du plus grand nombre », mais bien d’être à l’écoute des besoins concrets d’une personne singulière.
Ce n’est pas une rationalité abstraite qui gouverne la sollicitude, mais la compréhension, l’empathie, jointes à des formes difficilement rationalisables de discernement. La sollicitude est une attitude qui est estimable, honorable, alors même qu’elle est forcément partiale, qu’elle s’attache à des personnes de façon préférentielle, bref, qu’elle ne traite pas son objet comme s’il était seulement un exemplaire quelconque de l’humanité.
L’éthique du care rappelle que la conduite morale ne se résume pas à la matérialité d’une « bonne action » : faire ce qu’on doit, quand les circonstances l’exigent. Il y a aussi la manière, le regard, la « voix » qui accompagne le geste, une forme d’élan qui distingue au premier coup d’œil, par exemple, l’acte chirurgical du technicien (qui a bien sûr sa nécessité) des multiples attentions dont peut entourer le malade une épouse, une mère ou une aide-soignante compatissante. Là où le geste technique sera d’autant plus efficace et utile qu’il sera effectué sans passion, par un médecin qui sait tenir à distance ses affects, les activités relevant du « soin » tirent leur singulière vertu de l’investissement personnel de l’agent dans son action.
Le pari d’une philosophie du care est que ces attitudes, rebelles à une logique déductive, ne doivent pas être reléguées dans les limbes d’une « contingence » inaccessible à la conceptualisation, ni encore moins dans l’enfer des « bons sentiments », mais qu’elles méritent une analyse spécifique. Celle-ci n’empruntera pas les voies de l’abstraction et de la généralité, privilégiées par les morales classiques. Elle s’appuiera plutôt sur le témoignage concret, sur le genre biographique, la littérature ou le cinéma – bref sur ces ressources morales qui tirent leur vérité d’un enracinement dans la singularité.
Le care, nid de concepts
Les idées avancées par Carol Gilligan se sont avérées suffisamment fécondes pour faire naître, non pas une école, mais un courant, à vrai dire trop diversifié pour qu’on puisse le réduire à un corps de doctrine unifié. Le terme de care est en effet extrêmement plastique. Il est difficile d’en fournir une définition univoque, de désigner un trait spécifique qui se retrouverait dans tous les emplois possibles : l’unité du care relève plutôt de « l’air de famille ».
Outre les activités qui relèvent directement de la sollicitude, une éthique du care permet par exemple d’enrichir une philosophie du travail, comme le suggère la philosophe Sandra Laugier :
Le travail du care, c’est à la fois des activités spécifiques mais aussi une exigence ordinaire : l’importance du travail bien fait.
C’est l’attitude de celui ou celle qui est careful dans son travail, soucieux de le bien accomplir, d’en faire non pas une « performance » dûment rémunérée mais aussi une œuvre achevée, humainement satisfaisante. Le travail cesse alors d’être envisagé uniquement comme un devoir ou une obligation sociale, dont la valeur tiendrait uniquement aux résultats produits, ou encore serait mesurée uniquement en termes de respect de certaines « procédures » ou « bonnes pratiques ».
Autre domaine investi par l’éthique du care, celui de l’écologie et du rapport à l’environnement. « Prendre soin » de la nature, c’est autre chose que le fameux « respect », trop galvaudé sans doute, et grevé de trop d’équivoques, pour déterminer un sain rapport de l’homme à son environnement. Prendre soin implique que l’on agit positivement sur la nature, qu’on la « soigne » comme un milieu vital et précieux – alors que la « respecter » peut suggérer qu’une frontière étanche doit la séparer de l’homme, que celui-ci doit la laisser à elle-même et qu’il y sera toujours un intrus. Une écologie du care serait ainsi foncièrement humaniste, tout en mettant opportunément en avant la responsabilité des hommes à l’égard de la terre qu’ils habitent.
Certains tenants du care veulent faire à celui-ci une place à côté des principes généraux de justice et de moralité. L’idée est alors qu’il y a des domaines où les grands principes doivent gouverner – l’impartialité du juge, qui est tenu de faire abstraction de ses sentiments personnels, est un exemple d’une saine « dépersonnalisation » du jugement, – et d’autres domaines, pas forcément moins importants ni moins dignes, où l’attention à la personne concrète dont on se soucie gouverne le comportement juste.
D’autres partisans du care estiment que le concept est suffisamment puissant pour ressaisir l’ensemble des problèmes de l’éthique philosophique. On devrait pouvoir formuler, à partir de l’idée de care, des principes de justice valables y compris dans le domaine politique, jusqu’au niveau des relations internationales. Les exigences d’impartialité, d’universalité, d’« impersonnalité » seraient moins pertinentes que la capacité à tenir compte en priorité des plus faibles et d’adapter les mesures aux besoins concrets, non seulement au plan matériel, mais aussi émotionnel, affectif, voire spirituel.
Le débat n’est pas clos, et les études inspirées par le care connaissent ces dernières années une nouvelle floraison – y compris en France sous l’impulsion de philosophes comme Sandra Laugier, Fabienne Brugère ou Patricia Paperman. Je ne connais pas suffisamment leurs productions pour avancer davantage que quelques réflexions plus ou moins hasardeuses.
Actualité du care
La première consiste à remarquer que l’idée du care s’inscrit de toute évidence dans un contexte contemporain plus vaste, et qu’elle répond à des préoccupations largement partagées. Sandra Laugier l’expliquait récemment dans Libération :
l’importance de ces questions s’impose d’elle-même. Chacun y est confronté dans sa vie quotidienne. Qui ne se fait pas du souci car il ne sait comment, ni qui va s’occuper d’un parent, de son enfant ou d’un ami ? Le care, c’est-à-dire le souci des autres, est une interrogation ordinaire et centrale dans la vie.
La référence à la vie ordinaire est significative. Trop souvent l’éthique philosophique paraît s’intéresser en priorité à des situations extrêmes – choix tragique, questions de vie ou de mort – ou à des « questions de société » mobilisant des théories morales inconciliables. On instruit des débats scolastiques sur le problème du mensonge (a-t-on le droit, voire le devoir de mentir si l’on protège des innocents persécutés par un régime despotique ? peut-on torturer un terroriste qui a déposé quelque part une bombe à retardement ? faut-il autoriser le mariage entre personnes de même sexe, etc. ?). Pendant ce temps, vous et moi faisons chaque jour une quantité indéfinissable de petits choix, cédons (ou non) à des impulsions, laissons (ou non) des émotions nous submerger, privilégions telle ou telle relation au détriment de telle autre, etc. C’est à la dimension morale de l’existence quotidienne que s’intéresse en priorité l’éthique du care.
Les questions évoquées par Sandra Laugier s’inscrivent en outre dans un contexte social marqué par le vieillissement de la population (que nous ne vivons pas sur un mode statistique, mais d’abord à travers la figure proche de parents ou grands-parents vieillissants ou malades) ; ou encore par la tension entre les exigences d’une vie de travail productive, éventuellement gratifiante, si possible rémunératrice, et d’autre part les soucis parfois impérieux de la vie familiale et affective. Beaucoup perçoivent aussi avec effroi la montée de l’indifférence et des égoïsmes ordinaires – le 4×4 garé sur un passage piéton qui impose à la personne âgée de fastidieux détours : se ficher des autres, c’est bien le contraire du care minimum qu’on attend en général de ses concitoyens.
Sur un registre plus politique, on ne peut que donner acte aux moralistes du care du fait que nos sociétés ont vu se développer un ensemble désormais imposant de professions spécialisées dans le soin des plus faibles ou dans l’infirmerie sociale, et que ces activités répondent difficilement aux mécanismes ordinaires du marché. Le fait qu’elles soient très largement des professions féminines donne du crédit à la revendication féministe d’un aménagement sérieux des politiques économiques, capables de faire droit à la spécificité des professions gouvernées en bonne partie par une logique de don et de gratuité, et non pas d’échange marchand.
Plus généralement, c’est un sentiment largement partagé aujourd’hui qu’à défaut d’un accord sur les « grands principes » ou sur les questions éthiques « limites » comme celles de l’avortement, de la peine de mort ou des droits des homosexuels, on peut se réunir sur la nécessité de la sollicitude envers les personnes concrètes, avec leurs histoires singulières et leurs besoins spécifiques. Sans m’y attendre, je viens de trouver sous la plume d’Alain Finkielkraut une défense éloquente de ce besoin contemporain :
Le roi Salomon suppliait l’Éternel de lui accorder un cœur intelligent.
Au sortir d’un siècle ravagé par les méfaits conjoints des bureaucrates, c’est-à-dire d’une intelligence purement fonctionnelle, et des possédés, c’est-à-dire d’une sentimentalité sommaire, binaire, abstraite, souverainement indifférente à la singularité et à la précarité des destins individuels, cette prière pour être doué de perspicacité affective a, comme l’affirmait déjà Hannah Arendt, gardé toute sa valeur. (« Avant-propos » de Un Cœur intelligent, Paris, Stock/Flammarion, 2009).
Tout cela ne doit pas forcément sombrer dans le pathos d’une société d’infirmes, dans la prétention gesticulante à prendre en charge toutes les souffrances de la terre, dans un discours de la fragilité universelle : mais il y a bien quelque chose de juste dans cette prière pour l’intelligence du cœur, et nul besoin de se sentir préposé au soulagement de la misère universelle pour en éprouver l’actualité.
Une autre réflexion, plus spécialement philosophique, m’amène à inscrire l’éthique du care dans un mouvement global de protestation contre l’insuffisance des éthiques dominantes, qu’elles s’inspirent de Kant ou de Mill et Bentham. Au moment où Carol Gilligan publiait Une voix différente, inspirée par un féminisme de type « différentialiste » (rejeté, à ce titre, par les courants principaux du féminisme français, plus égalitaristes et universalistes), d’autres philosophes réhabilitaient l’éthique aristotélicienne des vertus, et donc une morale attentive aux exigences des situations concrètes, faisant une large part, à côté du raisonnement, aux émotions et aux passions, à la qualité des attitudes et des dispositions affectives. Les critiques « néo-aristotéliciennes » du formalisme kantien ou de l’utilitarisme recoupent assez largement celles qui émanent de l’éthique du care. Elles possèdent aussi un air de famille avec l’idée de « sollicitude » portée par Paul Ricœur, ou avec les développements du dernier Foucault sur « le souci de soi et des autres ».
Le care est-il de gauche ?
D’où une troisième réflexion, critique celle-là, sur la tonalité militante de certaines déclarations récentes de philosophes du care interrogées par la presse après les déclarations de Martine Aubry. Pascale Molinier présente ainsi le care comme « une alternative au discours de droite » :
contre le discours dominant de la droite, de défiance envers les pauvres, d’obsession du tri entre bons et mauvais citoyens, de valorisation unique de la compétitivité, de l’expertise et de la performance, il est bien normal et heureux que la gauche adopte un modèle alternatif, qui soit sensible aux différences et prône l’attention désintéressée à autrui, et une pluralité de modèles de vie. Contre ce « monde sans pitié » de la droite, le care permet de renverser les valeurs, en allant les chercher du côté de ceux qui sont les plus stigmatisés.
Le care, soutient encore Molinier, serait « une idée de gauche, parce qu’il constitue une critique du libéralisme ».
Voilà qui me semble un peu sommaire. Certes, si l’on estime que le « discours de droite » est purement celui de la brutalité, de l’exploitation sans scrupules des faibles et de la valorisation de la « performance », on peut se satisfaire d’un clivage aussi rassurant. Mais il semble difficile de nier la parenté entre le discours du care et une longue tradition intellectuelle « de droite », qui conteste l’abstraction des « grands principes » et valorise la densité des liens communautaires et affectifs au détriment d’un souci éthéré de la « justice pour tous » et des « droits de l’homme ». Si le care est bien une « critique du libéralisme », il peut aussi bien s’agir du libéralisme anglo-saxon, universaliste et progressiste, représenté par Isaiah Berlin ou John Rawls et ses nombreux disciples.
Je ne dis pas que le care est une idée de droite plutôt que de gauche, mais plutôt qu’il n’est pas si facile de l’enrégimenter dans les catégories politiques traditionnelles. De ce point de vue, les réactions critiques de Manuel Valls ou du philosophe Ruwen Ogien sont assez convaincantes. Ce dernier estime que l’éthique du care risque de sombrer dans des formes de « paternalisme » :
Pour elle, c’est la relation concrète de soutien et de soins à ceux qui sont incapables de s’occuper d’eux-mêmes qui doit servir d’exemple. C’est une façon de voir les choses qui risque de virer au paternalisme, le paternalisme étant précisément cette attitude qui consiste à traiter les autres comme des personnes irresponsables, incapables de prendre soin d’elles-mêmes.
L’objection porte, précisément si l’on prétend faire du care un projet politique – ce qui paraît être l’intention de Martine Aubry. C’est une chose de valoriser en éthique les conduites dictées par l’attention aux personnes concrètes, autre chose de prétendre en déduire un programme de gouvernement, dont on se doute a priori qu’il doit faire face aussi à d’autres types d’exigences.
Je trouve encore plus aiguës les objections de Manuel Valls, qui entrevoit dans une « politique du care » un retour illusoire à l’État-providence :
Face à cette société qui se durcit, une tendance à gauche consiste à penser – et c’est tout à fait louable dans l’intention – qu’il faut mettre l’accent sur l’autre, sur l’attention qu’on lui porte et les soins qu’on lui prodigue. La tentation est grande de promouvoir comme panacée une « société du soin ». Je pense que cette intention, si noble soit-elle, est une erreur profonde et constitue même un recul pour la gauche et pour le pays.
Car l’individu n’est ni malade ni en demande de soins. En tous les cas, il n’appartient pas aux politiques d’en statuer. Non, il demande à pouvoir agir en toute liberté car partout il est empêché. Un chômeur en fin de droits, par exemple, n’est pas malade de ne pas avoir de travail, il est empêché dans sa capacité d’agir et de répondre aux besoins essentiels de sa famille. Cette distinction n’est pas superficielle, elle est primordiale car elle fonde tout le rapport démocratique que l’individu entretient avec la société.
Au plan de la conception de l’État, Valls est ici aussi près qu’on peut l’être de ce que l’Église catholique entend par « principe de subsidiarité », que je comprends comme l’idée que la fonction essentielle d’une autorité est d’apporter son aide (subsidium affere, selon l’expression de Pie XI dans Quadragesimo anno, 1931) aux membres du corps social pour qu’ils puissent exercer leur « capacité d’agir ». La subsidiarité ainsi comprise n’est pas d’abord affaire de suppléance (face aux défaillances des entités sociales inférieures), mais constitue plutôt un service de la liberté et de l’autonomie.
Cela n’interdit pas de faire droit aux requêtes légitimes d’une éthique du care : celle-ci avance à juste titre que les individus sont très généralement les mieux placés pour savoir ce qui est bon pour eux et pour leurs proches, pour ceux dont ils ont soin. Il paraît assez cohérent d’estimer qu’une politique responsable n’est pas celle qui se substitue aux individus pour prendre en charge ceux dont ils se préoccupent, mais qui tend au contraire à supprimer les obstacles – économiques, juridiques, etc. – qui entravent leur sollicitude.
Du care à la caritas ?
Et puisque je viens d’évoquer la subsidiarité, je conclus en cédant à l’envie de signaler aux promotrices françaises du care qu’elles possèdent un allié convaincu, quoique peut-être inattendu pour elles, dans la personne de Benoît XVI. C’est lui qui, dans sa première encyclique, Dieu est amour, décrivait la croissance de l’amour comme tendant vers le « soin de l’autre et pour l’autre » (Deus caritas est, n. 6). Du care à la caritas, la ressemblance n’est pas que de surface. Dès que l’on cesse de réduire la « charité » aux bons sentiments et aux bonnes œuvres, elle est même un assez bon candidat pour assumer une bonne partie des nuances du care. Il suffit, je crois, de relire « l’hymne à la charité » de saint Paul (I Corinthiens 13) pour s’en convaincre.
C’est surtout dans la plus récente encyclique de Benoît XVI, Caritas in veritate, que s’impose la convergence des propositions avancées avec certaines idées portées par l’éthique du care.
Aux philosophes qui affirment :
la politique, c’est également l’ensemble des pratiques ordinaires qui construisent les figures concrètes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Elle ne se réduit pas à un calcul d’intérêt mais implique de redonner sens aux logiques de don
semble ainsi répondre un Benoît XVI qui soutient pour sa part que
l’amour dans la vérité place l’homme devant l’étonnante expérience du don. La gratuité est présente dans sa vie sous de multiples formes qui souvent ne sont pas reconnues en raison d’une vision de l’existence purement productiviste et utilitariste. L’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. (Caritas in veritate, n. 34)
De même, lorsque les philosophes du care insistent sur la nécessité d’une attention publique aux conduites et aux activités privées inspirées par la sollicitude, le pape de son côté insiste sur l’urgence d’un « élargissement » de la pensée politique et économique en vue d’accueillir aussi les « comportements gratuits » :
Le binôme exclusif marché-État corrode la socialité, alors que les formes économiques solidaires, qui trouvent leur terrain le meilleur dans la société civile sans se limiter à elle, créent de la socialité. Le marché de la gratuité n’existe pas et on ne peut imposer par la loi des comportements gratuits. Pourtant, aussi bien le marché que la politique ont besoin de personnes ouvertes au don réciproque. (ibid., n. 39).
Je pourrais poursuivre le parallèle, dans le domaine de l’écologie, du sens du travail humain, ou du développement et de la solidarité internationale. Le point de convergence le plus significatif pourrait bien être la conception intrinsèquement relationnelle de la personne, abordée au §53 de l’encyclique, où le pape appelle à un approfondissement de la « catégorie de la relation » auquel peuvent singulièrement contribuer la métaphysique et la théologie. Du côté du care, une philosophe comme Virginia Held a soutenu une position voisine dans son livre Ethics of care: Personal, Politic, Global, paru en 2006.
Bien entendu, on pourrait également souligner les points qui séparent les idées de Benoît XVI des moralistes du care : par exemple son insistance sur la transcendance qui seule fonde adéquatement, à ses yeux, la dignité de la personne, ou encore le rappel des normes morales absolues, qui pour l’Église doivent toujours encadrer et guider la sollicitude pour les personnes concrètes. Mais ce serait s’engager dans un débat qui, précisément, risquerait de compromettre d’emblée un dialogue utile entre un courant dynamique de la pensée contemporaine et l’éthique sociale catholique renouvelée par Benoît XVI dans le sillage de son prédécesseur.
18 Mai 2010 at 18:35
Excellent. Mais ne dites pas au Premier Secrétaire du Parti Socialiste de s’appuyer sur les textes de Benoit XVI ! Quoique son papa n’y verrait certes aucun inconvénient.
Ici, je ne me sens pas à l’aise et les leaders politiques (dont le seul souci est de flatter l’électeur!) ne sont pas crédibles en ce domaine.
Pourquoi donc Martine s’est-elle engagée dans cette galère.
Au fait, Philarête est bien le dernier bibliothécaire de la bibliothèque d’Alexandrie ? J’étais dans l’impatience de vous lire.
18 Mai 2010 at 22:22
Merci pour cet excellent billet !
Juste une réserve.
Je me demande si tu ne sous-estime pas la capacité de la morale kantienne ou celle de l’uilitarisme millien à produire des développements allant dans le sens d’un éthique de la sollicitude.
Sans doute, les questionnements de Kant et de Mill portent sur les fondements de la morale, ce qui maintient leurs doctrines à un niveau d’abstraction très élevé. Mais leurs éthiques respectives ne se réduisent pas à la formulation de « l’impératif catégorique » ou du « principe d’utilité ».
Ainsi, dans sa « Doctrine de la vertu », Kant fait de la « bienfaisance » un « devoir d’amour » (trad Philonenko, Vrin, p.129 sq). Certes, ce que Kant appelle « l’amour pratique » du prochain n’est pas la Caritas du Bon Pasteur: mais il oblige à considérer comme un devoir de prodiguer des soins à un enfant ou un infirme, contrairement à ce que tu sembles dire.
Cela dit, il y a des aspects moins « sympathiques » chez Kant, en particulier son refus de la « compassion passive » (le fait de vouloir partager la souffrance des malheureux,ibid. p. 134-135) au prétexte qu’il ne faut pas ajouter la souffrance à la souffrance. Et Kant n’attache guère d’attention à la délicatesse, la douceur, la tendresse etc. Mais tout de même, je trouve que l’éthique de Kant résiste assez bien à l’objection que tu lui opposes, si on ne veut pas la limiter à l’usage que tu fais de l’impératif catégorique: sa rugosité tient en effet pus à son refus d’attacher une valeur morale aux sentiments qu’à son caractère abstrait.
De même je ne suis pas satisfait de ta critique de l’utilitarisme : dans son Essai sur Bentham, John Stuart Mill reproche à Bentham d’avoir méconnu la valeur morale de la « sympathie » (Puf Quadrige, 1998, p. 203 et 205, pex.)De plus, j’atire ton attention sur cette affirmation de Mill qui relativise beaucoup l’usage dogmatique qu’on peut faire du trop fameux « principe d’utilité : « l’utilité ou le bonheur sont des fins beaucoup trop complexes et mal définies pour être recherchées autrement qu’à travers une série de fins secondaires, sur lesquelles sont susceptibles de s’accorder et s’accordent le plus souvent des personnes qui diffèrent sur le critère ultime de la moralité, et à propos desquelles prévaut de fait bien plus d’unanimité chez les personnes réfléchies que ne le laisseraient supposer leurs divergences radicales sur les fondements métaphysiques de la morale » (ibid. p. 234). Il ya donc chez Mill une ouverture à un solide empirisme éthique qui s’accomoderait assez facilement, me semble-t-il, de développements sur la « sollicitude ».
Voilà pourquoi j’ai l’impression que le développement des éthiques du « care » est bel et bien assimilable par d’autres philosophies morales plus « métaphysiques ». D’ailleurs, n’est-ce pas ce que tu proposes de ton côté en intégrant ce champ de problématisation éthique à la morale catholique?
En somme, j’ai l’impression que les éthiques de la sollicitude constitueraient une sorte de garde-manger collectif où toutes les philosophie morales fondamentales pourraient venir faire leur marché, avant de confectionner leur propre soupe en y ajoutant quelques ingrédients spécifique…
19 Mai 2010 at 08:26
En résumé, voici la question que je voulais poser dans le com précédent: est-ce que l’éthique du « care » est une nouvelle doctrine morale (rivale du kantisme, de l’utilitarisme, de l’aristotélisme etc) ou bien est-ce un nouveau champ de problématisation? Pour l’instant, je penche pour la deuxième branche de l’alternative.
Mais si c’est un nouveau champ de problématisation, ce serait dommage qu’il soit consensuel…Ou alors, pour que la réflexion devienne intéressante, il faudrait prendre au sérieux les critiques d’Ogien à l’égard du paternalisme. « Maternage » conviendrait peut-être mieux, d’ailleurs, car ce champ de la réflexion éthique me paraît singulièrement (excessivement?) féminisé…
19 Mai 2010 at 14:01
Bonjour Philarête,
Je ne sais pas vraiment si ce dont je vais vous parler a un rapport direct avec la pensée du care telle que vous l’exposez dans cette article, mais je pense utile de vous faire part des rapides réflexions qui me sont venues à l’esprit ce matin en lisant une interviouve de MAM, notre bien aimée
ministre de l’intérieurGarde des Sceaux, à propos de la loi sur la burqa.Vous savez que deux nouvelles infractions pénales sont en cours de création actuellement: la première est une contravention conçue dans le but de punir la femme qui porte la burqa dans l’espace public; la seconde est un délit qui punit le mari qui le lui impose. Amende pour l’une, prison pour l’autre.
Un régime assez sévère pour ce qui n’est après tout qu’une tenue vestimentaire incorrecte.
Mais l’intérêt n’est pas là.
Il est dans cette remarque faite par MAM à un détour de l’entretien: elle affirme en substance qu’elle considère que la femme est plutôt une victime, si bien qu’une période intermédiaire destinée à convaincre les femmes qui portent la burqa de l’enlever, par un effort pédagogique, sera ménagée durant les 6 premiers mois à compter de l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi.
La première remarque qu’on peut se faire est qu’il est désormais admis que la loi française punisse une victime, ce qui n’est pas habituel.
C’est une bien curieuse façon de prendre soin d’une victime que de la punir. Mais, après tout, c’est concevable. La preuve en est que cette loi semble réunir un assez large consensus au Parlement.
Je me suis donc demandé si cette façon de prendre soin d’une victime en la punissant était une application moderne de la pensée du care.
La seconde remarque que je me suis faite se rapporte à une question dont Fantômette a très bien parlé: l’aptitude de nos sociétés à sommer une personne de se considérer comme une victime.
Dans les premiers 6 mois d’application de la loi, nos gendarmes et policiers iront voir les femmes qui portent la burqa et leur diront: « voilà Madame, il faut enlever la burqa parce que vous êtes une victime de votre mari et nous, société républicaine, on veut vous protéger. Vous comprenez?
– Mais non, M’sieur l’agent, c’est pas ça, je porte la burqa parce que c’est ma façon d’honorer mon dieu. Vous comprenez?
– Non Madame, vous êtes une victime. Donc vous devez faire ce qu’on vous dit de faire, sinon, on vous punira. C’est la loi, c’est comme ça.
– Mais comment pouvez-vous me punir si je suis une victime?
– Parce qu’on prend soin de vous Madame. On vous aime. Et qui aime bien châtie bien.
– Aaaah ok. Et la révocation de l’Edit de Nantes, c’était aussi de l’amour, donc?
– Ben… euh… ouais.
– Et la shoah?
– Mélangez pas tout, Madame! »
Je crois qu’on va bien se marrer avec le care.
19 Mai 2010 at 14:11
Erratum: Mam est GDS, pas Intérieur.
Corrigé in ze texte. C’est vrai que ça change tout le temps, ces trucs-là.
19 Mai 2010 at 14:26
Il m’a toujours semblé que les systèmes qui visaient à reporter les responsabilités sociales sur les structures publiques, avaient pour conséquence de déresponsabiliser les individus vis-à-vis de ceux qui sont dans le besoin. L’Etat Providence a forgé une société intrinsèquement égoïste.
Auparavant, la redistribution se faisait par une décision personnelle, fondée sur éthique. Aujourd’hui, l’Etat alourdit les ressources publiques et crée chez le citoyen, un sentiment d’accomplissement du devoir vis-à-vis du nécessiteux.
La notion de « solidarité » a peu à peu fait son chemin et adaptée à toute situation. Il devient une espèce de mot-clé pour justifier toute nouvelle action publique dans tel ou tel domaine. Le meilleur exemple : « l’Impôt de Solidarité sur la Fortune » … ce qui élève la notion de « solidarité » au degré d’obligation légale pour les gens fortunés… être obligé d’être solidaire : c’est fabuleux !
En attendant, le « nécessiteux », celui qui a besoin de « soin » obtient de l’argent : ce qui est également fabuleux, puisqu’il est bien connu que « l’argent public fait le bonheur »…
La question est donc de savoir comment « renouer » les relations sociales avec ceux qui, soit n’en n’ont plus, soit on des relations fragiles, et les « épaissir » c’est-à-dire leur donner une véritable profondeur humaine. Et cela ne peut être que gratuit : ça ne peut être que l’œuvre d’un « ami ».
Même s’il existe des métiers visant à éviter que des personnes se trouvent en marge de la société, les relations qu’elles entretiennent sont toujours dictées par un devoir (sauf exception).
On ne peut obliger une personne a développer une affection particulière pour une autre personne : seule une éthique ou une morale personnelle peuvent en être le moteur.
Il me semble donc que Mme Aubry se trompe gravement en transposant cette philosophie au monde politique : elle n’y trouvera que difficilement sa place, sauf à reproduire l’erreur de la « solidarité obligatoire »
19 Mai 2010 at 17:08
@ Physdémon, # 2
C’était, en effet, un défaut de mon billet de s’en tenir à un résumé « scolaire » des éthiques kantienne et utilitariste. Je résumais en fait une vulgate sur le care, utile en première approche, mais évidemment un peu sommaire. De fait, des défenses kantiennes ou utilitaristes n’ont pas manqué, qui ont montré que ces auteurs n’étaient pas si dépourvus de moyens pour conceptualiser la sollicitude. Cela dit, certains tenants du care ont répondu en s’inscrivant fermement dans une lignée anti-rationaliste en morale, en se réclamant de Hume, de Hutcheson, de Shaftesbury, d’Adam Smith, pour mettre en avant la primauté du sentiment et de l’empathie sur les règles et le raisonnement. C’est le cas par exemple de Michael Slote, dans The Ethics of Care and Empathy (2007). Son idée n’est pas que Kant, par exemple, ignore le « devoir » de sollicitude envers les infirmes; mais plutôt qu’il a tort de placer cette sollicitude sous la rubrique du « devoir », et qu’il faut admettre en éthique la place pour des préférences légitimes, qui violent le principe d’impartialité.
19 Mai 2010 at 17:12
@ Physdémon, # 3
Je partage ton interrogation. Gilligan penchait du même côté que toi (c’est une nouvelle branche de l’éthique), tandis qu’un Michael Slote ou une Virginia Held penchent pour la première hypothèse (c’est une autre éthique, plus puissante que celle qui s’inspire de Kant ou de Mill).
Ce que j’ai lu de ce courant montre qu’on ne peut trancher a priori: si l’on estime qu’il faut tout repenser à partir du care, alors on a bien une autre éthique, d’inspiration d’ailleurs assez relativiste. Je suis plutôt d’accord avec toi: c’est surtout un nouvel angle qui permet de renouveler certaines discussions et qui, pour le moins, enrichit le champ de la réflexion morale et l’enracine solidement dans le cadre de la vie ordinaire.
19 Mai 2010 at 17:15
@ Tschok, # 4
Je ne sais pas non plus si vos réflexions relèvent d’une critique du care, mais je partage entièrement votre soupçon et vos critiques à l’égard d’une politique fondée sur la victimisation. Ça donne d’ailleurs ce qu’on voit si souvent aujourd’hui: « prouvez (ou prétendez) que vous êtes une victime, et nous écouterons vos plaintes et vous ferons justice ».
Votre objection concernant la burqa montre avec force que, si la voie doit être celle de l’interdiction totale, alors l’approche « victimaire » est potentiellement la plus mauvaise possible!
19 Mai 2010 at 18:00
@ Skeepy, # 6
Je ne peux vous suivre quand vous écrivez:
Ce qu’on appelle « l’Etat providence » — généralement dans une visée polémique — a d’abord été la réponse nécessaire et urgente d’une société qui avait à se défendre contre les effets immensément corrupteur de l’égoïsme de quelques uns. Sans l’irresponsabilité sociale de certains industriels et spéculateurs, il n’aurait pas été nécessaire que l’Etat accepte enfin sa responsabilité de protéger les plus faibles… Il aura tout de même fallu la crise de 1929 et la Grande Dépression, les expériences fascistes et celle de la guerre pour qu’on parvienne à surmonter les dogmes libéraux qui interdisaient depuis un bon siècle toute intervention de l’Etat dans l’économie…
De même quand vous écrivez:
je ne suis pas exactement d’accord. « Auparavant », la redistribution se faisait largement en raison de règles sociales, coutumières, religieuses, assorties comme il se doit de sanctions diverses — réprobation, recours en justice, etc. Elle avait un caractère d’obligation, dans le cadre d’une société hiérarchique imposant d’onéreux devoirs à ceux qui détenaient la richesse ou la puissance.
Lorsque ce système a été disloqué, il a bien fallu, progressivement, reprendre conscience du fait qu’une société pouvait bien être aussi individualiste qu’on voulait, mais qu’elle ne pourrait subsister sans formes nouvelles de « solidarité » obligatoire (pas seulement obligatoire, mais aussi obligatoire).
Cela dit, je suis d’accord que l’on ne peut faire l’économie aussi de la gratuité, de la solidarité spontanée et que, de ce point de vue, se reposer entièrement sur des mesures contraignantes est totalement contreproductif — et par ailleurs injuste.
Il faut simplement se garder de l’illusion qui voudrait que chacun, dans une société donnée, soit naturellement porté à faire du bien autour de lui, et qu’il suffit donc de se reposer sur la bienveillance spontanée pour créer et maintenir la solidarité nécessaire à la vie sociale. Ça n’a jamais été comme ça — et aujourd’hui moins que jamais, je trouve…
19 Mai 2010 at 19:14
à Tschok et Philarête,
j’ai lu quelque part, sous la plume d’un juriste, que dans la tradition du droit pénal français, le consentement de la victime à subir une violence n’entrait pas en considération pour atténuer la faute de l’auteur d’une violence. Par exemple, une personne se livrant à des pratiques sadiques sur un masochiste est condamnable pour ces violences, quand même la victime l’aurait sollicitée explicitement pour cela.
Je ne me souviens plus si le droit pénal sanctionne d’une manière ou d’une autre les pratiques de type masochiste. Mais on pourrait peut-être imaginer qu’existe un délit de provocation d’autrui à la violence sur sa propre personne, puisque le fait de consentir à subir une violence ne retire pas à l’Etat l’obligation absolue de bannir la violence physique des relations entre particuliers, que celles-ci soient consenties ou non.
Dès lors, par analogie,le raisonnement de MAM ne me paraît pas si absurde (je ne dis pas que je la suis). Il y a un sens à dire que l’Etat a l’obligation de protéger une personne contre une « violence » qu’elle subit même si elle la subit de son plein gré, et( pourquoi pas ?) à protéger une personne contre une relation d’assujettissment, ou d’aliénation, qu’elle subit de son plein gré.
Je crois que toute une tradition républicaine, remontant au moins à Rousseau, approuverait ce type de raisonnement. Cf. Du contrat social, Lire I, chap 4: nul ne peut renoncer à sa liberté car ce serait renoncer à sa qualité d’homme… (je cite de mémoire).
Le point délicat est d’établir que le port du niqab soit un signe d’assujettissement incompatible avec l’idée de dignité de la femme, l’idée de son égalité avec l’homme, l’idée de liberté au sens où la liberté exclut tout rapport de dépendance personnelle (que signifierait pour une femme le fait en portant le voile de manifester une infériorité symbolique par rapport à l’homme).
Bref, même si je trouve les arguments de Tschok pertinents face à la thématique de la victimisation, je pense que l’analyse doit être poussée un peu plus loin et que les propos de MAM mérite un peu plus de considérations.
Derrière tout cela, il me semble qu’il y a un débat sur l’idée de liberté qui remonte au vieil antagonisme entre Rousseau et Locke. Et je trouve que Tschok, sur ce point, s’inscrit bien dans la tradition du libéralisme anglais.
19 Mai 2010 at 20:25
Bonsoir Physdémon,
C’est avec une certaine surprise que je vous vois établir un parallèle avec les comportements sexuels sadomaso.
Vraiment, je n’y aurais pas pensé.
Spontanément, j’aurais pensé à l’excision, où on rencontrait un raisonnement de type punitif contre la femme, perçu en tant que victime consentante.
Mais il s’agissait non pas de la femme excisée, mais de la mère de l’enfant excisée qui la contraint, par esprit de soumission aux traditions, à subir un ablation qu’elle même a subi dans son enfance.
Donc là, c’était plus simple: il y a avait une victime « pure » à protéger (l’enfant) et une victime soumise à punir, en tant qu’auteur d’une infraction bien identifiée.
Finalement ça ne pose pas de problème: dans un domaine voisin, les viols de mineurs par exemple, on sait très bien punir un violeur d’enfant, quand bien même ne ferait il que reproduire la violence dont lui même a été victime dans son enfance, ce qui n’est jamais considéré que comme une circonstance atténuante, au mieux.
Là, avec la loi sur la burqa, il s’agit de punir la victime, du moins la personne qui se voit assigner cette qualité sans qu’on ne lui demande rien.
C’est ça qui est étrange.
C’est la société qui désigne l’un de ses membres en tant que victime pour mieux la punir.
On est en train de dire à ses femmes « je te désigne comme victime et je t’interdis de l’être: si tu refuses de ne plus l’être, je te punis ».
Avouez que c’est étrange quand même…
J’ai pas encore trouvé le raisonnement philosophique qui peut le justifier en raison.
Et il ne me semble pas qu’il soit particulièrement anglo saxon d’être surpris à l’idée de punir la victime.
Sans difficulté, je sais punir l’auteur d’une infraction. Mais la victime de cette infraction, là, je cale.
Sachant par ailleurs que c’est exactement ce qu’on reproche à l’islam radical: punir les femmes violées.
Ben on fait pareil, sauf que nous on les lapide pas. C’est plus propre.
19 Mai 2010 at 20:27
Au passage on peut se dire que c’est fou comme on ressemble à ses adversaires quand on se met à penser comme eux.
C’est d’une dérisoire facilité de ressembler à ce qu’on veut combattre.
19 Mai 2010 at 23:38
A Tschok,
votre présentation de la chose est intéressante et ridiculise la position des partisans de la loi d’interdiction de la burqa (dont je ne suis pas: je n’ai pas d’opinion arrêtée sur la question).
En fait quand vous dites :
« On est en train de dire à ses femmes “je te désigne comme victime et je t’interdis de l’être: si tu refuses de ne plus l’être, je te punis”,
il y a un point capital qui manque par rapport à la présentation du problème que je vous ai proposée à mon tour.
C’est qu’on peut bien reprocher à une personne d’être une « victime consentante »: c’est ce que pour ma part je reprocherais à un masochiste ou à une prostituée qui chercherait à innocenter son proxénète (ne me dites pas que cela n’arrive jamais).
On peut donc en ce sens envisager de punir une « victime consentante » non en tant que victime mais en tant que complice de son propre assujettissement, par sa passivité par exemple, ou par son obstination à se complaire dans son aliénation…
Le problème que j’aborde n’a rien de neuf ni de si étrange: j’oserais dire qu’il a joué un rôle fondateur dans l’élaboration de la pensé républicaine moderne.
Il s’agit du débat sur « l’esclavage volontaire » traité par Rousseau dans « Du Contrat social », livre I, chap. 4. Rousseau y critique une théorie de l’esclavage élaborée par le jurisconsulte Grotius et fondée sur l’idée d’un contrat d’aliénation entre le maître et l’esclave. L’esclavage serait légitime pour Grotius si l’esclave a consenti à se soumettre à un maître en contrepartie de sa subsistance, de sa tranquillité ou de la vie (s’il est un prisonnier de guerre). Rousseau réfute cette théorie de l’esclavage volontaire, contractuel, en montrant que les conditions du contrat ne sont pas valides dans les cas considérés. Le nerf de l’argument est que le consentement ne suffit pas à assurer que le contrat est valide si les parties contractantes ne demeurent pas dans un état d’égale dignité à l’issue du contrat, car on ne peut considérer comme libre un engagement ou une personne ne préserve pas des intérêts fondamentaux mettant en jeu sa dignité, sa « qualité d’homme.
Il est possible de s’appuyer sur cette analyse pour critiquer le contractualisme à la base du libéralisme: Marx ne s’en est pas privé dans certains chapitres du Capital: le consentement du contractant n’est pas toujours un acte libre, contrairement à ce que présuppose la tradition libérale.
Voilà pourquoi je pense que l’argument de MAM, plus jacobine que libérale au fond, n’est pas sans intérêt: on ne peut pas considérer qu’une femme agisse librement chaque fois que son acte même contient implicitement une négation de sa dignité d’être humain: car après tout, le fait de porter un voile peut s’interpréter(je sais que c’est discutable, je l’envisage comme un cas de figure à considérer) comme une manière de dire: je ne suis qu’une femme et ma vision du monde m’oblige à afficher dans ma tenue vestimentaire ma conviction profonde que j’ai moins de valeur qu’un homme.
Dès lors, interdire le voile islamique peut se comprendre comme une application d’un principe républicain, jacobin et rousseauiste qui est que la réublique doit non seulement « laisser » les hommes libres mais les « rendre » libre, au besoin en les y contraignant.
C’est ce que dit Rousseau lorsqu’il dit en toutes lettres, quoique dans un tout autre contexte:
« on le forcera d’être libre ». (ibid. chap. 7)
Pour ma part, je ne suis pas (ou plutôt plus) rousseauiste en politique. J’en suis venu à me méfier de l’idée qu’on puisse et doive émaciper les personnes malgré elles… La mémoire de la Vendée et le spectacle des politiques d’éducation nationale m’ont détourné de cette façon de voir. Mais je crois que cette idée n’a rien de sotte et mérite d’être entendue dans le débat public.
Autre point: il me semble que l’argumentaire de MAM est plus d’ordre politique que juridique. J’ai entendu Guy Carcassonne, le fameux constitutionnaliste, soutenir qu’à ses yeux un tel projet d’interdiction du niqab était recevable par nos institutions sur la base de la notion d’ordre public. L’ordre public ne se réduit pas à la sécurité, il inclut, toujours d’après Carcassone tout un ensemble de modalités du vivre ensemble, bref la prise en compte des us et coutumes. Se promener vêtu d’un niqab pourrait donc être considéré comme une atteinte à l’ordre public comme le fait de se promener nu sur les Champs-Elysées, au sens où la vie en société exige de respecter des règles de pudeur, exige de ne pas offenser des manières d’être nécessaire à une vie commune paisible. Or, le port du niqab constituerait une forme d’agression à l’égard des sentiments de sociabilité communs, comme l’a analysé brillamment Philarête dans ce blog il y a quelques mois.
C’est plutôt ce genre d’arguments qui me convaincrait de la légitimité (pas de l’opportunité) d’interdire le niqab, , même si, pour l’instant, je suis encore dans l’expectative…
19 Mai 2010 at 23:50
à Philarête,
Désolé pour ce long hors sujet. J’ai encore plein de questions à te poser sur l’éthique du « care » et j’ai beaucoup apprécié les calembours dont tu as truffé ton texte.
Maintenant, j’aimerais savoir si l’éthique du care ne peut pas se coupler facilement avec une spiritualité orientale éloignée de toute vision culpabilisante de la morale. Ce serait une manière intéressante de passer du « care » au zen.
D’où le nom de « care-bure » qu’on donne à la tenue des moines zen…
20 Mai 2010 at 06:57
@Philarète : j’aurais sans doute du mieux préciser ma pensée. Je ne remet pas en question l’origine de ces systèmes sociaux : il est évident que les systèmes libéraux engendraient d’énormes injustices.
L’idée était plutôt de montrer qu’en mettant l’Etat comme intermédiaire opaque entre le « donateur » et le « bénéficiaire », le système de redistribution – tel que je le vois aujourd’hui – « aliène » en quelque sorte ma responsabilité sociale, parce qu’il m’empêche de faire le lien entre ma participation au système par les charges sociales et la réalité de l’action sociale dont l’Etat a la charge.
Certes je peux constater ses effets d’un point de vue général, et je peux même en devenir bénéficiaire, mais je ne ferai jamais le lien direct entre ce que je donne et celui qui en bénéficie.
Par ailleurs, le poids fiscal est tel (charges sociales, charges patronales, IRPP), que les actifs finissent par se sentir véritablement détaché de toute responsabilité supplémentaire vis à vis de l’autre : un actif perçoit 50% de ce qu’il produit réellement et doit encore donner environ 8% de ce qu’il a perçu (actif célibataire) à l’administration fiscale. Qui irait encore donner s’ils n’est motivé par quelque chose de plus fort qu’une simple empathie ?
C’est – à mon avis – la raison pour laquelle les catholiques sont les plus nombreux à donner…
Je ne nie pas, par contre, qu’il soit nécessaire qu’il y ait une certaine contrainte dans la « solidarité » : peu de gens apporteraient un concours financier de manière totalement volontaire. Mais il faudrait pouvoir renouer « don » et « action ».
Par exemple, l’Etat pourrait proposer à des structures indépendantes, associatives, de réaliser le même travail que l’actuel Pôle emploi et aux entreprises de mettre à disposition leurs salariés, par exemple, une demi journée par semaine ou par mois) pour suivre les dossiers de chercheurs d’emploi et réaliser du coaching.
Les charges sociales & patronales afférentes seraient redirigées pour financer cette structure.
Je ne sais pas si c’est réalisable, ou totalement idéaliste, mais ce me semble représenter un système équilibré entre le « tout Etat » et le « tout initiative privée »…
20 Mai 2010 at 09:58
@ Physdémon et tschok,
Il est vraiment intéressant de voir, à l’occasion de ce débat, la façon dont se brouille peu à peu la frontière entre victime et délinquant.
Quand être victime devient une cause de trouble à l’ordre public…
Mais évidemment, une partie de cette analyse est faussée précisément parce que cette victime là est une victime qui s’ignore toujours, voire refuse de l’être, souvent.
La dépossession de ces femmes de leur autonomie s’opère donc en plusieurs temps: on commence par leur accoler un statut de victimes qu’elle n’avait pas eu l’idée de revendiquer.
Puis, on les punit, si elles persistent dans leur attitude anti-sociale.
Tout cela au nom d’une dignité dont on ne voit guère par quel miracle elle sortirait renforcée de cet hallucinant processus…
On ne met ici vraiment le doigt sur l’enjeu politique qu’est devenue la figure mythique de la victime.
Parce que, dans une certaine mesure, cette victime ne sera pas punie pour avoir été victime, mais pour avoir refusé de l’être.
20 Mai 2010 at 10:40
@ Skeepy
Ce que vous dites est tout à fait juste. Cependant, je ne crois pas qu’il faille réduire la « solidarité » au fait d’apporter concrètement de l’aide à des personnes en difficulté — chose évidemment louable et qui mériterait d’être davantage encouragée, y compris par les moyens que vous proposez.
Cependant, il est bon aussi de voir que la participation obligatoire sous forme des prélèvements fiscaux sert aussi à financer des « biens publics » dont tous bénéficient, y compris ceux qui ont la chance de (bien) gagner leur vie:
Par exemple, la sécurité (mesure-t-on à sa juste valeur le fait que dans nos sociétés, nous nous sentons virtuellement à l’abri de la plupart des dangers qui la plupart des habitants d’autres pays?);
l’éducation (par mon travail je contribue à financer le système qui m’a permis de faire des études pratiquement gratuites!);
la santé publique (hors polémique sur le coût de la Sécu, mesure-t-on ce qu’il en coûte d’être à l’abri des médicaments frauduleux, de médecins véreux, d’aliments pathogènes, d’eau polluée, etc.? Là encore, c’est « l’ordinaire » d’innombrables populations…);
les voies publiques, qui nous permettent de circuler chaque jour dans des rues bien entretenues et des routes excellentes, alors que partout où les prélèvements obligatoires sont moins élevés on voit des chaussées défoncées, des trottoirs accidentés, une signalétique déficiente, etc.
sans parler du coût de la diplomatie, de la défense nationale et, plus généralement, des sommes considérables qui permettent aux Etats occidentaux de mettre leurs citoyens à l’abri des conflits et des agressions, etc.
Bref, même si l’on peut discuter sur chacune de ces composantes du « bien commun » et des manières de les améliorer, il y a tout de même une qualité impressionnante des biens publics dans notre pays, et cela a un coût qui justifie sans doute en (bonne) partie le poids des impôts. Même si, encore une fois, ça ne veut pas dire que le système est parfait et qu’il ne pourrait être mieux administré…
20 Mai 2010 at 11:39
Physdémon,
Je vous suis bien et pour à mon tour citer de belles lettres, je vois une très bonne raison de faire référence à Montesquieu, « De L’Esprit des Loi », livre XV, chap.VI, qui traite des véritables origines du droit de l’esclavage, en adoptant la position que justement Rousseau critique, et qui se termine ainsi:
« […];ce qui forme une convention réciproque entre DEUX les parties »
Le consentement, réel ou supposé, sain et éclairé, ou surpris par la violence ou la fraude, s’inscrit dans un rapport bilatéral, de type éventuellement contractuel.
Mais ici, il n’est pas question de cela.
Il est question de ce que vous dit Fantômette: une troisième partie, qui est hors du rapport d’esclavage supposé, désigne l’une des deux autres en qualité de victime. Sans lui demander son avis, sans même se soucier de savoir si, réellement, il existe un contrat d’esclavage.
Un rapport tripartite, donc, où une autorité s’arroge le droit de qualifier le rapport bilatéral qu’elle observe de l’extérieur pour mieux imposer SON point de vue.
Il ne s’agit pas de libérer, il s’agit de dominer.
Comment rendre cette intervention extérieure légitime en raison? Comment pourrait on la justifier?
Retour au concept du care développé par Philarête dans ce post (j’essaye de revenir au sujet et à la question que je posais à Philarête dans mon premier com).
La plasticité du concept du care, un peu multi usages, nous permettrait-elle de trouver un fondement rationnel et équilibré à cette désignation d’une personne en qualité de victime contre sa volonté, dans le but de la punir?
Et si oui, est il souhaitable que le concept du care parvienne à le faire?
Voilà en gros avec quelles interrogations j’ai rédigé mon premier com.
Je vous propose de laisser de côté Guy Carcassonne, qui raisonne en juriste sur des bases très classiques. Je vous rappelle la problématique: pour porter atteinte à la liberté d’exercice des pratiques religieuses, qui relève de la liberté de conscience et a, à ce titre, valeur constitutionnelle, il me faut un motif d’ordre public. Guy Carcassonne essaye de discerner dans un ensemble de « sentiments de sociabilité communs », comme vous dites, d’où on pourrait tirer une obligation pour tout sujet de droit d’agir à visage découvert dans l’accomplissement de tous les actes de sa vie social (ce qui se conçoit aisément) sous peine de troubler gravement l’ordre public (c’est là que ça coince: une règle sociale n’est pas une règle légale), trouble à l’ordre public qui justifierait à son tour qu’on porte atteinte à une liberté fondamentale (là aussi ça coince: le rapport de proportionnalité n’a rien d’évident).
Cette problématique là n’est pas celle du care.
Le care me donne t’il les moyens rationnels de désigner une victime dans le but de la punir, afin, au bout du compte, d’en prendre soin?
20 Mai 2010 at 11:44
Application au domaine social du concept du care: puis-je retirer à une famille ses allocations familiales ou divers avantages sociaux au motif que les parents ont perdu la maîtrise de leurs enfants, qui créent des désordres, et faire tout cela en leur disant: « je le fais parce que je prends soin de vous »?
20 Mai 2010 at 12:11
Ou encore, question de science-juridique fiction, tschok : puis-je poursuivre une victime de viol pour non-dénonciation du crime dont elle a été victime?
(La victime ne figure pas dans la liste des personnes exemptées de l’obligation de dénoncer un crime dont « il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés » de l’article 434-1 CP.)
(Amusant, non?)
20 Mai 2010 at 14:38
Oui Fantômette, c’est assez amusant, d’un certain point de vue.
En dépit de votre plus jeune âge par rapport à moi, je crois que nous pouvons dire de nous mêmes que nous sommes des juristes de la même génération.
Quand nous sommes entrés dans le droit l’un des multiples problèmes que nous nous posions, relativement au sujet dont vous parlez précisément en com 21 était de savoir si l’action publique pouvait se poursuivre en cas de retrait de la plainte de la partie civile (la victime).
L’affaire Polanski, quoi.
Mais maintenant, nous en sommes très précisément là: à votre com 21.
Et visiblement cela n’amuse pas tout le monde, car nous ne sommes pas tous au bal (des vampires).
20 Mai 2010 at 15:21
@ Philarête et Physdémon,
Une précision, par rapport au hors sujet.
Pourquoi en vous lisant, Philarête, j’ai connecté sur l’interviouve de MAM?
Votre post comprend en lecture rapide trois parties, ou peut être vaudrait il mieux dire trois axes: à partir d’une intro qui met en exergue un événement de la vie politique française, vous nous introduisez le sujet: le care.
En première partie (en premier axe), vous exposez le sujet, ses origines, ses potentialités, de façon assez positive.
En deuxième partie vous amenez la critique, par le biais de son actualité et de son positionnement idéologique (le care est il de gauche?)
En troisième partie, vous confrontez la notion avec la pensée chrétienne, et vous citez le pape (papiste, va…)
(pardonnez moi si cette analyse est faite à la hache et rectifiez moi au besoin)
C’est en deuxième partie que j’ai accroché (pas au sens de vous lire, mais au sens de friction).
Au paragraphe commençant par « La référence à la vie ordinaire est significative » et terminant par « C’est à la dimension morale de l’existence quotidienne que s’intéresse en priorité l’éthique du care ».
Or, tous les motifs qui sont amenés pour porter atteinte à la liberté dont je discute, savoir la liberté de conscience, ressortissent précisément à la vie ordinaire: les sentiments de sociabilité communs ».
Mesurez le danger: si on parvient à inventer un raisonnement logique qui permet de porter atteinte légitimement à une liberté fondamentale sur la base d’un simple sentiment de sociabilité commun, alors, nos libertés, mêmes les plus fondamentales, ne valent guère mieux que les plus primitifs de nos sentiments, voire de nos émotions.
En somme, le care est un moyen de dire: je ne veux pas de la loi, parce qu’elle me fait chier.
C’est pourquoi, bien que j’aie compris que vous souhaitiez exposer le care sous un angle plutôt positif, je suis tout de suite allé voir la porte de derrière: le côté obscur.
Vous présentez le care comme quelque chose qui va nous permettre de produire du mieux. Et moi, je vous en parle comme quelque chose qui va produire du mal, sur le terrain de la liberté, alors que par ailleurs vous avez une discussion à peu près équivalente avec Skeepy sur un terrain économico sociétal (mon dieu que c’est laid de dire ainsi les choses), enfin, sur les conséquences morales et sociales des modes de répartition de la valeur ajoutée.
De notre côté, avec Physdémon et Fantômette, nous étions plutôt sur le terrain droit-liberté-politique.
Donc, il me semble qu’il y a quand même une unité d’action dans cette discussion, même si elle nous donne l’impression de partir en tous sens.
Là où je fais peut être preuve d’une certaine forme de perversion intellectuelle (Physdémon n’est pas très loin de moi dans ce brouillard: il a spontanément pensé au sadomaso) c’est quand je vous ai interrogé sur la possibilité du care de produire du mal, pour le justifier.
J’admets que c’est une question assez déroutante.
Mais c’est une question expérimentale qui me semble reliée aux objections que vous présentez vous-même dans votre article (toute la partie sur les objections de E. Valls: un Etat paternaliste qui nous prend en charge économiquement, c’est son objection, mais aussi affectivement, par rapport à nos peurs, c’est la mienne).
Elle amène, en pivot, à la citation de mon Finkie chou chéri, réac de service abonné à la revue « Nous les vieux cons, nous existons », mais qu’on peut pas s’empêcher d’aimer quand même parce qu’il fait réfléchir.
Et peut être, pour ceux qui y croient, à cette dernière partie de votre article qui se réfère à la pensée chrétienne.
Tout cela pour vous dire, que je pense pas avoir été totalement hors sujet.
20 Mai 2010 at 15:24
Finkie chou chéri, sans e.
Arrrh!
Corrigé. Mais je laisse ce com’ quand même, il est trop chou (chéri).
20 Mai 2010 at 17:03
@ Tschok
Vos précisions ne s’imposaient pas, car ici le hors-sujet est toléré (voire encouragé quand il est intéressant en soi), et qu’en outre vous nous aviez déjà donné les moyens de comprendre comment votre propos se reliait quand même au billet… Mais merci quand même d’animer (une fois de plus) si généreusement le débat.
Je crois que nous sommes d’accord sur un point essentiel, que je formulerais pour ma part ainsi: si l’on prétend faire de l’éthique du care un substitut à une théorie de la justice, on va au devant de graves ennuis! C’est bien le risque dénoncé par Valls, et aussi par Ruwen Ogien dans l’article que je cite — notamment lorsqu’Ogien montre que nos conceptions politiques reposent sur l’idée que la société est composée d’adultes majeurs et responsables — pas de mineurs en souffrance et de victimes à protéger contre les autres et surtout contre elles-mêmes.
Et Valls encore a raison de se méfier d’une politique qui prétend faire le bonheur des gens, y compris contre leur gré, au nom de la lucidité supérieure de l’Etat sur ce qu’est le bonheur…
Un argument tout de même me vient à l’idée, quant à la possibilité de sanctionner les femmes à burqa: l’existence d’une sanction revient à dire « On vous punit parce que VOUS êtes responsables », i.e. vous pouvez faire preuve de liberté, et notre ordre social repose sur cet a priori de liberté et de responsabilité.
L’argument ne serait pervers que si l’on voulait en outre faire de la femme une victime — d’où vos justes critiques sur la position que vous imputez à MAM, et d’où aussi les aventures de Physdémon au pays du sado-masochisme…
Mais en soi, l’idée de sanctionner le port de la burqa peut être défendue justement comme le refus de la victimisation. Elle ne relève pas d’une « politique du care », mais bien d’une logique politique et juridique de la responsabilité. En gros, et pour le dire de façon un peu violente: « ne nous racontez pas que c’est votre mari qui vous impose ce truc, vous êtes majeure et libre, donc c’est vous qui décidez ». Exactement comme on dit au conducteur ivre: « ne nous racontez pas que vous vous êtes bourré la gueule parce que vous avez été viré de votre boulot, ou que votre femme vous fait des misères — vous êtes majeur et libre, donc pas d’excuse ».
20 Mai 2010 at 18:56
J’ai suivi le fort intéressant débat et arrive tout de même à la conclusion (très intéressante aussi) et fort bien résumée dans l’article de Pierre Poucet sur le ring :
« Il s’agit aussi plus prosaïquement d’un foutage de gueule en bonne et due forme. «
voir :
http://www.surlering.com/article/article.php/article/martine-et-son-care-des-merveilles
20 Mai 2010 at 19:05
@ René de Séverac, # 1
Je manque à tous mes devoirs!
Vous m’apprenez qu’un Philarête fut le dernier conservateur de la Bibliothèque d’Alexandrie: je l’ignorais, mais soudain ce patronage m’apparaît hautement désirable et je crois que c’est lui désormais que j’invoquerai lorsqu’on me demandera pourquoi ce choix bizarre.
La véritable origine de ce pseudo est notablement plus triviale. Elle plonge ses racines dans mon manque absolu d’imagination, dans une étymologie qui a tout de même valeur de programme (« aimer la vertu » permet d’accueillir ici tous ceux qui, de bonne volonté, sont prêts à converser courtoisement, à contribuer à une réflexion commune, voire, modestement, à chercher de concert la vérité sur les sujets abordés — et tous ceux qui viendront à l’esprit à l’occasion des précédents), et enfin dans le souvenir d’une rencontre baroque et mémorable avec un moine orthodoxe qui, auparavant, s’appelait Marcel comme tout le monde. Enfin, il ne s’appelait pas vraiment Marcel, mais c’était tout comme. « Philarête » lui allait comme un gant à un manchot, et j’ai repris le nom dans les mêmes dispositions d’humilité.
20 Mai 2010 at 19:14
@ René de Séverac, # 26
Merci pour la référence. Je répondais à votre com’ n° 1 lorsque le n° 26 est arrivé. Je n’ai fait que survoler l’article du Ring, qui promet d’être réjouissant. Mais je m’en veux déjà d’avoir omis ce calembour-là, qui pourrait résumer l’origine féministe du concept:
Les hommes viennent de Mars, les femmes vont au Caire.
J’ai aussi épargné à mes lecteurs cette synthèse possible des propos de Manuel Valls, lorsqu’il met en perspective la « passion » sarkozienne et la sollicitude de Martine Aubry:
Du karcher au cher care? (Mais il faut prononcer « care » comme dans « autocar »).
Remercions aussi Physdémon pour son charmant « Du care au zen ».
20 Mai 2010 at 21:05
à Philarête, Tschok et Fantômette,
je crois que Philarête a bien fait de reformuler le problème en évacuant la notion de « victime consentante » que j’avais imprudemment employée. Si quelque chose pouvait justifier l’interdiction du niqab, ce ne serait pas le fait que la femme portant cet accoutrement soit une victime mais bien le fait qu’elle soit RESPONSABLE de son propre avilissement. (A ma décharge, je n’avais employé le terme victime que pour reprendre la terminologie de Tschok, mais le nerf de mon argumentation tenait au fait qu’elle soit « CONSENTANTE »).
Mais par ailleurs, je trouve très intéressant l’argument de Tschok, c’est l’idée du « rapport tripartite » où l’Etat s’arroge le droit de juger mieux que la personne qu’il veut émanciper si oui ou non elle est soumise à un assujettissement… C’est bien à mon sens le point où la thématique « rousseauiste du « on le forcera d’être libre » risque toujours de déraper…
Moralité, je suis toujours très partagé sur cette histoire de Niqab. Entre Rousseau et Montesquieu, MAM et Tschok, Fantômette et Valls, mon coeur balance.
20 Mai 2010 at 21:43
Cher Philarête,
Je relis ton texte sur l’éthique du care avec un intérêt renouvelé.
Il y a deux points qui me posent question:
1° Le rapport entre l’éthique du care et l’individualisme des sociétés démocratiques tel que Tocqueville l’a analysé.Je rappelle que pour Tocqueville l’individualisme n’est pas un sentiment naturel, comme l’égoïsme, mais un fait social qui tend à se développer dans les démocraties: il s’agit du repli de l’individu non seulement sur lui-même mais aussi sur ses proches au détriment de l’engagement dans la vie publique. L’éthique du care ne pourrait-elle pas être un sous-produit de l’individualisme contemporain du moins lorsqu’il prend l’allure d’un projet de refondation de la morale sur des principes hostiles à l’universalisme classique ou kantien ? Auquel cas, serait-il bien le remède approprié face aux tendances dissolvantes de l’individualisme démocratique? (Ceci constitue une objection à M. Aubry).
2° L’éthique du care prend pour modèle un ensemble de comportements supposés typiquement ou féminins (ce que je suis prêt à admettre, n’ayant jamais été convaincu par l’existentialisme et le culturalisme postbeauvoiriens). Or ces comportements et les traits de caractères qui en découlent me semblent en connexion étroite avec des modes de vie que l’émancipation féminine des quarante dernières années a condamné à disparaître. Pendant des siècles les femmes ont pratiqué une éthique du « care » que les philosophes s’abstenaient d’analyser par préjugé misogyne, sans doute. Mais désormais cette « éthique du care vécue » a perdu son substrat sociologique, et la nécessité de penser cette éthique n’est peut-être que l’indice de sa disparition prochaine? L’oiseau de Minerve prend son envol à la tombée de la nuit…
Dès lors, une telle éthique peut-elle nous éclairer pour l’avenir? Pour ma part je veux bien croire que oui, étant un réactionnaire incurable bien persuadé que la vérité morale n’a rien à voir avec le nombre de personne qu’elle persuade, surtout de nos jours. J’en conviens, la sollicitude, avec sa partialité, est une belle vertu. Mais je crains que l’éthique de la sollicitude soit dénuée d’efficacité rhétorique et rejoigne quelques autres beaux échantillons au musée des éthiques où figurent actuellement mes propres convictions.
Cela dit, cela fait toujours plaisir de découvrir qu’il y a d’autres Don Quichotte en circulation. Malheureusement, je crains que les femmes d’aujourd’hui soit tombées à un niveau de moralité presque aussi bas que celui des hommes, ce qui n’est pas peu dire… La femme dont je souhaiterais qu’elle fût l’avenir de l’homme, c’est la femme d’autrefois (je suis un grand admirateur de Sophie Rostopchine, Jane Austen et Sigrid Undset : mes trois idoles)!
21 Mai 2010 at 14:22
@ Physdémon, et à Philarête aussi,
Sur la burqa, ou le niqab, il ne faut pas confondre les ordres de responsabilité.
Vous avez trois ordres de responsabilité: la morale, le civil et le pénal.
La morale, c’est la sanction que la conscience s’inflige à elle-même. C’est intime social en même temps.
Le pénal, c’est la punition: on peut aller fort loin dans ce domaine: on peut infliger la mort, la torture, l’humiliation. En gros, même lorsque nous sommes civilisés, ce qu’on inflige, c’est de la souffrance.
Exemple: lorsque nous condamnons un délinquant ou un criminel à une peine de privation de liberté, nous lui infligeons une souffrance qui se matérialise dans le fait qu’il ne pourra plus aller là où bon lui semble.
Cette souffrance est considérée comme suffisante et c’est ce principe, ne pas abuser, qui nous rend civilisé, donc légitime à le faire.
Du même coup, sont exclus les traitements inhumains, dégradants, etc. Le problème n’est pas de faire souffrir les gens: on sait comment s’y prendre. Le problème est de fixer une limite.
Cette idée là: fixer une limite en matière pénale, a sauté. C’est le « tout est permis » du moment que c’est efficace. Or, nous savons que dans le domaine de la violence, tout est efficace, du moment qu’il n’y a aucune limite.
A côté de cela, il y a la responsabilité civile: on ne paye pas de sa personne pour la faute commise, on paye sur son patrimoine (économique ou juridique) ou ses revenus, soit pour faute, soit sans faute, dans une logique assurantielle: ce qui compte, ce n’est pas de punir, c’est de réparer un dommage, donc, créer le système qui peut le faire, tout en maintenant les solidairités.
Dans l’ordre des fautes, tel qu’en parle Denis Moreau, on est dans l’avarice. On va punir indirectement une personne en l’affligeant dans la dimension de ses passions.
Dans l’ordre de l’absence de faute, on va aller dans la logique contractuelle de la police d’assurance avec tout ce que ça implique : ce qui est couvert ou non par les clauses du contrat, avec un système plus ou moins élaboré de partage de la plus valu et des risques.
Ce régime de la responsabilité va donc dans deux directions: la réparation du fait fautif, et des faits non fautifs (tout ce qui a trait au phénomène assurantiel ou mutualiste) et qui nous amène au régime de précaution.
Exemple: un avion se casse la gueule au milieu de l’Atlantique sud, avec plein de gens à bord. Est ce qu’on indemnise, si oui, pourquoi, et comment?
Et, lié à cela, les systèmes de présomptions légales qui vont soit imputer la commission d’une faute, ou, sans se prononcer sur ce point, imputer une relation de responsabilité, dans un but de couverture contre un risque (sida, amiante, sang contaminé)
Là dessus, vous dites, vous Philarête et Physdémon, que la femmes musulmane qui se voile en terre française est RESPONSABLE.
Soit, et je ne vous dirai pas le contraire.
Mais dans quel ordre de responsabilité est elle responsable, et de quoi est elle responsable?
Certains veulent la punir: donc, il est clair qu’il la tiennent pour coupable, cette femme. Mais en même temps, ils disent qu’elle est victime.
Seulement, dans une infraction pénale il n’y a pas de miracle: vous avez un auteur et vous avez une victime. Ce n’est pas un contrat: l’homme qui tue ma femme en me promettant le salut de ma fille, pourvu que je lui obéisse et que le regarde la violer ne passe pas avec moi un contrat d’esclavage. Il n’y a pas de contrat: le truc que je vous décris s’appelle un crime. Pas un contrat. Faut pas déconner.
Donc, rétablissons la vérité: une infraction pénale n’est pas un contrat entre un auteur et sa victime. Le fait que le procès pénal moderne ait tourné à la demande en résolution de « contrat victimaire » est une perversion que nous avons acceptée, mais on a eu tort. C’est un produit de nos propres perversions et de nos propres projections.
D’autres hésitent à la punir mais veulent dire qu’elle est responsable (c’est vous, Physdémon et Philarête) malgré tout, sans trop savoir.
Dans ce cas, nulle hésitation, au regard du droit civil: la femme voilée commet une faute civile, elle en répond sur ses biens, mais il faut caractériser cette faute et fixer un préjudice.
Mais, au regard du droit pénal?
Porter un voile, un niqab, une burqa ou une paire de rideaux a-t’il jamais causé un autre préjudice que celui qu’endure le bon goût? Laissons de côté la question de savoir si ce préjudice est indemnisable et posons une autre question: êtes vous prêt à condamner pénalement quelqu’un pour une faute civile?
Attention, je ne vous parle pas seulement de la femme musulmane, ou de son mari, je vous parle de votre garagiste: il vous a promis votre voiture pour le 20 du mois prochain, mais, arrivé là, il ne tient pas sa promesse: donc escroquerie, car il a obtenu une remise d’argent contre la croyance en une chimère (qu’il allait vous livrer votre voiture pour le 20). Allons-y et condamnons-le.
Et condamnons les tous, ceux qui ne tiennent pas leurs promesses (civiles) à des peines de prisons ou d’amende!
Et vous verrez qu’en trois mois, c’est la population française que vous mettrez en prison, vous compris. Car il y a certainement un promesse que nous n’avons pas tenue. Nous l’avons oubliée, pas notre créancier.
Physdémon et Philarête, Ne mélangez pas les ordres de responsabilités: les délinquants sont en prisons, nous sommes libres. Ne vous mettez pas à la place d’un autre,ne mettez pas un autre à votre place, au nom d’une responsabilité fumeuse, alors que tant de responsabilités nous attendent déjà, nous, les gens libres, hors de toute prison.
Là où justement, nos responsabilités exigent de nous qu’on brille, même un petit peu.
Alors, oui: la femme en burqa est responsable. Mais sa responsabilité n’est pas suffisante pour la punir et encore moins pour nous donner un motif légitime (pseudo, le motif) de démissionner.
La femme en burqa ne nous plait pas?
Qu’on ne se prive pas de la liberté de le lui dire!
Or je crois bien que c’est la seule dont on va nous priver, à l’instant même où on va la punir.
Je ne vois pas ce que ni elle ni nous on y gagne.
21 Mai 2010 at 15:37
La coïncidence est suffisamment amusante pour être notée… Je me suis intéressé au ‘care’ en même temps que vous. Et pourtant, nous n’abordons pas du tout la question de la même façon (!) Je repars de cette lecture fort d’une philosophe pour moi inconnue (Carol Gilligan) : merci !
http://geographie.blog.lemonde.fr/2010/05/14/cdxxxix-time-is-care-dune-tentative-dattentat-a-la-voiture-piegee-a-new-york/
21 Mai 2010 at 17:57
à Tschok,
ne vous emballez pas sur la notion de responsabilité. Je ne me posais pas la question du distinguo entre responsabilité civile et culpabilité pénale. Il s’agissait uniquement pour moi de souligner que la femme qui porte le niqab a pu le faire par choix délibéré.
Le problème, selon analyse philosophique « jacobine » que je ne suis pas sûr de partager tout à fait, vient de ce qu’une personne peut faire le choix délibéré d’aliéner sa liberté.
Or il y a un sens, dans une tradition de philosophique remontant à Rousseau, à dire qu’un être libre n’a pas le droit de renoncer à sa propre liberté : s’il le fait, du point de vue rousseauiste, il porte atteinte à ce qui fonde le contrat social, se fait un ennemi de la république et, à ce titre, est sanctionnable (d’un point de vue pénal et pas seulement civil, puisqu’il s’agit d’une atteinte à un fondement symbolique de l’institution républicaine).
Ceci est à rapprocher de certaines mesures émanant d’anciennes traditions juridiques qui proscrivaient, par exemple, le suicide: même si cela peut paraître étrange de nos jours l’idée de sanctionner le suicide peut venir de l’idée que l’Etat ne laisse pas aux particuliers le droit de se nuire à eux-même. Bien sûr, cela choque notre mentalité moderne, parce que le libéralisme moderne tend à considérer que du moment qu’un acte est accompli de plein gré et ne porte pas préjudice à autrui, il est légitime. Mais, aussi bien dans des traditions intellectuelles conservatrices que socialistes marxistes, les droits de l’individu sont limités par la considération de tout ce que l’Etat juge essentiel à sa dignité de personne.
Voilà pourquoi par exemple, si un homme se jette à l’eau pour se donner la mort, on l’en retire, et même on l’en retire de force si besoin est. On voit là un vestige d’une conception ancienne du droit. En d’autres temps, en d’autres lieux, on aurait de plus condamné le suicidaire malheureux à une peine pour outrage à la société (pas la peine de mort certes!) le suicide étant considéré traditionnellement comme un outrage de l’individu à l’encontre de l’ordre public, l’Etat se réservant le monopole du droit de vie et de mort. Mais à l’avenir, le triomphe de l’idéologie libérale autorisera peut-être un candidat malheureux au suicide à porter plainte contre son sauveteur pour atteinte à la libre disposition de sa personne, pourquoi pas? Ce serait une manière d’aller jusqu’au bout de l’idée que la liberté individuelle est l’ultime critère de justice en matière de droit au détriment de notions comme la vie ou la dignité de la personne…
Tout cela pour dire que je n’ai pas d’opinion arrêtée sur la question de l’interdiction du niqab, mais que je ne juge pas forcément idiote l’idée que l’Etat puisse se faire un devoir d’empêcher une personne de porter atteinte volontairement à un élément essentiel de sa dignité: je trouve intéressante dans son principe, quoique toujours discutable voire périlleuse dans ses modalités d’application, l’idée rousseauiste selon laquelle nul ne peut revendiquer le droit de renoncer à ses droits substantiels, nul n’a la liberté de renoncer à sa liberté ou à un élément constitutif de sa dignité…
Mais je reconnais que cette manière très jacobine de raisonner a ses périls…
21 Mai 2010 at 17:59
J’en profite pour dire au tout venant que je trouve que le blog de géographe du monde est remarquable (lui aussi)…
21 Mai 2010 at 18:45
Bonne question Physdémon,
Laquelle des deux, entre celle qui le fait par choix délibéré, et l’autre, la soumise, allez vous mieux traiter?
Et pourquoi, du reste en traiter une mieux que l’autre?
N’est il pas plus simple, au final, de dire deux choses:
– Primo, il y a le cri du cœur: « Mesdames, ce que vous faites n’est pas correct, ça correspond pas à notre vision des choses et en plus, ça vous nuit » en gros;
– Secundo: nous avons un manche à balai dans le cul car ce qu’on aimerait bien leur dire c’est plutôt « retourne dans ton pays, sale bougnoule », mais on ne le peut pas, parce qu’on a un problème de conscience.
Habituellement, le droit, jacobin ou autre, arrivait à peu près à nous permettre de trouver un point d’équilibre entre ces deux tensions, celle du cœur et celle du ventre, en nous imposant la discipline d’un minimum de raison.
Pas totalement satisfaisant, jamais même, mais suffisamment pour nous permettre le « vivre ensemble », comme on dit, dans une perspective de progrès.
Là, c’est très différent: inutile de me faire tomber toutes les rangées de la bibliothèque sur le coin de la tête, car il ne s’agit plus de réviser le passé pour l’adapter à une nouvelle donne à travers la littérature.
L’optique moderne est très différente: déséquilibrer le droit pour qu’il nous permette de dire en toute légalité « sale bougnoule, retourne dans ton pays ». Mais avec une formulation différente, faut rester correct.
Les gens de votre race ont parlé (c’est le Conseil d’Etat: des gens de livres et de passé, de tradition et de modernité. Ils ont dit non à cette loi). On passe outre.
Donc, à mon avis, vous commettez une erreur de perspective: le passé c’est dans vos livres, l’avenir se joue sous vos yeux.
Examen en juillet, vote en septembre.
En plus, ça va vite.
(on dit que le progrès ne s’arrête jamais, mais c’est la régression qui est super rapide)
21 Mai 2010 at 20:28
à Tschok,
vous posez la question :
« Laquelle des deux, entre celle qui le fait par choix délibéré, et l’autre, la soumise, allez vous mieux traiter? »
Relisez mon com: je n’envisageais que le cas de figure d’une femme qui fait le choix délibérée de se soumettre. C’est ce qui lui est reproché. Si vous la coupez en deux, l’analyse devient effectivement absurde…
Ensuite, le conseil d’Etat est prudent, mais il n’est que le conseil d’Etat, et la tradition jacobine est une tradition qui a joué un rôle important dans notre histoire. Cela me paraît compréhensible que parfois (pas trop souvent) le parlement passe outre l’avis du Conseil d’Etat.
Enfin, c’est vous qui avez mis le voile sur le tapis (si j’ose dire). Moi, cette question ne me passionne guère: je trouvais simplement que vous maltraitiez un peu vite certains arguments de vos adversaires.
Mais, au fond, je suis plutôt d’accord avec vous et avec le conseil d’Etat. Seulement je pense que Carcassonne et MAM ont des arguments qui méritent considérations.
22 Mai 2010 at 14:06
Ce courant a un intérêt certain, mais à mon avis il n’a aucun avenir en France s’il ne se trouve pas une traduction : on ne peut pas prendre au sérieux une notion qui se prête autant au jeu de mot. Témoin les quelques brillantes trouvailles qui ponctuent votre billet et les commentaires ci-dessus (j’ai une affection particulière pour ‘care au zen’).
Par exemple, pour contribuer au débat sur le penchant politique du Care : Une bonne façon de savoir si le Care est de gauche ou de droite serait de savoir, statistiquement, pour quel bord ont voté les anti-care (ou les dys-care) aux dernières élections. Et vous, Philarête, puisqu’il paraît que par votre illustre homonyme vous êtes dans les bouquins, êtes-vous un biblio-take-care ?
22 Mai 2010 at 23:01
à Irénée et Philarête
N’oublions pas la question cruciale:
L’éthique du care : à quoi Nasser ?
25 Mai 2010 at 13:25
Physdémon,
Je n’ai jamais dit que Guy Carcassonne n’avait pas d’arguments et à mon sens il a trouvé une piste, parmi les moins casse gueule juridiquement parlant (ce qui n’est pas facile dans ce genre de problématique)
Il est d’ailleurs très intéressant de mettre ses arguments en perspective avec le care.
En revanche, ceux de MAM sont « pauvres » comparativement et si on les met en perspective avec le care (ou avec le simple bon sens) soit ils tombent à plat, soit ils deviennent franchement dangereux.
Ils donnent l’impression d’être en eux mêmes le symptôme d’une dérive de la pensée et d’en préparer d’autres.
Un exemple très simple: dans cet interviuove au Parisien, MAM affirme que les autorités religieuses de l’islam, ici en France ou à La Mecque, désapprouvent le port de la burqa, et elle en tire un motif jouant en faveur de l’interdiction.
Ce faisant, elle prend parti dans une controverse religieuse: il y a des Musulmans qui pensent que la burqa n’est pas conformes au texte sacré, et d’autres qui visiblement pensent le contraire. C’est ce qui s’appelle une controverse religieuse.
Or, MAM est ministre d’une république laïque (ministre d’Etat, en plus). En tant que femme, c’est son droit le plus strict, mais en tant que ministre?
Et elle le fait dans quelle optique? Porter atteinte à la liberté d’exercice des pratiques religieuses. En d’autres termes, elle se fait le porte parole d’une partie des Musulmans contre une autre, parce que dans le cas présent ça l’arrange.
Drôle de façon de « prendre soin », non?
25 Mai 2010 at 16:50
à Tschok,
sur les points que vous évoquez, je suis d’accord avec vous, à cette nuance près :
dans la tradition républicaine française, la liberté religieuse n’est pas absolument illimitée.
D’où la distinction, parfois sujette à caution, et pas forcément opératoire sur le plan juridique, entre « religions » (respectables) et « sectes » (à combattre).
D’où la tendance du législateur à restreindre la liberté religieuse là où elle lui paraît incompatible avec les pratiques républicaines.
D’où une tentative de disqualifier comme sectaires toutes les tendances religieuses radicales, extrêmistes, en dehors de ce qui est acceptable, tolérable, par la République.
Du coup, très naturellement, MAM, en bonne républicaine, se réapproprie une interprétation « orthodoxe » de l’islam qu’elle valorise en tant que compatible avec la République, au détriment d’autres interprétations jugées « hétérodoxes » et sectaires, dont on se fera un plaisir d’interdire la pratique en prétendant néanmoins ne pas porter à l’interprétation « orthodoxe de la religion ».
C’est d’ailleurs l’aboutissement logique de la politique de Sarkozy à l’égard de l’islam, sinon on ne voit pas pourquoi il s’échinerait depuis des années à « organiser » l’islam de France, seul moyen de le contrôler pour exclure les extrêmistes et proposer une « église islamique » apaisée en bons termes avec la république.
Avec le succès que l’on peut constater: les salafistes se portent mieux que jamais…
Cela prouve une chose, c’est que toute une tradition républicaine française n’est pas libérale du tout en matière religieuse et s’efforce de contrôler le religieux par divers biais.
Car la séparation des Eglises et de l’Etat peut devenir carrément dangereuse si certaines Eglises sont entièrement libérés de tout contrôle émanant de l’Etat…
Votre libéralisme fait de vous un partisan d’une laïcité ouverte y compris aux extrêmes. Cela vous honore et aboutit au paradoxe que vous défendez ardemment les droits des intégristes, fondamentalistes et autres salafistes.
¨Pour ma part, je me satisfais très bien de ce libéralisme quand il concerne mon Eglise… Mais quand il s’agit de celle de Tariq Ramadan, je suis plus circonspect. Mais c’est vrai que si la gauche radicale-socialiste revenait au pouvoir, je crois que je pencherais résolument à vos côtés. La tradition républicaine jacobine dût-elle périr !
25 Mai 2010 at 17:59
@ Physdémon,
Ah non, non, non.
Défendre la liberté à… n’est absolument pas équivalent à défendre le droit de…
Pas plus que s’opposer à l’interdiction d’un comportement n’est équivalent à en défendre « ardemment » le principe, voyons.
Physdémon, vous allez me faire le plaisir de vous sortir de l’esprit cette idée, si fichtrement moderne, qui fait du droit pénal l’alpha et l’oméga de la défense du lien social.
J’ignore quelle peut bien être la généalogie d’une idée aussi logiquement hasardeuse et politiquement dangereuse, mais nous en constatons tous les jours un peu plus les méfaits.
Tout ce qui n’est pas réprimé pénalement serait ainsi, non pas l’une des multiples façons d’exprimer sa liberté, mais la source d’un droit subjectif, ou de sa revendication.
Il est grand temps de retrouver un peu de sens commun à ce sujet.
Parce que cette idée-là me semble bien plus corrosive du lien social que presque n’importe quel comportement simplement asocial.
Un tel comportement me semble pouvoir le plus souvent se résoudre soit par l’exercice d’une saine indifférence à l’égard d’autrui (il faut réhabiliter l’indifférence, dont les vertus sont mésestimées), soit par l’exercice d’un lien social « direct » – c’est-à-dire sans le truchement des instances supérieures de l’État (police, tribunaux correctionnels).
Le plus court chemin entre deux citoyens qui s’opposent n’a pas à passer par les juridictions pénales.
25 Mai 2010 at 22:07
À quand un billet de Fantômette sur ce sujet tellement actuel et tellement nécessaire?! Ceci est une invitation à peine déguisée. J’accepte une co-production avec Tschok (comme les juristes font des plans en deux parties, ça pourrait avoir de l’allure).
Cela dit, Fantômette, vous avez sûrement vexé Physdémon en lui imputant une idée « si fichtrement moderne »!
25 Mai 2010 at 22:14
à Fantômette,
certes, je me suis mal exprimé, et j’entends bien que Tschok ne tient pas à défendre le droit des femmes salafistes à se voiler la face; ce qu’il défend « ardemment », comme vous le faites remarquer finement c’est d’abord une certaine idée de la liberté individuelle…
Et je ne tiens pas du tout à ironiser là-dessus.
Le libéralisme politique est une très noble cause, et j’ai beaucoup d’estime pour Tschok, comme par exemple pour John Locke ou John Stuart Mill.
Ensuite, je suis entièèèèrement d’accord avec vous pour dire que ce n’est pas en boursouflant le code pénal qu’on rétablira le lien social.
Mais ce n’est pas ma faute si une des pierres angulaires du libéralisme politique consiste à dire que « la liberté consiste dans le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, article 4, de mémoire) et si une autre pierre angulaire est que « tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé ». J’en déduis pas finement mais assez sûrement que dans un régime politique libéral tout ce qui n’est pas interdit par la loi constitue une liberté (un « pouvoir-faire-ce-qui-ne-nuit- pas-à-autrui), donc un droit subjectif de l’homme.
Ce n’est pas finaud, finaud, mais ça me paraît logique…
Un dernier mot: là où je suis aussi d’accord avec vous, c’est que l’indifférence eût sans doute été le meilleur des remèdes face à la montée du salafisme. J’en étais encore là l’été dernier. Mais je crains que les rodomontades du gouvernement nous ont mis dans une situation où reculer, face à des zozos que je ne trouve pas sympathiques du tout, serait interprété comme une faiblesse… C’est un peu comme quand vous jouez au rugby avec des imbéciles: parfois ils font des choix tactiques inutilement dangereux, se jette « dans la boîte », comme on dit, mais vous êtes bien obligé de les suivre parce que vous risquez de vous prendre une raclée bien pire en vous tenant prudemment à distance… Alors , vous bourrez l’arrière-train (avec l’épaule, en tout bien tout honneur, -je précise pour les esprits mal tournés) de vos partenaires trop téméraires en espérant sauver ce qui peut être sauvé d’une action mal engagée.
Il y a des jours où j’ai l’impression d’être un hareng au milieu d’un banc de harengs, si vous voyez ce que je veux dire…
D’ailleurs, c’est sans doute pour cela que nos chefs politiques ne cessent de nous « harenguer » !
25 Mai 2010 at 22:34
à Philarête,
Oh, la modernité est un truc suffisamment vieillot, maintenant, pour que je lui trouve quelque mérite.
Après tout, le rugby a été inventé après le football. C’est même un domaine où je préfère très largement l’hérésie à l’orthodoxie.
Cela dit, c’est vrai que mettre du code pénal partout ne m’enchante guère…
Manquerait plus qu’on qualifie de délit un petit bourre-pif de sortie de mêlée (les petits bourre-pifs, c’est mignon-mignon, c’est presque une caresse : ça prouve qu’on veut prolonger le contact avec le partenaire qui deux minutes avant vous a pressé les ongles en douce loin des yeux de l’arbitre pour vous faire lâcher le ballon ovale. En revanche, les fourchettes, c’est des vraies saletés: ça mérite pire que la prison ferme: la privation de troisième mi-temps à vie).
Mais « pénaliser », c’est plutôt un truc pour les gnognottes qui savent pas régler leurs litiges d’homme à homme: ça sonne d’ailleurs comme « penalty », un truc pas net pour un sport pas net.)
26 Mai 2010 at 12:54
Physdémon,
Ce que je défends c’est un principe élémentaire: pour porter atteinte à une liberté, il faut avoir un motif légitime de le faire et il faut respecter un principe de proportionnalité (l’atteinte doit être légitime et proportionnée).
Le « parce que ça ne me plait pas » est il un motif légitime de le faire? A quel type d’interdiction conduit-il, quasi mécaniquement? Des atteintes proportionnées ou disproportionnées?
Le gouvernement nous affirme que oui: mon désir, même le plus superficiel peut fonder la légitimité d’une loi coercitive. Mais pour cela, il doit nous faire oublier que la loi elle-même doit obéir à des principes supérieurs.
Le Conseil d’Etat le lui rappelle, mais le gouvernement passe outre au moment ou la QPC à délégué au citoyen une partie (une partie seulement) du contentieux de la constitutionnalité.
En clair, le gouvernement nous dit: moi la constitution, je m’en fous, maintenant c’est votre problème. A vous de le régler avec les juges.
Simultanément, il multiplie les occasions de « rappel à la loi ».?
Exemple: les apéros facebook. C’est pas bien, on va les interdire!
C’est très étrange: ce gouvernement nous somme de respecter la loi, à tout bout de champ, mais nous dit en même temps qu’il se fout de la constitutionnalité.
Si on pose le problème en ces termes, on comprend très vite que la loi est l’expression de son pouvoir et la constitution ce qui reste de nos libertés. Bref, nos libertés vont devenir l’objet de procès incessants, puisqu’il n’appartiendra qu’à nous de les défendre.
C’est ULTRA libérale comme conception. Pas libérale: ultra libérale. C’est plus une différence de degré, c’est une différence de nature.
La théorie libérale n’a jamais admis que le gouvernement pouvait s’abstraire des règles supérieures, bien au contraire, pour en confier la défense aux seuls citoyens, face à un Etat prédateur. Elle l’a certes pensé comme une possibilité très probable et a organisé des moyens pour l’empêcher. Parmi ces moyens: le contrôle de constitutionnalité des lois activable par les citoyens, si le gouvernement se dérobait à ses obligations, et dans le but de le punir, d’une façon ou d’une autre. Le contrôle de constitutionnalité est une façon de punir un gouvernement qui ne respecte pas les règles.
Le système que nous mettons en place n’a rien à voir: une république fondamentalement jacobine s’arroge le pouvoir de tout faire, et délègue au citoyen un petit droit de contrôle, pour la fritte. Pour faire croire que.
C’est une pensée ultra libérale comme il n’en existe même pas aux Etats Unis. Faut quand même le comprendre.
Et pour coller au sujet de Philarête: est ce que le care de Martine Aubry (ou autre) est une doctrine opérationnelle qui va nous permettre de contrarier ce mouvement, de l’accompagner, ou de l’amplifier?
Avec votre question: est ce une véritable doctrine, ou un nouveau champ de problématisation (c’est l’approche académique: intérêt de la matière, autonomie de la matière)?
Par ailleurs, Fantômette met le doigt sur une notion très intéressante, presque en porte à faux avec le care: la saine indifférence.
Ne faut il pas redécouvrir les vertus d’une saine indifférence?
26 Mai 2010 at 15:08
à tschok,
je ne suis pas sûr de comprendre de quoi vous parlez quand vous parlez d' »ultra-libéralisme ».
Moi j’appelle plutôt ça du « bonapartisme », ce qui n’est jamais que du « jacobinisme de droite », c’est-à-dire un jacobinisme ou la volonté générale se trouve incarnée dans un chef politique plébiscité par le suffrage universel.
Mais cela n’a rien à voir avec le libéralisme. Le principe du libéralisme c’est de limiter le Pouvoir de l’Etat pour préserver la liberté des particuliers, soit en proclamant des droits subjectifs imprescriptibles que l’on va constitutionnaliser (Cf. Locke, Jefferson), soit en procédant à la séparation des pouvoirs (Montesquieu)…
L’ultra libéralisme, consiste à chercher des garanties au droits de l’homme en créant des institutions exterieures à l’Etat (tribunaux internationaux, ONU etc)… Dès lors l’exercice de la souveraineté populaire est remis en question par l’existence d’institutions supranationales supposées garantir la liberté individuelle face à la Volonté générale. Par là, les droits du citoyens se trouvent subordonnés aux droits des particuliers…
En revanche, le jacobinisme place au dessus de tout la volonté générale sans prévoir de garantie constitutionnelle aux droits de l’individu, le Peuple Souverain étant seul juge des limites à établir à la liberté de chacun. Ce qui est sacré, pour le jacobin, ce ne sont pas les droits de l’homme, mais les droits du citoyens: le peuple Souverain est seul juge des limites à établir aux libertés individuelles au nom de l’intérêt général et peut, par exemple, vous interdire de vous habiller de telle ou telle façon, ou vous obliger à porter l’uniforme pour faire une guerre qui vous paraît injuste, à condition néanmoins de ne pas vous priver du droit de voter et d’exprimer votre opposition.
Le problème des jacobins est que depuis les années soixante-dix s’est produite une judiciarisation des droits de l’homme, qui conduit à sacraliser les droits de l’homme au détriment des droits de l’Etat, c’est-à-dire, aux yeux du jacobin, des droits du citoyen, c’est-à-dire aux yeux d’un bonapartiste-jacobin-de-droite, des droits du chef de l’Etat en tant que plébiscité par le peuple.
Voilà pourquoi une femme intelligente comme MAM est prête à s’asseoir sur l’avis du Conseil d’Etat… Le peuple Souverain fait ce qu’il veut, et merde aux grands commis de l’Etat qui sont à son service: il faut savoir qui est aux ordres de qui!!!
Mais tout cela n’a rien à voir avec un quelconque « ultralibéralisme », qui ,lui, chercherait à surgarantir les libertés individuelles en emmenant les pauvres victimes de notre administration centralisée pleurnicher devant un tribunal onusien, belge ou hollandais, pour que réparation leur soit faite des outrages infligés à leur conscience religieuse par un Etat qui les oblige à montrer leur face ce-qui-n’est-vraiment-pas-juste-quand-on-voit-toutes-ces-pouffes-qui-montrent-leurs-fesses-et-même-qu’on-leur-dit-rien.
Ou alors il faut s’entendre sur le sens qu’on prête à ce terme…
26 Mai 2010 at 15:28
(Euhh)
Bonjour Philarête,
Attendez je me rassemble, là.
(…)
(Je me rassemble vraiment, je tente de retrouver tous les petits morceaux de colonne vertébrale qui se sont éparpillés dans le choc de ma chute depuis le haut de l’armoire. Oui, ouille)
Je suis incontestablement honorée, à double titre, de votre aimable (et périlleuse) invitation à produire autre chose que mes habituelles élucubrations en commentaires dans votre blog. D’abord du fait de l’amicale attention dont elle se fait l’écho, et ensuite, du fait du choix du co-rédacteur que vous suggérez (fort sagement) que je m’adjoigne.
Je me dois de vous avertir que je n’ai aucune compétence particulière en philosophie – pas même en philosophie du droit. J’ai fait un peu de théorie générale du droit, mais à peu près en dilettante.
Et la remarque que vous avez relevée dans mon précédent commentaire est le fruit d’une réflexion que j’assume (et revendique) mais que je crains fort de ne savoir argumenter aussi brillamment que vous justifiez de vos propres réflexions philosophiques.
Ceci dit, je vous promets de cogiter à ce propos.
26 Mai 2010 at 15:58
Bonjour tschok,
Juste un mot, sur la saine indifférence.
J’y ai pensé récemment après avoir lu (je ne sais plus où) qu’au temps des cavernes, et certainement au-delà, le fait de vivre en « petits clans » regroupés dans le même espace de vie devait avoir pour corollaire d’imposer à chacun la pratique d’une certaine forme de cécité – une discrétion à l’endroit d’autrui, qui pourrait être qualifiée de « saine indifférence ».
J’ai raccordé cette idée à l’interdiction du port de la burqa, puisque le fondement apparent de cette interdiction a clairement à voir avec l’idée qu’il faut « être vu se laisser voir ».
Puisque, pour éviter l’accusation de faire une loi « anti-islam », l’interdiction devrait être édictée dans des termes généraux et proscrire toute forme de dissimulation dans l’espace public, a contrario, nous en tirerons donc la conclusion qu’il existe un intérêt social à regarder.
Nous voyons naître un « impératif du regard social » dont nous ne saurions tenter de nous extraire sans entrainer ipso facto un trouble à l’ordre public.
Ce n’est peut-être pas un hasard si, dans le même temps, on discute une prohibition de l’anonymat sur les blogs.
26 Mai 2010 at 21:15
Fantômette,
Votre com48 relève, sans flagornerie, de l’illumination.
Je change complètement de sujet, mais il faudrait que je vous en parle plus longuement un jour, pas sur ce fil de dial que je ne souhaite pas trop polluer: je crois que la grande révolution dans l’histoire de l’humanité, c’est le nombre. C’est la mère de toutes les autres révolutions. Le nombre des être humains.
Ca commande tout le reste. On est deux, trois, on est une famille, un clan, une multitude puis des milliards, pour un même espace donné: il est évident que ça change tout.
Et au final, un grand nombre d’hommes même dans un monde vaste, réintroduit la promiscuité dans la caverne.
Sauf que, en gros, 90% de notre culture classique vient d’un monde beaucoup moins dense. Voltaire écrit dans une France peuplée de 20 millions d’habitants. Combien pour Kant et l’Allemagne? Combien pour St Thomas? Combien pour untel?
Beaucoup moins qu’aujourd’hui.
La confrontation du corpus philosophique et moral classique avec la nouvelle donne démographique ne peut que produire des hiatus.
Et parmi ces hiatus celui que vous citez: l’émergence d’un impératif du regard social. Le droit de mater son voisin, de lui tâter les couilles en garde à vue, les tétons avant l’embarquement dans l’avion, de lire ses analyses d’urine et – pourquoi pas? – d’écumer ses chiottes?
Rien n’arrête le regard social.
Et pour faire un parallèle avec ce que vous dites de l’anonymat sur les blogs, comment se fait il qu’on compare la burqa à la nudité, alors que ça n’a rien à voir?
Je ne voudrais pas faire de la psychologie de comptoir, mais entre Physdémon qui établit spontanément un lien entre la burqa et le BDSM et la vox populi qui compare le port de la burqa au fait de se trimbaler nu dans la rue, je ne peux que constater qu’il y a quand même un truc assez lourd, qui remue dans les tréfonds.
Finalement on veut mater son prochain, dans tous les sens du terme: on veut le dominer et le regarder.
Mon interprétation du truc c’est qu’on veut foutre ces femmes à poil pour montrer à leur homme que c’est nous les chefs. La cible, c’est le mec (d’ailleurs, lui et lui seul sera un délinquant, sa femme n’étant qu’une contrevenante).
On ferait pipi au pied du lampadaire, pour bien marquer notre territoire, que ça en serait presque plus évolué. Vu que MAM peut quand même pas lever la patte, je comprends qu’elle en appelle aux autorités religieuses de La Mecque pour justifier son droit de matage.
En fait on parle des femmes à burqa, mais on se trompe: on devrait parler des hommes à femme(s) à burqa, qui sont notre véritable cible.
C’est assez terrible à dire, mais dans cette histoire, on fait du BDSM homosexuel: c’est l’homme qu’on veut dominer à travers sa femme. L’homme arabe.
On a des comptes à régler avec lui. Cette histoire de burqa, c’est du pain bénie. Et en plus, MAMan est d’accord.
Si on a l’assentiment de la mère, pourquoi se gêner?
Et dans ce bordel, tout le problème vient du nombre. C’est ça ma théorie.
26 Mai 2010 at 21:56
@ Physdémon, votre com 46,
Bon, je suis à peu près d’accord avec votre division.
Mais le problème n’est pas là, à mon avis.
Un ultra libéralisme qui « surgarantit » des droits c’est déjà autre chose que de l’ultralibéralisme au sens habituel.
Personnellement, j’ai recours au concept de TNL (totalitarisme non liberticide) et de CAG (contrôle actif généralisé).
Si on reprend l’historique on a eu le politiquement correct (virer du langage tout ce qui est connoté sur un terrain discriminatoire: on ne dit plus sourd mais mal entendant).
Ensuite on a la pensée victimaire: la victime est sacré au delà même du sacré qui la sacre en tant que victime. Elle peut donc désacraliser le sacré. Nous lui avons donné ce pouvoir.
Maintenant on en est au totalitarisme non liberticide. Forme paradoxale de totalitarisme, nouvelle étape vers quelque chose de différent.
Le care?
26 Mai 2010 at 22:22
@ Tschok,
Jusqu’ici, je n’avais pas relevé vos piques sur le thème du sadomasochisme. Mais comme vous y revenez avec insistance, une petite mise au point s’impose.
J’ai assisté ces deux dernières années à quelques conférences données à Lyon sur la philosophie du droit. C’est à cette occasion que j’ai appris qu’en droit pénal le consentement de la victime à subir des sévices n’ôte en rien le caractère délictueux des violences (sauf dans le cas du viol, car l’absence de consentement fait ici partie de la définition du crime).
L’exemple donné par le juriste était celui des comportements sadomasochistes qui pouvaient être poursuivis au pénal. J’ai repris cet exemple, parce qu’en raison de ma culture juridique microscopique, je n’en avais pas d’autres en tête.
Mais je ne considère évidemment pas le fait de porter un niqab comme constituant en soi une pratique sadomaso.
27 Mai 2010 at 10:20
Bonjour tschok,
Vous exagérez, bien sûr, mais merci:)
Je vais un peu poursuivre le fil sur ce thème, car autre chose me frappe à vous lire.
Vous n’avez pas entendu 100 fois en tribunal correctionnel qu’une histoire de violences volontaires démarre suite à un regard?
« Il m’a mal regardé », sans blague, vous ne l’avez pas entendu 100 fois, 1000 fois?
En général, les magistrats balayent l’argument d’un revers de la main, plus ou moins exaspéré, plus ou moins désespéré.
« Mais enfin, monsieur, on ne frappe pas quelqu’un parce qu’il vous regarde ».
Ce que je ne nie pas.
En même temps, je remarque aussi que cela concerne des personnes qui vivent dans la plus grande des promiscuités, vivant nombreux dans de petits appartements, encore plus nombreux dans des résidences qui ne sont pas si grandes non plus.
Entre les jeunes garçons qui frappent ceux qui les « regardent mal », et ces quelques jeunes filles qui cherchent également à fuir un regard qu’elles le subissent…
Je crois que cela pourrait être un symptôme supplémentaire à votre CAG. Nous basculons d’un environnement où le risque était le regard vertical – celui du souverain et de ses représentants sur le sujet (et donc du petit nombre sur le grand nombre) – à un environnement où le regard s’est horizontalisé, mais aussi démultiplié. La multitude regarde la multitude.
27 Mai 2010 at 14:01
à Fantômette,
D’où aussi peut-être la prolifération du mot « respect » dans les mêmes milieux: « re-spect » vient du latin « specere », regarder dont proviennent aussi « spectacle », « speculum », « spéculation »
etc: res-pecter, c’est « regarder avec recul » ou « avec retenue », c’est-à-dire regarder avec une distance qui interdit toute familiarité, toute condescendance, toute marque de mépris, à plus forte raison…
Toujours la thématique du regard…
Ex: « Eûeuâhhh Rrhespect », dit le lascar à casquette Nike avant de mettre une bugne…
Eh vlan, une dent de cassée.
Oeil pour oeil, dent pour dent… (en version moderne)…
27 Mai 2010 at 16:56
@ Fantômette,
Le pire c’est qu’on ne sait toujours pas quoi mettre derrière ce « mal regardé ». Qu’est ce qu’un mauvais regard?
Mystère.
Pourtant, on en a vu passer des mauvais regards!
@ Physdémon,
Loin de moi l’idée de vous lancer des piques, ce d’autant que vous n’êtes pas le seul à avoir fait ce rapprochement.
Allez voir sur les sites où l’on cause de l’affaire: le thème de la soumission sexuelle est évidemment présent. C’est même en cela que la femme à burqa est considérée comme une victime (MAM a été claire là dessus). Une victime en outre consentante puisqu’il s’agit, pour la faire renoncer à la burqa, de faire preuve de pédagogie pendant les premiers six mois: si elle n’était pas consentante, il n’y aurait pas besoin de pédagogie, on passerait direct à la matraque contre le mari seulement.
Une fois que vous avez dit « victime consentant à sa propre soumission sexuelle » il ne reste plus qu’un petit pas à faire pour sauter à pieds joints dans le sadomaso.
Vous me dites que c’est une analogie fortuite par rapport à un cours de philosophie du droit, et au principe d’absence d’incidence du consentement de la victime, je vous crois. Mais comme vous n’êtes pas le seul à avoir fait cette analogie, moi aussi je saute à pieds joints, sans particulièrement vous viser.
Quelles que soient les raisons pour lesquelles cette analogie a été faite, il faut bien convenir qu’elle a bel et bien été faite par un certain nombre de gens, spontanément.
On ne peut guère le leur reprocher puisque la notion de victime appliquée à la femme à burqa c’est: « victime consentant à sa propre soumission sexuelle ».
Vous mesurez bien évidemment le décalage qui existe entre cette façon de caractériser la victime (sur un terrain sexuel) et ce qu’on lui reprochait au départ (porter un vêtement asocial): il n’y a aucun lien logique.
Pas de lien logique, donc, il faut aller voir dans l’arrière boutique de l’esprit humain: le non dit, l’inconscient, la pulsion, tout le bordel quoi.
Idem pour la comparaison nudité/burqa: sur le terrain du réel une burqa est très exactement le contraire de la nudité. Il est donc particulièrement illogique d’assimiler l’un à l’autre.
Pourtant, là encore, ce parallèle a été fait spontanément par un certain nombre de gens.
Pourquoi? Vous me direz que dans leur esprit la nudité caractérise l’indécence et comme la burqa est perçue comme une offense à la décence le rapprochement s’est fait « naturellement ».
Pourtant il y a une multitude de comportements « indécents » imaginables, alors pourquoi ce rapprochement spécifique avec la nudité?
Louche, non?
Là encore, pas de lien logique apparent, donc, on va faire un petit tour dans l’arrière boutique pour voir si c’est pas le subconscient qui gouverne le discours.
J’ai bien compris que cette démarche vous gène: trouver dans le subconscient les réels motifs d’une loi attentatoire à la liberté religieuse, ça la fout mal. Ca flétrit notre rationalité car ce n’est pas du tout le motif d’ordre public qu’on attendait (l’ordre public et le subconscient, ça fait deux).
On n’est plus sur le terrain de la nécessité publique, mais sur celui du désir.
En d’autres termes, nous sommes en train de voter un loi qui, dans l’esprit de ceux qui la soutiennent en se livrant aux deux analogies décrites plus haut, va assimiler le désir (leurs désirs secrets de je ne sait trop quoi) à un motif d’ordre public.
Et là dessus, MAM arrive avec sa notion de victime où on lit en filigrane le truc sexuel, et consacre par la même le fantasme collectif: elle a littéralement fait entrer un fantasme collectif dans une loi en lui donnant une apparence de rationalité.
Voilà pourquoi il n’était pas inintéressant de faire un petit tour par l’inconscient, sans vouloir vous jeter aucune pique.
Au contraire: si vous n’aviez pas fait le rapprochement, fortuitement, je serais passé à côté sans le voir.
27 Mai 2010 at 19:22
J’ai tout lu.
Wow.
Merci.
Un petit commentaire sur le dernier commentaire de tschok (54) et la lecture subconsciente de notre malaise face la burqa.
La burqa dissimule le visage qui normalement envoie un grand nombre de signaux sur les intentions de son proprietaire. En voyant la colere, la haine, la joie ou l’amour sur le visage de mon interlocuteur, je sais comment je dois reagir, je suis en terrain connu, je suis rassure.
Plus de visage, c’est la catastrophe. On ne sait pas ou regarder, on n’a pas de regard a capter, on est dans l’incertitude. Elle (ou il, les burqa peuvent tres bien aller aux hommes) va me sauter dessus ou pas ?
Voila pour une explication subconscient de tout ce ramdam: c’est de la peur atavique de l’indechiffrable autre.
Maitenant relativisons. Nous sommes 60 millions. Si 6 millions d’entre nous (homme et femmes et enfants) portaient la burqa comme on porte un jean, je crois que cette loi ridicule (oups, j’ai dit ce que j’en pensais) n’aurait pas lieu d’etre. Ni cette conversation d’ailleurs.
Et je suis surpris. Il ne manque pas de groupes autoderisoire subversif en France pour ne pas avoir, des le debut de ces lois anti-signes-religieux-mais-surtout-islamiques, proposer et fait ensorte que plein de gens portent le VETEMENT sacrilege. Ainsi double impact: ca ridiculise la loi et ca fait chier les fondamentalistes qui y auront vu une atteinte sacrilege encore a leur foi etc. Donc la veritable question est: a quand le prochain apero-faceburqa?
28 Mai 2010 at 13:17
@ Humstel,
Il y a quelque chose de ça.
Dans les films d’horreur, l’Alien est encore plus redoutable quand on ne le voit pas (Alien I) alors qu’il sort de notre ventre. Dans Alien II, on apprend à se battre contre lui, militairement. Dans Alien III on comprend qu’on s’en emprisonné dans un modèle gluant: un modèle carcéral. Dans Alien IV, c’est la fusion avec le corps de l’ennemi par l’intermédiaire de la mère, dans une sorte de résurrection qui conduit à un meurtre (dans tous ces films, Alien finit toujours par mourir, mais dans le dernier l’extermination de l’Alien est un meurtre).
L’autre est déjà redoutable quand on le voit, mais s’il est invisible, il devient franchement terroriste: il peut me frapper à tout moment sans même que je m’en rende compte avant de sentir la morsure de son poignard fatal (le 11/09).
C’est la terreur quoi.
Une petite remarque: et pourquoi pas vous? Dans ce face à face avec une personne masquée (qui n’est plus le Zorro de notre enfance), vous vous posez comme une observateur qui, ne pouvant décoder son vis à vis (visage à visage, face à face) redoute une attaque.
Inversons les rôles: dites vous « c’est moi qui vais l’attaquer ». Soyez israélien (je veux dire dans l’esprit: la meilleure défense c’est l’attaque).
C’est pas si idiot que ça: si la personne se masque, c’est peut être parce qu’elle a peur. Elle se sent donc, vulnérable, donc elle est faible (dans sa tête); donc je peux en « profiter ».
Vous me direz que c’est une attaque illégitime. En effet, le mobile de l’attaque est la perception de la faiblesse de l’autre et l’envie d’en tirer un profit indéterminé (au moment où j’attaque, je ne sais pas quel avantage je vais en retirer, c’est juste la perception de la faiblesse de l’autre qui, intuitivement, me fait comprendre que j’ai une supériorité qui va me permettre de gagner. Quoi, je l’ignore: je tente un coup, juste pour voir).
D’un regard, j’évalue la situation (tiens? Un regard, un « mauvais regard » comme en parle Fantômette) mais je ne sais pas ce que je vais en retirer (une comparution en correctionnelle, peut être?).
Dans cette situation, nous savons bien qu’il y a quelque chose de gênant, très profondément: nous savons bien que les femmes à burqa sont minoritaires et faibles.
Et pourtant, nous, la majorité, nous allons les attaquer, car, exactement comme un jeune de banlieue, d’un regard, nous avons évalué la faiblesse de notre « adversaire » et nous allons l’agresser, par la loi, par la manifestation de notre volonté générale (la loi), sans vraiment savoir ce qu’on va y gagner.
On tente un coup.
On est joueur, finalement.
28 Mai 2010 at 13:30
0 Philarête,
Cher hôte, je vous néglige.
Deux choses.
1) Sur le pape, il se trouve que Fantômette et moi sommes attachés à la matérialité des faits: Gwynplaine nous a donné des liens qu’on a même pas eu le temps d’explorer, alors qu’il y a un travail à faire, rien que sur la documentation que les journalistes ont mis en ligne.
Vous nous avez invité à faire un article à quatre mains (c’est beaucoup d’honneur). Je ne vous promets rien, mais en tout cas, il y a une curiosité commune qui pourrait peut être générer quelque chose de publiable.
2) Sur le care: indubitablement, vous avez eu le nez creux. Le sujet, dans ce monde où les modes durent quelques semaines, émerge et parvient à se placer dans des rythmes qui ne sont plus ceux de l’urgence ou de l’immédiateté.
Moulinant sur le sujet, il me vient à l’esprit que la première fois que je me suis posé des questions sous l’angle du care, c’était en écoutant Alain Touraine.
C’est un type que j’aime bien.
Puisque vous avez du flair, vous me pardonnerez de vous poser une question de chien: vous avez reniflé quelque chose par là?
28 Mai 2010 at 15:49
@ Tschok (et aux autres!)
Primo, c’est plutôt moi qui vous néglige: j’arrive à peu près à suivre les commentaires à mesure qu’ils apparaissent, mais suis incapable en ce moment d’intervenir de nouveau. Je me console en me disant que la discussion va très bien sans moi: c’est vraiment passionnant, cet échange!
Secundo, ma proposition d’article adressée à Fantômette et vous est tout ce qu’il y a de sérieuse, en effet — même s’il n’y a aucune presse. De fait, je serais vraiment heureux que d’autres que moi fassent des billets ici, de temps à autre, comme naguère l’ami eps.
Sur le pape: j’ai un peu décroché moi aussi, après avoir amassé pas mal de notes. J’essaierai quand même de publier quelque chose… un jour.
Sur le care: oui, je crois qu’il y a quelque chose de très significatif dans l’émergence de ce thème. L’indice, c’est qu’il n’est pas si fréquent qu’une thématique philosophique nouvelle (comme l’éthique du care) finisse par faire irruption dans le débat public. C’est généralement au prix d’une certaine distorsion, mais c’est aussi le signe d’une attente et d’un besoin. Il s’est passé quelque chose de semblable, il y a quelques années, avec l’idée du « communautarisme », qui à l’origine est un type de pensée politique (critique du libéralisme). Le mot a soudain semblé symboliser à lui seul un phénomène qui, jusque là, était confusément perçu. Il y a un effet de cristallisation, quoi (avec ce que cela implique d’aveuglement et d’unilatéralité, comme l’amour chez Stendhal…).
De ce point de vue, la pensée du care semble répondre à une tendance lourde — sentiment de fragilité et de vulnérabilité très répandu dans nos sociétés, solitudes, vieillissement, multiples angoisses d’abandon, et d’un autre côté glorification du statut de victime, développement des « soins » tous azimuths, besoin d’une puissance tutélaire… Le care paraît à même de rassembler tout ça, et bien d’autres choses encore…
28 Mai 2010 at 17:57
Tschok, vous dites: « Dans cette situation, nous savons bien qu’il y a quelque chose de gênant, très profondément: nous savons bien que les femmes à burqa sont minoritaires et faibles. »
Ai-je l’esprit tordu ? Je pense qu’une femme peut parfaitement etre digne, penser qu’elles sont l’egal de l’homme, que les hommes qui imposent leurs vues aux femmes sont des porcs, que leur sexualite leur appartient, etc. et en meme temps, elle peut porter une burqa par sincere devotion religieuse.
Avoue-je alors une meconnaissance fondamental du monde qui ne m’entoure pas (je n’ai fait/lu aucune enquete d’opinion chez les femmes en burqa) ?
28 Mai 2010 at 18:00
Phil, filtrez-vous a priori les commentaires ? Si oui, le commentaire suivant est en doublon.
Il faut que je trouve le moyen (et le temps) de faire une petite explication sur les commentaires: la règle est que je dois approuver le premier commentaire d’un nouveau venu avant qu’il ne soit publié. Ensuite, les commentaires suivants sont… sans modération.
Mais il y a parfois des ratés — lorsque la plateforme (WordPress) ne reconnaît pas un commentateur déjà identifié — par son adresse mail ou, je suppose, l’adresse IP de son ordinateur.
Chui pas un geek, moi. Mais ça, je pense que tout le monde l’a remarqué.
28 Mai 2010 at 19:47
@ Humstel,
Vous dire que vous avez l’esprit tordu, j’ose à peine me le répéter, mais si vous l’avez vraiment, sans hésitation je le hurlerais.
En fait, cépamoi qui décide.
C’est vous.
Et vous dites: « Je pense qu’une femme peut parfaitement etre digne, penser qu’elles sont l’egal de l’homme, que les hommes qui imposent leurs vues aux femmes sont des porcs, que leur sexualite leur appartient. »
Mais:
Une femme est digne par principe, comme un homme. D’ailleurs, la moitié des femmes sont des hommes, ou l’inverse, j’ai oublié.
Les femmes sont l’égal de l’homme: ah bon? Deux femmes valent donc un homme? Ca, ça n’est pas vrai, ni le contraire.
Les hommes qui imposent leur vue (leur sexualité en fait) sont des porcs: j’ai aussi été éduqué par des femmes avec qui j’ai baisé: sont elles des truies?
Leur sexualité leur appartient: ben ça se discute. Ma queue ne m’appartient pas totalement, figurez vous, mais elle m’appartient quand même. Ca dépend de ce que j’en fais. je crois que c’est un peu la même chose de leur côté.
Alors, que vous dire?
Je suis un peu pétrifié. Vous dire tordu ne me va pas.
Burqa ou non ces femmes sont des femmes. Donc… des hommes.
Les tordus, c’est celles et ceux qui ne se posent pas de question et qui tordent la loi pour imposer leur désir.
Et puis il y a celles et ceux qui tordent leur désir pour imposer la loi.
Vous et moi nous regardons tout cela et on se dit que c’est nous les tordus.
En fait j’en sais rien. Dans toutes ces torsions je vois pas de lignes droites et je ne vois pas la nécessité d’en voir. Avec Physdémon, on s’engueule (gentiment) régulièrement à ce sujet. J’aimerais pouvoir vous dire que j’ai raison. Mais en même temps j’en suis pas sûr.
Le plus important, c’est vous. En l’état, c’est une valeur sûre.