Pendant longtemps je n’ai guère aimé 1984 de George Orwell. Le livre m’est tombé des mains plusieurs fois. C’était le typique « roman à idées » : un roman qui semble fait pour habiller des idées qui, en réalité, se défendraient très bien toutes seules hors du roman – un roman qui ne répond à aucune nécessité romanesque intrinsèque, qui n’a pas besoin de la forme « roman » pour dire ce qu’il a à dire. Et, à dire vrai, je ne suis pas certain d’avoir changé d’opinion sur le roman, dont je peine toujours à tourner les pages. En revanche j’ai changé d’idée sur les idées du roman. 1984, victime de son succès populaire, a fourni à notre époque un certain nombre de clichés, comme celui du novlangue et l’inévitable Big Brother, dont il devient de plus en plus difficile de discerner les usages pertinents de ceux qui relèvent de la pure paresse intellectuelle. Mais 1984 vaut mieux, finalement, que ces quelques lieux communs de la world culture. C’est en tous cas la conviction que je retire de la lecture du roman proposée par le philosophe James Conant, dans un livre qui vient d’être traduit sous le titre éloquent de Orwell ou le pouvoir de la vérité.
L’intérêt de l’interprétation de Conant est de rendre 1984 pertinent pour aujourd’hui – sans avoir besoin de repeindre notre démocratie post-moderne en système totalitaire masqué, sans avoir besoin de faire du monde capitaliste une vaste conspiration ourdie contre la liberté de penser par la coalition des intérêts marchands. Pour Conant, en effet, la force d’Orwell est d’avoir mis au fondement de sa critique du totalitarisme, non le concept de liberté, mais celui de vérité. Non pas, certes, la vérité plutôt que la liberté, mais la vérité d’abord, comme fondement de la liberté. Ce qui autorise le traducteur et préfacier de l’ouvrage, le toujours clair et précieux Jean-Jacques Rosat, à introduire la notion séduisante d’un « libéralisme de la vérité », qui ferait l’originalité d’Orwell.
Qu’est-ce que le « libéralisme de la vérité » ? C’est l’idée que « la préservation de la vérité objective et de la capacité de chaque individu à former des jugements objectivement vrais est la condition première et absolument nécessaire d’une vie libre » (Orwell ou le pouvoir de la vérité, p. VIII). La force de cette thèse s’impose dès qu’on la confronte à une autre forme de libéralisme, dont Conant n’a de cesse de montrer les faiblesses : le libéralisme qui reposerait uniquement sur l’idée que l’important est que vous puissiez penser et dire ce que vous voulez. Un État libéral serait alors l’État qui protège, et si possible promeut, la liberté de pensée et d’expression. Or, objecte Conant, il est impossible de défendre efficacement et sérieusement une telle liberté si l’on renonce au concept de vérité. Ce n’est que s’il existe une vérité qu’il vaut la peine de protéger et promouvoir la liberté de penser. Résumant la pensée d’Orwell sur ce point, Conant écrit :
Un libéral [au sens orwellien] est quelqu’un qui pense que l’esprit humain ne survivra qu’aussi longtemps que nous concevrons la vérité comme quelque chose qui est à découvrir, et non comme quelque chose que nous fabriquons selon les circonstances (ibid., p. 47).
Puisque le mot de « vérité » passe facilement aujourd’hui pour un gros mot, sinon pour un terme franchement suspect, susceptible de véhiculer toutes sortes de prétentions dangereuses, voire… totalitaires, il vaut la peine de reprendre les clarifications inspirées à Conant par sa lecture d’Orwell. Parler de « vérité », pour Orwell, ce n’est aucunement adopter une thèse métaphysique lourde (sur la nature du concept de vérité, la réalité du monde, la recherche de l’Absolu, le rapport entre les mots, les concepts et les choses, voire l’existence d’un Garant ultime de la vérité de toutes choses). La vérité qui intéresse Orwell est, pourrait-on dire, la vérité ordinaire, celle dont personne ne veut – ni, tout bien pensé, ne peut – se passer : la vérité de nos jugements quotidiens, lorsque nous pouvons dire l’heure qu’il est en consultant notre montre, nous rappeler si nous avons croisé Untel ou non la veille, ou reconnaître un mensonge éhonté.
Bien entendu, nous savons qu’en de telles occasions, nous pouvons toujours nous tromper : mais l’erreur est nécessairement l’exception (nous pouvons toujours nous tromper, mais pas nous tromper toujours), sans quoi plus rien n’aurait de sens. Il existe quelque chose comme l’observation, le souvenir, la découverte des faits « objectifs » qui existent indépendamment de nous et de ce que nous pensons d’eux. Nos observations, nos souvenirs, nos découvertes, ne sont certes pas infaillibles : mais si l’erreur était la règle et non pas l’exception, ce sont les concepts mêmes d’observation, de souvenir ou de découverte qui deviendraient caducs, et avec eux s’effondreraient les formes concevables de la vie humaine.
Ces platitudes – du moins peut-on espérer qu’elles en sont – ne sont pas rappelées pour congédier comme inopportunes les enquêtes métaphysiques sérieuses sur le concept de vérité : leur intérêt est seulement de signaler qu’une métaphysique qui serait incapable de préserver ces platitudes ne vaudrait pas « une heure de peine ». Si une théorie métaphysique quelconque doit aboutir à la conclusion qu’il n’existe nulle part de vérité objective, que tout ce que nous savons est, en réalité, une « construction » de notre esprit – alors nous savons que nous avons affaire à une théorie sophistique.
Or ce sont ces platitudes qui sont au cœur du roman d’Orwell. Conant fait grand cas d’un passage où le héros, Winston, consigne dans son journal le fruit de ses méditations :
Le Parti vous disait de rejeter le témoignage de vos yeux et de vos oreilles. C’était son commandement ultime, et le plus essentiel. Le cœur de Winston défaillit quand il pensa à l’énorme puissance déployée contre lui, à la facilité avec laquelle n’importe quel intellectuel du Parti le vaincrait dans une discussion, aux arguments subtils qu’il serait incapable de comprendre, et auxquels il serait encore moins capable de répondre. Et cependant, c’était lui qui avait raison. Ils avaient tort, et il avait raison. Il fallait défendre l’évident, le bêta et le vrai. Les truismes sont vrais, cramponne-toi à cela. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau humide, et les objets qu’on laisse tomber se dirigent vers le centre de la terre.
Avec la sensation qu’il s’adressait à O’Brien, et aussi qu’il posait un important axiome, il écrivit :
« La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Si cela est accordé, le reste suit. »
Peut-être se souvient-on que, dans la confrontation entre Winston et le terrible O’Brien, fidèle serviteur du Parti, c’est précisément ce « deux et deux font quatre » qui sera l’enjeu de l’épreuve décisive : O’Brien présente le dos de sa main à Winston, pouce replié, quatre doigts étendus, et lui demande combien il voit de doigts. « Quatre », répond évidemment Winston. Et O’Brien de le torturer jusqu’à ce qu’il dise qu’il en voit cinq : et non pas seulement qu’il le dise, mais qu’il le croie, c’est-à-dire qu’il finisse réellement par voir cinq doigts – parce que le Parti le lui commande. On pourrait croire qu’un énoncé mathématique comme « deux et deux font quatre » est trop innocent et, par ailleurs, trop abstrait, pour fournir un motif crédible de persécution : mais ce serait oublier que Winston est un obscur fonctionnaire qui passe une partie de son temps à rectifier des statistiques et des prévisions pour les faire coïncider avec la réalité officielle du moment. La « mise à jour » permanente du passé suppose d’oublier précisément que « deux et deux font quatre ».
D’après Conant, la force de 1984 est de pousser aussi loin que possible la description d’une société où le concept ordinaire et banal de vérité n’aurait plus cours. Et la grandeur tragique de ce malheureux Winston est de s’obstiner à vouloir être un homme ordinaire, pour qui « deux et deux font quatre ». 1984 ne raconte pas l’histoire d’un courageux intellectuel dissident qui se bat « pour ses idées », mais le martyre, paradoxal et terrifiant, d’un pauvre type qui finit par être le seul à penser comme tout le monde.
On ne verra dans 1984 qu’un témoignage éloquent de combats surannés contre le totalitarisme, tant qu’on n’aura pas remarqué, avec James Conant, qu’une bonne partie du monde intellectuel d’aujourd’hui prétend non seulement se passer de ce concept ordinaire de vérité, mais soutient volontiers des thèses qui sont finalement beaucoup plus proches de celles d’O’Brien que des platitudes rudimentaires auxquelles Winston estime indispensable de « se cramponner ».
La cible de Conant est plus particulièrement le philosophe américain Richard Rorty (mort en 2007) auteur d’une œuvre importante et qui a consacré un chapitre de son livre Contingence, ironie et solidarité à Orwell et à son roman. Rorty est intéressant parce qu’il est, par delà les thèses particulières qu’il soutient, représentatif d’un état d’esprit très répandu parmi ceux qui estiment que les diverses causes progressistes d’aujourd’hui peuvent, voire doivent être soutenues en faisant l’économie du concept de vérité.
Pour Rorty, 1984 est un roman sur la cruauté. Le totalitarisme y est présenté comme essentiellement cruel – O’Brien affirme sa toute-puissance en réduisant Winston à l’état de pantin. Ce ne sont pas les vérités auxquelles Winston croit qui sont importantes (en l’occurrence, le fait que « deux et deux font quatre ») : c’est simplement le fait qu’il y tient, qu’il y tient plus qu’à tout, et que lui faire renoncer à ces convictions est le plus sûr moyen de le briser comme individu. Autrement dit, ce n’est pas à la vérité que s’en prend le Parti, mais simplement au fait que les gens croient certaines choses (vraies ou fausses, peu importe) : la toute-puissance du Parti est assurée s’il parvient à faire renoncer les gens à ces croyances. Le libéralisme selon Rorty est celui qui tend à limiter au maximum les possibilités de faire souffrir les autres.
Il n’est pas question de nier que 1984 mette en scène, sous les traits d’O’Brien, un personnage particulièrement cruel, et que le sadisme fasse partie de l’abjection totalitaire. Mais ce que conteste efficacement James Conant, c’est qu’on puisse s’en tenir là. Et de citer Orwell lui-même :
Ce qu’il y a de vraiment effrayant dans le totalitarisme, ce n’est pas qu’il commette des « atrocités » mais qu’il s’attaque au concept de vérité objective. (ibid., p. 101)
On pourrait paraphraser Orwell en poursuivant : ce qu’il y a de virtuellement totalitaire dans la pensée des intellectuels contemporains qui se réclament du « post-moderne », c’est précisément qu’elle s’attaque au concept de vérité objective.
Quels traits revêt une telle attaque ? Des traits hélas parfaitement familiers. Le premier consiste à dissoudre la notion de vérité dans celle du consensus. Il n’y aurait pas de différence entre la vérité et ce que pensent la plupart des gens. Comme l’a écrit Rorty : « Nous, les pragmatistes, nions que la recherche de la vérité objective soit la recherche d’une correspondance avec la réalité, et poussons à la considérer comme la recherche du plus large accord intersubjectif possible. » En contexte français, il serait facile d’aligner un nombre considérable de textes d’un Michel Foucault, par exemple, qui reposent précisément sur le même présupposé : être vrai et être tenu pour vrai sont une seule et même chose. De là la fortune d’expressions comme « la production de la vérité », « les techniques de vérité » ou « l’histoire de la vérité », qui confondent délibérément l’incontestable historicité des méthodes adoptées, en diverses époques, pour rechercher la vérité, et la très contestable idée d’une historicité de la vérité elle-même.
Aussi bien le second trait caractéristique de l’attaque post-moderne contre la vérité est-il un constructivisme radical : il n’y a de « vérité » que socialement construite. Autrement dit, il n’existe jamais de « faits objectifs », pour parler comme Orwell et l’homme ordinaire, mais seulement des faits socialement construits, c’est-à-dire des manières de voir (Rorty définit lui-même sa pensée comme un « perspectivisme ») qui n’ont pas à répondre devant une réalité extérieure, mais reflètent seulement les intérêts et les besoins d’une société donnée à une époque donnée. Une proposition quelconque (par exemple : « il existe un sexe masculin et un sexe féminin ») n’est jamais vraie tout court ; elle est, tout au plus, vraie relativement à une certaine théorie – théorie dont l’existence s’explique entièrement par une « volonté de puissance » plus ou moins transparente.
Comme le mérite incontestable d’un philosophe comme Rorty est d’aller jusqu’au bout de sa pensée, on peut lui emprunter un troisième trait caractéristique : l’explication typique du besoin de vérité (au sens ordinaire) qui rend les gens ordinaires rétifs aux prouesses conceptuelles du constructivisme. Selon Rorty, le besoin obstiné de croire qu’il existe une réalité objective, devant laquelle on doit répondre d’une affirmation quelconque, n’est que l’ultime avatar du besoin de transcendance. L’homme ancien croyait devoir répondre devant Dieu de ses croyances sur le monde. L’homme moderne croit devoir en répondre devant « la réalité ». La structure est la même. Et si elle est la même, c’est parce que l’on n’a pas encore compris que nous, en tant que collectivité sociale historique, sommes l’unique origine de la vérité, et que c’est seulement « devant nous-mêmes » que nous avons à répondre de nos croyances. Toute autre conception, selon Rorty, anthropomorphise « le monde » ou « la réalité ».
Pour l’intellectuel post-moderne, cette ultime affirmation est la clé de la véritable liberté, parce qu’elle contient le secret de l’émancipation définitive. Exposant la pensée de Rorty, Conant écrit :
Pour être effrayé par la perte de contact avec la vérité, le monde ou la réalité, il faut n’avoir pas pris conscience que l’idée d’avoir à répondre devant le monde est un substitut séculier de l’idée d’avoir à répondre devant une divinité infaillible. (ibid., p. 71).
Ce qui permet, évidemment, de présenter le post-modernisme sous le jour flatteur de l’héroïsme : rien de non humain, de « plus qu’humain », n’est là pour garantir nos convictions – des plus élémentaires aux plus sophistiquées – et notre grandeur d’homme consiste précisément à savoir nous satisfaire de cet état de fait. Seul est vraiment libre l’homme qui sait qu’il est vraiment « seul ».
L’intérêt, en même temps que la suave ironie, du propos de James Conant, dans son essai sur 1984, est de montrer, de façon absolument convaincante, que la situation présentée comme véritable et en même temps hautement désirable par des auteurs comme Rorty, est pratiquement en tout point conforme à celle de la société totalitaire où vit Winston. Et le sinistre O’Brien possède, quant à lui, tous les titres requis pour qu’on puisse le considérer comme un authentique intellectuel post-moderne.
Un roman comme 1984 est précieux aujourd’hui parce qu’il permet de comprendre qu’on ne peut séparer la cause de la liberté de celle de la vérité. Il est précieux parce qu’il permet de comprendre que s’il n’existe pas une « réalité extérieure » devant laquelle nous avons, en dernier ressort, à répondre de nos croyances, alors non seulement l’idée du progrès scientifique, par exemple, devient incohérente, mais la perspective d’une servitude absolue devient une probabilité sérieuse.
P. S. La discussion sous le précédent billet se poursuit. Je ne peux qu’espérer que la publication du présent billet ne découragera pas les valeureux contributeurs de continuer leur échange, fort passionnant.
10 décembre 2012 at 00:12
[…] Pendant longtemps je n’ai guère aimé 1984 de George Orwell. Le livre m’est tombé des mains plusieurs fois. C’était le typique « roman à idées » : un roman qui semble fait pour habiller des idées qu… […]
10 décembre 2012 at 00:33
Merci. Je trouve que votre billet est un excellent développement de l’idée suivante, si mal comprise :
« On tend à affirmer aujourd’hui que l’agnosticisme et le relativisme sceptique représentent la philosophie et l’attitude fondamentale accordées aux formes démocratiques de la vie politique, et que ceux qui sont convaincus de connaître la vérité et qui lui donnent une ferme adhésion ne sont pas dignes de confiance du point de vue démocratique, parce qu’ils n’acceptent pas que la vérité soit déterminée par la majorité, ou bien qu’elle diffère selon les divers équilibres politiques. A ce propos, il faut observer que, s’il n’existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l’action politique, les idées et les convictions peuvent être facilement exploitées au profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire. »
Ces mots datent eux de 1991… « comme le montre l’histoire », disait donc Jean-Paul II dans Centesimus Annus. Vous ajoutez finalement « et comme l’a montré Orwell ».
10 décembre 2012 at 09:10
La convergence est en effet frappante. Orwell aurait peut-être eu du mal à souscrire à l’idée d’une «vérité dernière qui guide et oriente l’action politique» (à moins de s’entendre sur un sens assez modeste de cette formule), mais il était certainement convaincu, lui aussi, que le relativisme n’est pas du côté de la démocratie.
10 décembre 2012 at 13:09
Merci pour cette analyse qui donne très envie de lire le livre de Conant. Cela me semble se rapprocher aussi de ce que je commence à comprendre (du moins j’espère) de Pierre Legendre. La vérité (grande ou petite ; absolue ou quotidienne) est nécessaire à la vie démocratique, à la vie en société voire à la vie tout court. Sans cela la folie ne guette-t-elle pas ?
10 décembre 2012 at 16:56
Merci Philarête pour cette belle chronique qui rejoint celle que vous avez donnée sur Vaclav HAVEL.
Je me permets de vous indiquer le meilleur commentaire que je connaisse de 1984 d’ ORWELL, qui va dans le sens de votre chronique en en montrant la réalisation avancée dans le monde communiste décrit par les grands dissidents, SOLJENITSYNE, ZINOVIEV, pour les deux auteurs les plus cités par lui:
« La falsification du bien » d’ Alain BESANçON, (La 2° partie est consacrée à ORWELL et à 1984, la 1° partie à SOLOVIEV),
Alain BESANçON a beaucoup fait pour faire connaître la vraie nature du communisme, ses pratiques réelles et sa lecture d’ ORWELL confrontée à son intelligence des faits est un chef d’oeuvre. Une oeuvre qu’ on devrait faire étudier aux classes de première ou terminale.
De lui aussi, chez Perrin, coll. Tempus: » le malheur du siècle, communisme, nazisme, shoah » : exemple, page 72:
« les témoignages nous disent que cette intériorisation obligatoire [de la perversion de la distinction du vrai et du faux, du bien et du mal] est la partie la plus insupportable de l’ oppression communiste : que tout le reste -l’absence des libertés politiques et civiles, la surveillance policière, la répression physique, la peur même – n’est rien à côté de cette pédagogie mutilante, qui rend fou parcequ’elle contredit les évidences des sens et de l’entendement »
Franchement…ce n’est pas possible que des questions aussi intenses, qui ont reçu des réalisations ayant concernés des millions et des millions de personnes, soient si peu présentes dans notre culture.
Encore merci.
10 décembre 2012 at 16:59
Je ne sais pourquoi, je repense à Platon, à sa Cité, une société que l’on pourrait qualifier de totalitaire ( je prends la définition d’Adorno comme « organisation totale du monde »), et aux poètes qu’il voulait chasser car ils avaient l’outrecuidance de démythifier les dieux et mettaient donc à bas la vérité de Platon.
Je ne sais pourquoi, mais quand je lis le regret de ne pas avoir la vérité comme fondement sociétal, mon esprit frotté de sociologie me pousse à me demander, quels institutions pour défendre la vérité. Car on ne peut avoir de vérité socialement acceptée sans institutions pour l’établir et la défendre. Pneumatis nous a offert une citation de Jean-Paul II sur laquelle tout le monde s’ébaudit, et je me souviens quand l’Eglise était, pendant une longue période de son histoire, une institution précisément chargée d’établir la vérité et de la défendre, ayant à sa disposition des moyens que notre époque relativiste et sentimentale qualifierait de « cruel ». Jean-Paul II porte l’habit de Pie V, un saint homme qui mettait du coeur à l’ouvrage dans la répression des erreurs.
On ne peut pas parler de vérité de façon abstraite sans poser les questions qui fâchent : laquelle ? et comment la société la défend ? Pour moi qui suis bêtement pragmatiste, le mot « vérité » est un mot vague qu’il convient de manier avec moult précaution, et je préfère poser des questions beaucoup plus terre-à-terre pour discerner. Par exemple, on dit que notre société est maintenant relativiste et refuse la vérité avec un v majuscule. Sans doute refuse-t-elle la vérité au sens conantien du terme mais est-elle dénué de toutes valeurs ? En sociologie, science des « jeux sociaux », la vérité est une notion qu’on ne peut étudier qu’à travers le prisme des institutions. Plus précisément, d’un côté comment on transmet ces vérités, et de l’autre comment on la défen en réprimant les déviants, i.e. ceux qui défendent des erreurs. Donc pour savoir quelle est la vérité acceptée par la société de maintenant, il faut chercher quels sont ses hérétiques et de quelle façon on les traitent. Je pense que les lecteurs et l’auteur de ce blog savent mieux que moi quels sont les hérétiques d’aujourd’hui et donc je ne m’y attarderai pas là-dessus, juste souligner ceci : le jeu des institutions autour de la vérité en tant que concept social n’a pas changé par rapport aux sociétés passées. Ce qui a changé est le contenu de cette vérité c’est tout.
10 décembre 2012 at 20:28
Quant à moi, cela me fait penser à un philosophe que j’aime bien, et qui affirmait « la vérité vous rendra libres ».
11 décembre 2012 at 11:16
@ Philarête
Dites-moi, au fil de vos billets je commence à me demander si vous n’êtes pas un représentant commissionné de la maison Agone. :-)
Pour la petite histoire : je suis allé me procurer le livre de Conant à la FNAC près de chez moi. Bêtement, je suis allé au rayon philosophie. Il me fut doctement expliqué que je me trompais, que ce livre était classé dans les biographies ! Enfin, ils en avaient quand même un exemplaire.
11 décembre 2012 at 12:39
@ Aristote
Figurez-vous que j’ai parfois hésité à rendre compte d’un livre publié chez Agone, précisément pour ne pas donner l’impression que j’étais commissionné!
Mais en fait, c’est simplement que j’aime souvent les livres publiés dans la collection dirigée par Rosat (« Banc d’essai »). Disons que je me sens profondément en phase avec leur esprit. Et j’ai en outre une faiblesse pour ce genre d’éditeur indépendant qui ne brade ni la qualité du contenu, ni la qualité du contenant de ses livres.
Hélas!, en revanche, je ne touche aucune commission!
11 décembre 2012 at 14:57
@ Bashô
Merci de votre commentaire, qui permet de soulever les questions importantes, et peut-être de dissiper quelques malentendus.
Si je vous suis bien, vous vous méfiez — et probablement à juste titre — de la prétention à fonder la société sur «la vérité». Mais tout l’intérêt d’un livre comme celui de Conant est de permettre de distinguer entre: a) la prétention, suscitant une méfiance légitime, de fonder la société sur un ensemble de vérités tenues pour intangibles (sous peine d’hérésie, de déviance, de crime, de sacrilège, etc.); b) le constat, qui devrait être banal, qu’aucune vie sociale réelle ne peut se passer du concept de vérité, en tant qu’il est impliqué dans nos transactions les plus quotidiennes.
Et votre propre réaction montre bien, si je puis me permettre, que cette clarification n’est pas inutile, puisqu’il suffit de parler de vérité, même en prenant un maximum de précautions pour éviter les équivoques, pour se voir opposer une version quelconque du a), suspecte de totalitarisme plus ou moins larvé.
D’abord, deux remarques de détail. 1) Dans ma réponse à Pneumatis j’ai tenu à marquer moi-même une prudente réserve sur l’expression, à mon avis équivoque, de « vérité dernière ». 2) J’ai pris soin dans mon billet de ne pas affirmer, ni même suggérer, que c’est « la société » qui est relativiste et qui refuse « la vérité »: ce sont des intellectuels; il s’agit de théories, et même de métaphysiques. C’est aux intellectuels (« de gauche ») que s’en prend Conant et, je crois, Orwell lui-même. Et c’est une erreur (peut-être un peu trop répandue dans certains milieux dont je partage par ailleurs nombre d’intérêts et de convictions) de confondre systématiquement la réalité d’une époque, d’une société, avec les thèses avancées par les intellectuels tenus pour représentatifs.
Il ne s’agit pas (dans ce billet, ni dans le livre dont je parle) de «vérité abstraite». Il ne s’agit pas de thèses ni de valeurs. Il ne s’agit pas non plus d’institutions, de « vérités officielles », ni des croyances majoritaires. Il n’est pas question d’un quelconque « système du monde », d’une « vision du monde » érigée en « vérité » et permettant de traquer les hérétiques.
Il s’agit de la vérité en tant qu’elle est impliquée dans nos pratiques sociales les plus ordinaires, en tant qu’il est impossible de concevoir une vie sociale quelconque sans présupposer qu’on peut faire confiance à l’observation, au souvenir, sans présupposer qu’il existe des faits, que le monde existe indépendamment de ce que nous en pensons, que la réponse « oui » ou « non » permet de distinguer entre l’erreur et la vérité, ou entre le mensonge et la véracité.
S’en prendre au relativisme de certains intellectuels éminents n’est justifié que parce que — comme votre propre commentaire le montre de façon éloquente — leurs idées, partant souvent d’une idée juste (relevant plus ou moins de la conscience sociologique dont vous-même faites état, et que j’espère avoir en partage), amènent à discréditer jusqu’à la possibilité même de soutenir que le monde existe indépendamment de ce que nous pensons de lui. « Quand j’entends le mot « vérité », je sors mon Popper »: c’est l’impression que vous donnez quand vous citez Platon comme prototype de la cité totalitaire: c’est ce genre de réflexe conditionné qui justifie un livre comme celui de Conant.
Mon propos pourrait se résumer ainsi:
1) Il y a des « constructions sociales », il y a des « institutions » (au sens où vous employez ce terme, à juste titre) dans toute vie sociale; et l’intérêt de ces notions est d’avoir élargi le champ de ce que nous devons inclure parmi les « évidences » socialement construites. Mais tout n’est pas socialement construit, et il serait même contradictoire que tout le soit (ne serait-ce qu’en vertu de l’argument bien connu: si tout est socialement construit, alors la thèse voulant que tout est socialement construit est elle-même socialement construite). Le seul relativisme cohérent est un relativisme local, dans un domaine particulier; il présuppose toujours, comme son arrière-plan, la notion commune de vérité comme ce qui est le cas indépendamment de ce que nous croyons. Par exemple, on peut être relativiste sur le concept de « Cité »: ce n’est pas un fait de nature, toutes les sociétés ne connaissent pas cette forme forme de vie et ne tendent pas forcément vers elle. En revanche, le cheval est une espèce naturelle, et non une construction sociale. Si nous devons un jour changer notre idée du cheval, ce sera en raison d’une découverte (non d’une invention sociale) concernant le cheval (on a longtemps cru que c’était un mammifère, en réalité c’est un marsupial).
2) De tous les systèmes politiques connus, la démocratie est celui qui est le moins compatible avec un relativisme généralisé. Car c’est le système où il doit être possible de dire qu’une loi, par exemple, est injuste, non pas parce qu’elle contredit des « valeurs », s’oppose à des croyances, ou contrarie des intérêts puissants, mais en raison de certains faits qui tiennent à la manière dont le monde est. Autrement dit, la démocratie est le régime où une loi ne peut pas être juste seulement parce qu’elle émane d’une volonté supérieure.
Comme cette réponse est déjà trop longue (et qu’il faudrait bien un billet, un jour, sur ce sujet) je m’arrête là.
11 décembre 2012 at 19:48
@Philarête
Sans doutes comme Bashô, je suis très méfiant dès qu’on invoque la « vérité » dans la discussion.
Je ne comprends pas bien votre 2/ ci-dessus
» Autrement dit, la démocratie est le régime où une loi ne peut pas être juste seulement parce qu’elle émane d’une volonté supérieure. »
Est-ce que vous voulez dire par là qu’en démocratie une loi ne peut être juste qu’à deux conditions:
– Qu’elle émane d’une volonté supérieure
– Qu’elle se justifie par des faits qui tiennent à la manière dont le monde est.
Dans ces 2 conditions où placez vous le besoin d’une vérité qui ne serait pas « socialement construite » ?
Et si vous pouviez m’éclairer sur ce que vous entendez par « socialement construit » ça m’intéresse. Est-ce par opposition à « révélé » ? A « scientifiquement construit » ?
11 décembre 2012 at 20:32
@ Philarête et khazan
« Démocratie » n’est pas un terme très clair.
Dans la tradition française, c’est toujours le Souverain qui édicte la loi qui n’a d’autre fondement que celui d’avoir été édictée par le Souverain. Le Souverain était avant la Révolution un souverain, le roi. Il a été remplacé par la Volonté Générale, fiction qu’une autre pieuse fiction assume être exprimée par le vote majoritaire. Mais c’est toujours le Souverain qui fait que la loi est loi, pas sa justice intrinsèque. La tradition anglo-saxonne me semble différente.
11 décembre 2012 at 22:48
@ khazan
Mon point, il est vrai très elliptique, sur la démocratie, veut simplement dire ceci: dans un régime de type absolutiste, on peut concevoir que la loi soit juste parce qu’elle émane du souverain (sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas, que ma volonté tienne lieu de raison — comme le dit la formule impériale). Dans une démocratie, chaque citoyen est censé participer à l’élaboration de la loi. Il ne peut donc, par hypothèse, estimer que sa volonté suffit à rendre la loi juste (puisque, au moment où il formule son opinion, celle-ci n’a pas encore force de loi). Donc il doit justifier son opinion par des raisons, et celles-ci seront fournies par des considérations sur la manière dont le monde est, et les possibilités réelles d’améliorer telle situation jugée négative. Le processus démocratique est incompatible avec un pur positivisme, il doit faire une place au débat rationnel, et ce débat, ne pouvant invoquer des justifications d’ordre théologique, par exemple, doit se placer sur le terrain des choses.
Ça reste vague et très théorique, me direz-vous, mais peut-être est-ce un peu plus clair ainsi?
Bien entendu, si Aristote (ci-dessus) a raison sur le concept de souverain, mon raisonnement ne tient pas. Mais ce concept — où le peuple prend la place du prince comme détenteur de la souveraineté — est à la fois très prégnant dans les discours et certaines théories et, à mon humble avis, totalement insatisfaisant.
11 décembre 2012 at 23:00
Je devrais plutôt faire un billet là-dessus! Mais l’idée, en gros, est qu’on appelle « socialement construit » un fait quelconque qui, malgré les apparences, n’est pas purement naturel, mais existe uniquement en vertu de la manière dont une société considère, analyse, et finalement… construit un ensemble de données disparates qui n’ont pas intrinsèquement vocation à constituer un fait unique et irréfutable.
La grande mode en épistémologie est de dire que «tout» est socialement construit, autrement dit qu’il n’y a que des interprétations (c’est une variante de positions philosophiques qu’on décrit souvent comme relativistes ou nominalistes). Le travail de Foucault sur la folie peut être compris comme une thèse sur la construction sociale de la folie, par exemple. Mais le philosophe Ian Hacking, qui a consacré un bon livre (critique) au sujet, s’amuse à dresser une liste alphabétique de tout ce qui a été déclaré socialement construit (il prend seulement des titres de livres): de A comme Autorship (la construction sociale de l’auteur) à Z comme Zulu nationalism, en passant par le genre, la maladie, les quarks ou la réalité.
J’y reviendrai, car de toutes façons c’est dans le fil de la réflexion, suspendue mais non abandonnée, sur le genre.
11 décembre 2012 at 23:10
à Philarête,
Tu dis :
« Dans une démocratie, chaque citoyen est censé participer à l’élaboration de la loi. Il ne peut donc, par hypothèse, estimer que sa volonté suffit à rendre la loi juste (…). Donc il doit justifier son opinion par des raisons… »
Je te trouve très optimiste…
Il y a des gens en démocratie qui n’hésitent pas à dire à leurs adversaires : « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires. »
La position d’Aristote (ci-dessus) me paraît donc assez justifiée.
D’ailleurs, je pense qu’en matière de législation sur l’avortement et quelques autres sujets de bioéthique, nos démocraties ont fait la preuve que la volonté du peuple souverain s’assied volontiers sur les idées de justice et de vérité (au sens élémentaire de ces termes)…
Mais bon: je concède qu’il y a une saine démocratie qui est à la démocratie démagogique ce que la monarchie est à la tyrannie et ce que l’aristocratie est à l’oligarchie. Sur ce point je suis d’accord avec Aristote (de Stagire). Et dans cette démocratie la référence à une vérité au sens élémentaire où tu la définis est indispensable, mais pas forcément plus que dans une bonne monarchie ou une bonne aristocratie.
D’ailleurs, vivons-nous vraiment dans une démocratie ? Je n’en suis pas si sûr… Et je ne suis pas sûr de déplorer que ce ne soit pas tout à fait le cas…
11 décembre 2012 at 23:46
Philarête, vous devriez être prof de philo !
(On me dit que vous l’êtes…)
Je corrige : Philarête, tous les profs de philo devraient être comme vous.
J’ai envie de faire lire vos billets à la terre entière. A chaque fois.
Et quand c’est sur un sujet comme celui-ci, ce serait oeuvre de salut public.
Vous me remercierez plus tard pour le cirage de pompe.
12 décembre 2012 at 08:10
@Philarête
En 3/
« si Aristote à raison »… au passage admirez l’intelligence du choix du pseudo :-)
Vous amenez vous même la contradiction à votre propos.
Il semble claire qu’en démocratie le peuple est souverain… même si ca n’est qu’une fiction elle n’est pas très différente de celle au sujet du souverain qui le serait. Dans tous les cas le débat démocratique n’a pas pour but de faire l’accord entre les gens, mais de leur permettre de décider « ensemble » une fois que chacun a pu s’exprimer et exprimer ses raisons.
Peut être que tout n’est pas socialement construit mais la souveraineté semble faire parti de ce qui l’est.
En 4/
Je suis preneur d’un billet.
En général (et pour Physdémon)
Il me semble qu’on mélange ici plein de trucs sans bien séparer les concept.
L’origine de la souveraineté, sa légitimité, la justice, la vérité, les systèmes politiques etc…
Je ne pense pas que la démocratie ait pour fonction d’établir la vérité.
La justice (au sens des lois) n’a que peu à voir avec le concept de justice au sens moral ou de vérité. Le débat démocratique n’a pas (à ma connaissance) pour fonction de faire ressortir la vérité ou la justice etc.. J’ai l’impression qu’on est moins ambitieux que ça et que l’idée est plutôt de faire émerger un système de prise de décision suffisamment collectif pour que les décisions qui en sorte soient aussi légitimes que possible et ne puissent ne permanence être remise en question.
Entre légitime, vrai et juste il y a des mondes de différences (voir même des galaxies entières). Non ?
12 décembre 2012 at 11:17
@ khazan
Je reprendrai la discussion sur le fond un peu plus tard, je vous dois une explication de mon pseudo.
J’ai commencé à bloguer en bataillant ferme sur un blog pour défendre la position que la foi au Dieu qui se révèle dans la Bible, je ne commente ni le « déisme » en général ni les autres fois, n’est en rien incohérente avec l’acceptation de la démarche scientifique (je n’ai pas écrit que la science prouverait Dieu, qu’Il m’en garde !).
Thomas d’Aquin est le premier pseudo auquel j’ai pensé, mais Thomas n’est pas seulement un intello, c’est un mystique, un saint. Je n’ai pas osé. Alors j’ai choisi Aristote que Thomas a beaucoup commenté.
12 décembre 2012 at 11:56
@Aristote
Il n’y avait pas, de ma part, de volonté de polémiquer sur votre pseudo :-)
C’est juste qu’en écrivant « Si Aristote a raison alors… » j’ai trouvé que la formulation était assez rigolote… Du coup je me suis dit que c’était un choix intelligent de pseudo parce que potentiellement il oblige vos contradicteur à se modérer inconsciemment. Vouloir écrire d’Aristote qu’il a tort peut être un peu paralysant.
Bref… c’était juste de l’humour :-)
12 décembre 2012 at 13:31
@ Khazan :
Le mot de vérité peut prendre des sens différents selon celui qui l’utilise. Lorsque vous dites « je ne pense pas que la démocratie ai pour fonction d’établir la vérité », vous désignez un ensemble complexe de propositions sensés définir le bien et le mal. Un dogme, en quelque sorte. Et on ne peut que tomber en accord avec votre proposition.
Lorsque Philarête affirme qu’une démocratie ne peut être fondée que sur la vérité, je perçoit une conception beaucoup plus terre à terre de la vérité. Il s’agit de la vérité comme contraire du mensonge, une vérité qui n’est donc pas une et figée, mais plurielle et remise en cause en permanence. La vérité nécessaire à la démocratie se heurte à la réalité, et doit donc sans arrêt se préciser, s’affiner. Elle supporte très bien la contradiction, parce que c’est grâce à la contradiction qu’elle pourra grandir.
Néanmoins,cela exige de reconnaître que cette vérité existe (et que dans l’idéal, elle est unique, même si dans les faits, cette unicités ne se retrouve pas), et que le penseur ne fait que la chercher, au lieu de la créer.
@ Physdémon :
La démocratie, dictature de l’opinion publique, ne peut pas plus se passer de vérité que n’importe quel autre régime. Simplement, en multipliant le nombre des « souverains », elle s’assure une stabilité que n’avaient pas les régimes précédents. Un monarque qui perdait les pédales avait un règne bien court. Une oligarchie qui s’empêtre dans un monde imaginaire peut tenir un peu plus longtemps. Une démocratie dont le peuple décide de faire l’économie de la vérité et de la justice se maintiendra plus encore, mais cela n’enlève rien à l’exigence de défense de ces valeurs.
Au contraire, le temps de chute plus long donne une chance de redresser la barre.
12 décembre 2012 at 15:21
@Ferrante
Je comprends bien qu’il existe différentes définitions de la vérité.
Mon problème vient de ce que dans cette discussion, il me semble qu’on passe de l’une à l’autre en fonction des besoins sans toujours préciser à laquelle on fait référence.
Ainsi vous écrivez: « Il s’agit de la vérité comme contraire du mensonge, une vérité qui n’est donc pas une et figée, mais plurielle et remise en cause en permanence. »
Pour ajouter peu après « cela exige de reconnaître que cette vérité existe (et que dans l’idéal, elle est unique, même si dans les faits, cette unicités ne se retrouve pas), et que le penseur ne fait que la chercher, au lieu de la créer. »
1/ La vérité est le contraire du mensonge.
2/ Elle est plurielle.
3/ Elle existe mais on ne peut que la chercher sans savoir si on l’a trouvée.
4/ Dans l’idéal elle est unique même si, dans les faits, ça n’est pas le cas.
C’est un bon catalogue, je pense, de ce qui pose problème.
Ainsi votre assertion 1/ est une définition auto-référentiel :-(
(le mensonge étant le contraire de la vérité)
Avec 2/ et 4/ on considère qu’elle est unique dans l’idéal tout en étant pluriel dans la réalité.
Et avec 3/ vous en posez l’existence tout en reconnaissant que cette existence n’est peut être qu’hypothétique.
Que la démocratie (comme n’importe quel autre système politique comme vous le soulignez par ailleurs) doivent se soucier du réel (sans quoi sa pérennité s’en trouve fortement impactée) je le conçoit bien.
Mais est-ce que Philarête nous dit que nous devons considéré que la vérité c’est la réalité ? On dit d’une montagne qu’elle est réelle, pas qu’elle est vraie. On dit d’une loi qu’elle est juste, pas qu’elle est vraie. On dit d’une mesure qu’elle est efficace, pas qu’elle est vraie.
D’ou ma question à Philarête pour qu’il précise un peu plus ou et dans quelle mesure il a besoin du vrai en démocratie.D’autre part, je crains d’être d’accord avec Aristote sur l’idée qu’en matière de démocratie, le peuple est souverain et que la légitimité est tirée de cette souveraineté. Philarête trouve cette idée défendable (manifestement) mais insatisfaisante. J’aimerais comprendre pourquoi plus précisément et dans quel mesure la vérité vient prendre une place la dedans.
12 décembre 2012 at 15:40
@ khazan et al.
Je suis très navré de ne pouvoir m’engager davantage, pour l’instant, dans la discussion. Je tâche d’en suivre les développements, note les points d’achoppement, mais le temps me manque pour participer à la conversation. Cela me désole d’autant plus que vous avez mis le doigt sur des questions vraiment importantes, je crois. Amicalement à tous, à bientôt j’espère.
12 décembre 2012 at 16:33
à Ferrante,
Je ne suis pas en total désaccord avec vous. Une démocratie corrompue est certainement préférable à une tyrannie ou une oligarchie, a fortiori à un régime totalitaire.
Maintenant, je trouve que le lien entre démocratie et vérité ne va pas de soi du tout. Je pense en particulier au despotisme de la majorité, tel que l’a décrit Tocqueville, qui fait que les démocraties sont susceptibles de verser dans des formes de conformisme intellectuel particulièrement sournoises.
C’est d’ailleurs à mon avis un des points faibles d’Orwell : dans l’Union soviétique et en Allemagne, les gens fermaient leur gueule mais n’en pensaient pas moins.
Le péril qui nous guette en démocratie, c’est de ne plus penser du tout. Par exemple, en faisant de l’éloge de la démocratie une sorte de figure obligée de toute pensée politique… Comme s’il allait de soi que Locke ait eu raison contre Hobbes, ou Rousseau contre Aristote, ou Popper contre Platon, ou Onfray contre Nietzche etc.
Franchement, pour avoir étudié ces auteurs, je dis que la victoire des uns sur les autres n’a rien d’une évidence…
Allons, disons avec le chevalier noir de Sacré Graal : « match nul !!! »
Cela dit, je ne suis pas hostile à la démocratie. Mon rapport à ce régime est aristotélicien : c’est un régime parmi d’autres, qui à l’avantage d’être adapté à notre condition présente.
Pas de quoi se monter le bourrichon.
Pas de quoi attendre d’elle plus que ce qu’elle peut donner… (C’est ce que je reproche plus haut à Philarête).
12 décembre 2012 at 21:05
Bonjour, je glisse un commentaire de béotien et d’apprenti orwellien dans cette discussion. Je me retrouve notamment tout à fait dans l’introduction de votre article. J’avais commencé ma cure d’Orwell par 1984 il y a quelques années en trouvant le tout un peu didactique et indigeste ; mais depuis j’ai eu la chance de tomber sur quantité de ses écrits antérieurs, qui révèlent d’après moi la richesse et la complexité d’une pensée en mouvement perpétuel. Je crois qu’en France on doit aussi beaucoup à Jean-Claude Michéa (« Orwell, anarchiste tory », etc.) pour montrer à quel point la réflexion d’Orwell est contemporaine. Peut-être au fond que 1984 s’appréhende mieux après avoir suivi un minimum la trajectoire des idées de George !!
Pour finir, sans doute que c’est hors-sujet, ( je m’en rendrai compte dans quelques années « quand je serai en bas de l’escalier » !) mais tout ça m’évoque une des pensées de Bruce Chatwin dans son chant des Pistes :
« Sans religion, selon la célèbre formule de Dostoïevski, tout est permis. Sans instinct, tout serait pareillement permis.
Un monde dépouillé de l’instinct serait infiniment plus dangereux et mortel que ce que pourraient inventer les ‘prosélytes de l’agression’, car nous vivrions dans des limbes où tout pourrait être le contraire de tout – le bien y serait le mal, le sensé l’absurde, la vérité le mensonge, le tricot pas plus moral que l’assassinat d’enfant – et où les hommes pourraient subir des lavages de cerveau et être amenés à penser, à dire et à faire tout ce qui plairait aux pouvoirs en place. »
12 décembre 2012 at 22:57
@ Physdémon
Non, ce n’est pas « le point faible d’Orwell ». L’essai de Conant établit de façon que je trouve convaincante que la société que décrit Orwell n’est ni l’URSS stalinienne ni l’Allemagne nazie, mais ce que deviendrait une société gouvernée par les intellectuels gauchistes de l’Angleterre de son temps.
@ khazan
Le détour par la démocratie a fait partir le débat dans tous les sens.
Je comprends vos réticences à propos de l’emploi du concept de « vérité ».
Mais ce qui dit Orwell, c’est qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. On peut admettre que bien des questions ne sont pas susceptibles d’une réponse « vrai ou faux » tout en préservant la possibilité que certaines assertions soient vraies ou fausses, objectivement, qu’une personne puisse en juger par elle-même, indépendamment de ce que disent les autres.
Cela n’empêche pas de se disputer sur la frontière entre ces deux catégories, mais c’est autre chose de prétendre, comme Rorty, qu’il est impossible par principe d’arriver par soi-même à un jugement de vérité.
Le mensonge n’est pas le contraire de la vérité, pour la bonne raison qu’il y a un troisième terme, l’erreur. Le problème de l’erreur est un problème technique. Le problème du mensonge est un problème de personne, celui du menteur. Il m’arrive de penser que s’il n’y avait pas de menteurs, que le seul problème était celui de l’erreur, les philosophes seraient au chômage. C’est une intuition que je peine à formuler, mais qui aboutit à dire que ce que nous cherchons vraiment, c’est quelqu’un qui ne ment pas.
13 décembre 2012 at 20:32
Histoire de me glisser dans le débat moi aussi, je pense que vous avez raison de pointer les apories du concept de vérité, qu’on peut tantôt opposer à l’erreur et tantôt au mensonge, et qu’il est nécessaire de voir ce que ces oppositions impliquent.
La vérité, quand elle est conçue par opposition à l’erreur, est plus qu’une correspondance avec les faits mais un véritable absolu qui nécessite de connaître la réalité du monde et de pouvoir l’expliquer. Or la vérité, comprise en ce sens, n’est pas nécessaire pour faire de la politique, car cela signifierait autrement que seuls ceux qui possèdent la vérité, c’est-à-dire qui peuvent expliquer la réalité du monde sont libre. Ce serait assez idiot car ça implique qu’on ne peut pas être libre politiquement si on possède des certitudes fausses, ce qui signifie, avec la vitesse des découvertes scientifiques, que personne ne pourrait être libre puisqu’on découvre régulièrement que des principes qu’on prenaient pour acquis se révèlent finalement être faux. On peut très bien former une société sans avoir besoin de connaître la circonférence de la Terre. Par ailleurs, la vie politique implique toujours une certaine relation à l’autre. Or on peut tout à fait disposer d’un vaste savoir sans avoir besoin d’agir dans la vie politique, c’est d’ailleurs toute la signification de l’opposition de Platon à la politique. La vérité n’est donc pas nécessaire à la liberté publique, mieux elle s’oppose à la vie publique.
Dans 1984, le problème c’est le mensonge. Le mensonge ne s’oppose pas à la vérité en tant que possession d’un savoir absolu sur le monde, mais à la réalité factuel des événements. Un menteur est quelqu’un qui nie que les faits se soient réellement passés ainsi ou qui affirme que les choses telles qu’on les connait sont fausses. Il vise donc un savoir en acte, et pas la réalité du monde dans son fonctionnement intime. La vérité à laquelle s’oppose le menteur c’est celle dont parlait Clémenceau lorsqu’il affirmait « je ne sais pas ce que diront les générations futures, mais je suis sûr qu’elle ne diront pas que la France a envahi la Belgique en 14 ». C’est la négation des faits que vise Orwell dans sa critique du totalitarisme, et il avait certainement en tête le trucage des archives soviétiques et autres phénomènes du même ordre. Le problème c’est que dans le cas du mensonge il y a au moins quelqu’un qui connait la vérité : le menteur lui-même. Même s’il la cache en public, pour être un vrai menteur il ne faut pas croire à ses mensonges, sinon on retombe dans la première catégorie. Du coup le rapport entre le mensonge et la vérité n’est pas une simple opposition. Mentir signifie cacher sciemment la vérité, et peut donc facilement être utilisé comme un moyen politique, par exemple avec la censure, sans nier complètement la liberté.
Du coup je ne pense pas que ce soit vraiment le problème de cet article. Ici le statut de la liberté me semble beaucoup plus remis en question puisque ce n’est pas l’erreur (le fait de ne pas détenir la vérité) ni le mensonge (le fait de cacher la vérité) qui est en jeu mais la possibilité même de la vérité. Ce qui me semble nier par la société moderne, en tout cas telle qu’en parle Phylarête, c’est la possibilité même de la vérité. La société contemporaine fait comme si il n’y avait pas de vérité objective mais des mesures du monde par les observateurs. Il n’y a pas de réalité unique mais des constructions sociales. Et c’est cette négation de la possibilité même de la découverte d’une vérité sur la réalité du monde (à laquelle se substitue une production sociale de la vérité) qui apparaît dans l’article comme le grand danger de la société contemporaine.
Je me suis permis de corriger « liberté » en «vérité» dans la première phrase, il me semble que votre plume/clavier a fourché. Philarête.
14 décembre 2012 at 10:37
@ Toc
Vous dites : « La vérité, quand elle est conçue par opposition à l’erreur, est plus qu’une correspondance avec les faits mais un véritable absolu qui nécessite de connaître la réalité du monde et de pouvoir l’expliquer. »
J’ai du mal avec « le monde ». Je ne sais pas où trouver un lieu « en dehors du monde » d’où je puisse vérifier, moi qui fais partie du « monde », que mon savoir du « monde » est juste en fonction de justes critères. Mais savoir qu’il est dix heures du matin, et éventuellement se tromper sur le fait qu’il est dix heures du matin, ne présuppose pas un savoir « absolu » sur la « réalité du monde ». Idem avec la vérité de l’existence historique des chambres à gaz, pour prendre un exemple moins trivial.
Mais si, de fait, il n’existe pas de « lieu » privilégié d’où il serait possible de valider la thèse de la « réalité du monde », il n’existe pas plus de « lieu » d’où il serait possible de valider la thèse inverse de la « non réalité du monde », qui est celle de Rortry.
Je suis un chrétien convaincu, donc bien sûr ouvert à l’idée d’une vérité « absolue ». Mais cette vérité n’est pas de ce monde et je ne pense pas que ce soit un bon service à lui rendre que de la transformer en thèse philosophique sur la réalité du « monde ».
Il me semble par contre capital de défendre, avec Orwell, la possibilité de jugements sur la vérité des faits qui ne dépendent pas d’accords intersubjectifs. Ou dit autrement, que l’accord intersubjectif présuppose en fait le partage d’un monde commun qui est lui antérieur à la recherche de l’accord.
14 décembre 2012 at 10:42
@ Toc
Le partage d’un monde commun ne présuppose pas la possibilité d’un savoir absolu sur ce monde commun.
14 décembre 2012 at 10:51
@Toc
J’aime bien votre synthèse et je suis assez d’accord avec la façon dont vous formulez les choses. Au moins dans vos 2 premiers paragraphe :-)
$1: Que la « vérité » ne soit pas nécessaire à la liberté publique… OK
(Qu’elle s’y opposerait même… je crains que vous ne mettiez en danger votre propre thèse en allant aussi loin)
$2: Dans 1984, le problème c’est le mensonge… en tant que celui qui ment connait « la vérité » et décide de la travestir. Je suis d’accord aussi. Pour mentir il faut penser que la vérité existe. Ceci étant la censure est une négation de la liberté… le mensonge (et la propagande) sont « plus efficace » en ce qu’il ne s’opposent pas frontalement à la liberté et génère efficacement de l’acceptation.
$3: C’est là ou ça se gâte pour moi :-)
Vous résumez, me semble t-il, assez bien la position de Philarête… mais du coup… cette position me semble non argumenté et se résume à une pétition de principe. Pétition que vous (re)formulez un une phrase: « Et c’est cette négation de la possibilité même de la découverte d’une vérité sur la réalité du monde (à laquelle se substitue une production sociale de la vérité) qui apparaît dans l’article comme le grand danger de la société contemporaine. »
C’est bien ce que semblent dire Conant et Philarête… Mais j’attends les arguments. Je trouve la thèse déployée par Conant presque « Godwynesque » et un poil anachronique.
14 décembre 2012 at 12:00
@ Aristote :
vous dites que « le partage d’un monde commun ne présuppose pas la possibilité d’un savoir absolu sur ce monde commun ».
Là oui, je ne qu’être d’accord avec vous. D’ailleurs c’était exactement le sens de mon premier paragraphe. La vérité, en tant que connaissance absolu de la réalité du monde, n’est pas nécessaire à la vie politique. Au contraire elle s’y oppose puisque seul un être omniscient pourrait la détenir, et serait du coup complètement coupé du reste du monde.
@ Khazan :
comme vous le dites, le 3e paragraphe est une sorte de résumé de la thèse de Phylarête. J’avais envie de me recentrer sur la thèse initiale en disant que ce n’est pas la détention de la vérité dont il est question dans cet article mais la possibilité même de l’existence d’une vérité, possibilité qui semble à Phylarête remise en cause par la société contemporaine.
Du coup en disant que « c’est bien ce que semblent dire Conant et Philarête » ça me conforte dans mes affirmations :-)
Pour ma part je ne partage pas la thèse de Philarête, parce que je n’ai jamais conçu la vérité comme une vertu politique. La politique est avant tout une relation entre des personnes qui agissent ensemble dans un espace public. La politique est avant tout un art, et pas une science. Elle n’a pas besion de découvrir des vérités mais de rassembler des individus pour qu’ils puissent agir les uns avec les autres. Si ce rassemblement est fondé sur une idée fausse, peu importe. Dans l’espace public on n’agit pas sur les choses telles qu’elles sont dans la réalité des faits, mais sur la manière dont elles apparaissent à tous. Que ces apparences soient un mensonge ou une erreur n’est pas grave. J’ai beau savoir que la Terre tourne autour du soleil, dans les faits j’ai quand même l’impression que la terre est immobile et que c’est le soleil qui se déplace. Même chose pour le mensonge. Si je tronque les faits pour en obtenir un bénéfice, ça reste une arme dans la vie politique. Parfois la vérité des faits peut même être néfaste à l’existence d’une puissance publique et il vaut mieux mentir pour éviter sa désagrégation. C’est le principe même de la censure (pas toujours utilisé à très bon escient il est vrai) ou encore du secret d’Etat, qui n’est rien d’autre qu’un mensonge par omission. On a des cas de mensonges fabuleux dans l’histoire. Mon préféré, personnellement, reste la bataille Qadesh dans laquelle Ramsès II fait graver dans le marbre sa victoire éclatante…. alors qu’il a plus ou moins perdu la guerre. Et pendant des siècles on a continué à croire que c’était une grande victoire égyptienne.
La vérité n’est pas une vertu politique parce qu’en politique ce qui importe c’est l’existence d’une communauté. Les grandes vertus politiques sont donc le courage, la liberté, l’autorité, la puissance, la tempérance également, ect…. Tous ces traits qui se rapportent à la capacité de créer quelque chose de nouveau, de prendre des décisions, ou de faire des compromis. Mais la vérité nécessite au contraire de se tenir en dehors de la chose qu’on étudie. C’est le propre de l’expérience scientifique. L’expérimentateur ne doit pas prendre partie de ce qu’il étudie. La politique est un domaine qui requiert des acteurs, la vérité est un domaine qui requiert des spectateurs. Du coup les deux domaines doivent rester séparés. Ils peuvent entretenir de bonnes relations, mais ne doivent pas déterminer l’autre. Quand on commence à faire de la politique selon des critères scientifiques ou de la science selon des normes politiques, ça n’engendre que des embrouilles.
14 décembre 2012 at 15:22
Je m’excuse d’ insister mais votre débat est traité avec brio par Alain BESANçON, dans son avant dernier chapitre de « La falsification du bien »: le monde de 1984 est tout entier construit sur le pouvoir pur, la puissance pure de quelques uns et ne supporte aucune concurrence qui pourrait s’appuyer sur une quelconque vérité. C’est un extrémisme total. Un idéalisme total réalisé.
Il me paraît naîf de croire que l’admission de « petites vérités » pourrait résister sans une ouverture plus métaphysique et religieuse à la Vérité.
C’est la limite d’ ORWELL, le côté trop facile de ses positions, idem avec sa « commun decency ».
Ne voyez vous pas la radicalité, le côté eschatologique des temps modernes, de « L’homme révolté » (CAMUS)?
14 décembre 2012 at 16:29
@ khazan
Il me semble utile de détailler un peu la thèse de Conant.
Conant dit (1) que le philosophe Rorty ne peut pas lire Orwell parce que Rorty tient des positions antiréalistes extrêmes et que les positions de Rorty sont in fine aussi « métaphysiques » que celles des philosophes qui assument une position réaliste. Ainsi, pour Rorty, il est impossible qu’une assertion quelle qu’elle soit puisse être objectivement vraie, on peut toujours la ramener à un consensus intersubjectif. Même au niveau le plus élémentaire, dire qu’une bouteille est sur la table n’est pas vrai parce que il y a une bouteille sur la table, mais parce que tout le monde dit ou dirait qu’il y a une bouteille sur la table.
Conant dit (2) qu’Orwell ne prend pas partie dans la querelle philosophique entre réalistes et non-réalistes sur le statut du « monde » en général mais qu’Orwell soutient que la vérité de bon nombre de ce que l’usage commun appelle des faits est objective au sens où elle ne dépend pas d’un consensus intersubjectif et qu’il est possible d’affirmer cette vérité contre une majorité dans l’erreur ou un gouvernement dans la manipulation.
Conant dit (3) que pour Orwell, l’essence du totalitarisme est d’éradiquer cette possibilité par tous les moyens, de la falsification de l’histoire à la manipulation mentale et à la torture. La liberté suppose la possibilité de se référer aux vérités, modestes, du (2).
Toc se méfie d’une vérité « qui s’impose », Orwell voit la vérité, au sens modeste qui est le sien, comme la prise qui permet de résister à la pression aveugle de l’opinion ou malveillante des puissants.
Conant dit (4) que Rorty, qui veut embarquer Orwell dans sa croisade contre le réalisme « métaphysique », transforme un roman sur le lien entre liberté et vérité en roman contre la cruauté, par une lecture très orientée des nombreux passages où Orwell expose sa vision.
Viennent ensuite deux points qui me paraissent le coeur du débat.
(5) Conant dit grosso modo que tant que des disputes de ce genre restent confinées au sein des départements de philosophie des universités, tout le monde peut dormir tranquille. Mais que si les idées de Rorty devenaient la doxa partagée par l’ensemble de la communauté des citoyens, elles seraient lourdes de danger.
(6) Quoi qu’il en soit du (5), en est-on là, Rorty a-t-il gagné ?
14 décembre 2012 at 16:37
@ vicenzo
J’ai lu, il y a déjà quelque temps, l’ouvrage que vous citez de Besançon, auteur que j’estime beaucoup. Je suis par ailleurs chrétien et donc ouvert à la Vérité, je ne l’ai jamais caché.
Mais sur les blogs je dialogue avec nombre de commentateurs intelligents et estimables qui ne partagent pas ma foi. « Sortir » des difficultés du problème par une référence à la foi ne me paraît pas constructif.
Dieu n’est pas d’abord une réponse aux noeuds philosophiques, mais une rencontre. Le reste est donné par surcroît.
14 décembre 2012 at 18:46
Aristote a parfaitement rappelé, au # 32, la thèse de Conant. J’avais, dans mon billet, omis de signaler l’importante clarification sur le Réalisme comme doctrine philosophique — pour alléger le propos et me concentrer sur ce qui me semblait essentiel de partager ici. Mais la discussion en cours montre clairement que, du simple fait que j’ai introduit le concept de vérité, et malgré toutes les précautions que j’ai prises, une bonne partie d’entre nous associe ce concept à une doctrine philosophique «lourde», celle que Rorty attaque sous le nom de « Réalisme ».
Dans le livre de Conant, le débat est à trois voix: le Réalisme (de métaphysiciens), l’anti-Réalisme (qui relève d’une métaphysique lui aussi, celle de Rorty), et puis les «remarques » d’Orwell. Tout le propos de Conant est de montrer que, précisément, on n’a pas besoin d’une métaphysique spéciale pour comprendre ce que dit Orwell.
Quitte à préciser plus tart ce qu’on entend ici par « Réalisme », je reviens sur le rapport entre vérité et politique. Pas question pour moi de dire que la politique suppose une connaissance de la Vérité, la possession d’un savoir absolu sur le monde, etc. Je suis aristotélicien, je distingue rigoureusement le domaine théorique du domaine pratique, dont relève la politique. On n’a pas besoin de métaphysique pour faire de la politique.
Peut-on, pour autant, se passer de vérité?
Avec Aristote toujours (et désormais avec Orwell), je soutiens que non: on ne peut pas se passer, pour prendre des décisions (= dans le domaine pratique), de jugements sur «ce qui est le cas»: y a-t-il, oui ou non, du beurre dans le frigo? Puis-je, oui ou non, me passer de beurre pour préparer le dîner? C’est de ce genre de vérités qu’il s’agit! Le régime décrit par Orwell est un régime où toute réponse à une question du type « Y a-t-il du beurre dans le frigo? » est susceptible de devoir passer par une autre question: « Que dit le Parti à ce propos? »
Certains, ici même, ont dit: la politique peut se passer de la vérité, et il serait même préférable qu’elle le fasse. Je prétends que c’est une position indéfendable. Peut-on imaginer un seul instant une politique qui pourrait se passer de chercher à savoir combien il y a de chômeurs dans le pays, ou si nous avons les fonds suffisants pour soutenir tel projet, ou si nous avons, oui ou non, conclu un traité avec tel Etat voisin?
La métaphysique de Rorty, semblable en cela à celle que professe O’Brien (tout en étant, à certains égards, encore plus radicale que celle-ci), a pour effet de rendre impossible ce genre de questions. Si l’on doit substituer, à la vérité, « le plus large accord intersubjectif possible », alors il n’y a pas différence entre le fait qu’il y a du beurre dans le frigo et le fait que la plupart des gens croient qu’il y a du beurre dans le frigo. Tant que le débat sur la vérité reste théorique (entre métaphysiciens, par exemple), peu importe (peut-être). Mais si nous avons des décisions à prendre, par exemple des provisions à faire, ça devient très vite dangereux. Car on peut beurrer ses tartines avec ce qu’il y a dans le frigo, mais pas avec de l’accord intersubjectif… Autrement dit, une politique qui prétend ne pas se soucier de la vérité finit, tôt ou tard, par produire des résultats catastrophiques et entraîner des maux sans nom.
C’est de ce genre de vérité-là que parle Orwell. Et — je me répète un peu — le simple fait que la discussion que nous avons ait pu en amener certains à soutenir que la politique peut se passer de la vérité tend à suggérer que les mises en garde d’Orwell ne sont pas tout à fait superflues…
14 décembre 2012 at 19:49
à Philarête,
Comme variante à ta question « y a-t-il du beurre dans le frigo ? », je propose :
« Y a-t-il un pilote dans l’avion? »
14 décembre 2012 at 20:05
@Philarête
Vous persistez à vouloir diaboliser au sens propre une métaphysique qui vous déplaît et qui n’a produit de dictature que dans l’exégèse faite par Conant d’un roman dont le point est de faire un parallèle entre les régimes autocratique de l’ex-URSS et l’Angleterre capitaliste :-)
La politique peut se passer de la vérité: c’est même ce qu’elle fait au jour le jour. Je pense que Toc sera d’accord avec moi sur ce point….
On peut se faire peur en regardant des films d’horreur… mais bon…
@Aristote
Quoiqu’il en soit du (5) Rorty n’a pas gagné. Sortez dans la rue et vous verrez que la plupart des gens ont une conception assez « classique » de l’existence de la vérité et du lien qu’elle entretient avec la réalité (pour ma part j’ai testé autours de moi et bien que ca ne fasse pas une statistique, ca paraît assez clair). la philosophie de Woody Allen me semble bien représenter l’idée dominante sur le sujet:
« Je hais la réalité mais c’est quand même le seul endroit où on peut se faire servir un bon steak. »
pour ma part je conteste que » Mais que si les idées de Rorty devenaient la doxa partagée par l’ensemble de la communauté des citoyens, elles seraient lourdes de danger. »
Je ne connaissait pas Rorty avant de lire ce billet :-)
Mais je pense qu’on ne peut pas échapper « pour de vrai » à une discussion sur la vérité et la réalité… Et sur ce point, Fantômette me manque… j’espère qu’elle va bien. Les scientifiques (dont je fait un peu parti) font le grand écart sur ce sujet depuis un petit moment et ils vont finir par avoir mal à l’entrejambe si les philosophes ne les aident pas un peu… juste pour lister quelques points:
– Théorème d’incomplétude de Godel
– Acausalité/non-localité en mécanique quantique (paradoxe EPR)
– Popper
– Principe d’incertitude d’Heisenberg
– Chaos
…
Franchement on s’en sort pas… ou que se tourne le regard notre capacité à appréhender la « vérité » semble limitée.
Si même la physique n’arrive pas à se sortir du piège de l’intersubjectivité entre moi et une particule élémentaire… on est mal barrés… ou pas.
14 décembre 2012 at 20:09
@Physdémon
C’est joliment formulé au fond…
Je la garde dans un coin celle là :-)
Mais peut être auriez vous du écrire: « Y’a t-il un Pilote dans l’avion? »
:-)
14 décembre 2012 at 21:50
@ Physdémon
Non, justement, « Y a-t-il un pilote dans l’avion », c’est la question métaphysique à laquelle Orwell ne prétend pas répondre.
Y a-t-il du beurre dans le frigo, c’est la question sur un fait au sens commun du terme.
@ khazan
Non, je ne pense pas non plus que Rorty ait gagné. Depuis longtemps les Normands disent peut-être ben que oui, peut-être ben que non, mais quand ils vendent leur beurre qui est dans le frigo, ils s’assurent par eux-mêmes de la réalité du paiement !
Les thèmes que vous évoquez sont vraiment très difficiles et ont fait l’objet de discussions infinies. Dire quelque chose dessus, c’est assumer un risque très élevé de dire des bêtises. Assumons.
Gödel était platonicien. Je comprends son théorème d’incomplétude comme une variation très savante sur le thème du Baron de Münchausen : aucune logique ne peut être autofondatrice, le programme hillbertien d’une formalisation sans reste est impossible à mener.
À l’origine, il y a toujours le sens commun du langage, dont nous héritons, que nous ne contrôlons pas, même si, à l’intérieur de ce langage, il est possible d’analyser localement tel ou tel usage du langage.
J’ai passé beaucoup de temps à essayer de comprendre les implications de la MQ, très handicapé par le fait que je ne suis pas un scientifique. J’ai lu Michel Bitbol, surligneur jaune en main, d’Espagnat, Omnès, Klein, Schrödinger, Heisenberg, je comprends l’importance des expériences d’Aspect, etc.
Mais le sujet est tellement vaste.
Une chose : la présence de dispositifs expérimentaux, de préparations expérimentales, est intrinsèque à la MQ. Qui dit expérience dit expérimentateurs. La MQ présuppose en quelque sorte l’existence d’une communauté d’expérimentateurs dont on peut se demander si elle pourrait se former si ses membres n’adhéraient pas en fait aux idées d’Orwell.
Remarque offerte à la critique…
14 décembre 2012 at 21:51
@ khazan
Je ne vois pas très bien ce que je fais pour «diaboliser» quoi que ce soit, et notamment une quelconque métaphysique… Je ne crois pas non plus avoir suggéré que la philosophie avait produit une dictature. En revanche, puisqu’on parle d’Orwell, je crois qu’on peut au moins lui faire crédit d’avoir été un observateur attentif des mœurs intellectuelles de son temps. S’il lui arrive de suggérer que les «intellectuels» (en l’occurrence, britanniques) de son temps ont tendance à produire exactement le genre de philosophie qui permettrait de justifier un monde à la 1984, c’est simplement parce qu’il lui a été donné de constater l’attitude de ces intellectuels durant la guerre d’Espagne. Puis-je vous suggérer de lire son Hommage à la Catalogne? Vous verrez alors un peu mieux de quoi je parle.
En revanche je note que nous sommes entièrement d’accord sur un point: il y a ce qu’écrivent les intellectuels, et il y a la manière dont les gens fonctionnent dans la société. Je n’ai jamais écrit ou pensé que «la société», que les gens dans la rue, fonctionnent comme Rorty ou O’Brien. Quant à Orwell, eh bien, justement, son personnage de Winston veut être exactement cela, un homme de la rue, qui a une conception tout à fait «classique» de la vérité. Le problème, c’est que dans le roman il est le dernier homme de la rue…
Mais, pour être tout à fait précis, je ne dirais pas que c’est une conception «classique» de la vérité (en gros, la conception qui veut qu’une proposition soit vraie si elle correspond à la réalité). Car cette conception n’est pas une thèse, pas une croyance particulière, pas l’adoption d’une métaphysique quelconque, «classique» ou non. C’est juste le concept ordinaire de vérité, non théorisé, celui dont nous avons besoin tous les jours pour fonctionner et dont personne ne peut se passer. On est très en-deçà de la philosophie ou d’un débat entre réalisme et anti-réalisme. Car pour la vie de tous les jours, on n’a pas besoin de philosophie: les concepts ordinaires suffisent, et ils fonctionnent très bien. Ça ne devient compliqué que si l’on veut utiliser ces concepts ordinaires dans des contextes non-ordinaires — par exemple pour faire de la philosophie…
S’il faut causer philosophie, cependant: la liste des questions que vous évoquez (Gödel, Heisenberg, etc.) sont au cœur d’à peu-près toutes les discussions philosophiques sur la vérité depuis un demi-siècle. Si j’en crois un Jacques Bouveresse, par exemple, on ne peut pas dire que les contributions de philosophes patentés prétendant s’inspirer de Gödel, par exemple, aient produit des résultats éblouissants. Et, pour ma part, je trouve que la distinction proposée par Conant entre le concept ordinaire de vérité, et une métaphysique élaborée comme celle qui se dit réaliste, est un bon début pour commencer à y voir un peu clair.
15 décembre 2012 at 10:46
@Philarête
J’ai l’impression de vous avoir énervé ce qui n’était pas mon but.
En gros mon point d’achoppement est celui-ci: « … le genre de philosophie qui permettrait de justifier un monde à la 1984, »
Je crains qu’on puisse justifier un monde à la 1984 avec à peu près n’importe quelle genre de philosophie. La bible ou « le capital » de Marx on servi à justifier des trucs horribles… mais faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Justifier A qui est horrible à partir de B ne permet pas de conclure en logique que A est intrinsèquement mauvais… mais juste que certaines personnes font des choses horribles et trouvent toujours une « bonne » justification à leurs actions.
J’ai l’impression que c’est un peu ce que vous faites – jeter le bébé avec l’eau du bain- il faut jeter Rorty aux orties parce que sa philosophie « permettrait de justifier un monde à la 1984, »
Mais peut être me trompé-je ?
Hors nous sommes d’accord au moins sur le point :
« En revanche je note que nous sommes entièrement d’accord sur un point: il y a ce qu’écrivent les intellectuels, et il y a la manière dont les gens fonctionnent dans la société. »
La conception terre à terre de la vérité et de la réalité qu’en à l’homme de la rue (c’est à dire tout être humain qui marche dans la rue, y compris Rorty) est peut être une « bonne théorie de la réalité et de la vérité » et peut être pas… mais comme disait Woody Allen « Je hais la réalité mais c’est quand même le seul endroit où se faire servir un bon steak. »
Sauf que ca ne permet pas de créer un métaphysique de la réalité/vérité… juste de ne pas mourir de faim et c’est déjà pas mal (mais ca n’est pas le propos).
@Aristote (et Philarête)
Mon point avec la MQ ou Godel n’est pas d’imaginer qu’on puisse « poser » une métaphysique quantique ou Godelienne… mais simplement que ces théories remettent en question nos conceptions de la réalité, de la vérité et de leur accessibilité et ce dans un sens qui semble (à mon humble avis) s’accorder un peu avec les théories philosophiques relativistes.
Pour faire une pirouette je dirais qu’alors:
Soit les théories scientifiques sont des constructions sociales. La preuve: des théories relativistes émergent en physique concurremment avec les théories relativistes en philosophie.
Soit les théories scientifiques décrivent véritablement le réel et dans ce cas la vérité est que les relativistes ont un peu raison de l’être.
15 décembre 2012 at 12:25
@ khazan
Je sais bien que la MQ remet en question une certaine conception de la réalité. C’était d’ailleurs déjà le cas de l’interprétation par Kant de la science de son temps, et notamment de Newton.
Le point que je cherche à faire est le suivant : la science n’est pas un construit social au sens où les Américains pourraient accepter la MQ et les Patagonais la refuser. Mais une enquête scientifique particulière, comme l’est la physique, ne peut prétendre embrasser le réel dans sa globalité, elle n’a pas le point de vue qui serait celui de Dieu ! Et La Science avec un grand S, est un concept aussi métaphysique que celui de Vérité avec un grand V.
Et le point de départ de toute enquête scientifique, c’est notre monde commun, celui où le concept de vérité est celui, modeste, d’Orwell. La « remise en cause » de la notion d’objectivité par la MQ n’est donc pas « absolue », elle doit s’interpréter dans les limites de ce à quoi peut prétendre l’enquête des physiciens. C’est déjà beaucoup.
15 décembre 2012 at 13:26
@Aristote
J’ai du mal à comprendre votre position.
Si la science n’est pas un construit social… et qu’elle ne peut prétendre avoir le point de vue de Dieu. Qu’est-ce qu’elle est et quel est son point de vue et son rapport au réel ? Et comment établir la vérité au sens d’Orwell d’une proposition ?
15 décembre 2012 at 15:46
@ khazan
À défaut de pouvoir en dire plus pour le moment (sur le fond), je veux préciser que vous ne m’avez pas du tout énervé, et que je m’aperçois que ma réponse était un peu sèche. Je vous prie de m’en excuser. La discussion est passionnante, poursuivons-là!
15 décembre 2012 at 16:11
@ khazan
Pas évident, vous avez raison.
La science, je ne sais pas ce que c’est. La physique, peut-être, la biologie, peut-être, la chimie, etc. On peut débattre de ce qui définit une démarche scientifique, démarche qui s’applique à différents champs de recherche, mais La Science, je ne sais pas ce que c’est et encore moins de quoi elle me parle. Du « Réel » ?
Construit social, je pense qu’il faut là aussi s’entendre. La logique de base, le jugement de vérité au sens d’Orwell, sont communs à l’humanité depuis les temps les plus reculés. Les Grecs, les Romains, les théologiens du XIIIè, les Indiens d’Amazonie,les Japonais, les Maoris de Nouvelle Zélande, les Pygmées d’Afrique, tous sont capables de juger de la vérité d’une assertion du type « il y a du beurre dans le frigo » sur la base de la présence ou non de beurre dans le frigo.
Et cela, indépendamment de leurs métaphysiques respectives. Quand les Romains construisent un pont, leurs choix n’ont pas grand chose à voir avec leur croyance, réelle ou non, au Panthéon des dieux de l’Antiquité. La pratique de la sorcellerie dans certaines zones d’Afrique n’empêche pas les gens de raisonner juste quand ils construisent leurs cases.
Commune à l’humanité ne doit pas être traduit en « objective ». Car pour porter ce jugement, il faudrait que quelqu’un, qui ???, se trouve en position, où ???, de comparer, comment ???, cette logique commune et ce type de jugements de vérité avec le « Réel », whatever it means. Mais pour exactement les mêmes raisons, il est impossible de porter le jugement que cette logique, etc., est une pure construction sociale, dont l’arbitraire n’a rien à voir avec la réalité, au sens d’un donné que nous ne maîtrisons pas.
Les constructions sociales ne prennent consistance qu’au sein, à l’intérieur de ce monde partagé qu’on ne peut pas qualifier de construction sociale, c’est à partir de ce monde partagé qu’il est possible de qualifier un fait social de construction sociale.
Si on qualifie de construction sociale la physique comme pratique, alors son objet est aussi une construction sociale. Et ce qu’une construction sociale dit d’une construction sociale n’a pas une évidente légitimité pour remettre en cause la logique commune dans son application à la vie commune.
16 décembre 2012 at 19:16
à Khazan,
Cela m’ennuie un peu que vous fassiez de Popper un relativiste.
Dans Conjectures et Réfutations, chap. X, « Vérité, rationalité et progrès de la connasisance scientifique », Popper se réfère à une conception de la vérité empruntée à Tarski et montre bien pour quelles raisons sa philosophie de la connaissance n’est absolument pas relativiste.
Mais peut-être n’avez vous as lu cette partie de l’oeuvre de Popper ?
16 décembre 2012 at 21:50
à Khazan,
Je m’aperçois que mon com. précédent était très sec. Veuillez m’enexcuser. C’est uniquement parce que j’étais pressé que je me suis exprimé ainsi.
En fait, annexer à une sorte de relativisme le Popper de La logique de la découverte scientifique me paraît tout à fait justifié dans la perspective qui est la vôtre.
Seulement, à mon avis, ce n’est pas le dernier mot de sa pensée. On le trouverait plutôt dans un de ses ouvrages moins connu et, d’ailleurs, difficile à trouver.
D’autre part, j’apprécie vos interventions. Je voulais juste attirer votre attention sur un aspect de la pensée de Popper qui mérite d’être mieux connu…
17 décembre 2012 at 22:00
@tous
Désolé… je n’arrive pas à poster ma réponse
@Physdémon
Désolé j’ai tenté plusieurs fois de répondre mais internet m’a bouffé mes commentaires sans remords ni raisons :-(
Bref, pas de soucis de mon côté… Mais ou avez vous vu que je faisait de Popper un relativiste ?
Ceci étant et sur ce terrain là:
(Wikipedia) Popper sans être relativiste à terminé sa vie pour le moins désabusé… en déclarant: « Les intellectuels ne savent rien »
Sinon vous connaissez peut être ce texte: […]
Il s’y décrit comme un (anti-relativiste) relativiste critique :-)
On joue un peu sur les mots mais bon…
« Le relativisme critique est la position selon laquelle dans l’intérêt de la vérité chaque théorie – tant mieux si elles sont nombreuses – doit entrer en concurrence avec d’autres. Cette concurrence consiste dans la discussion rationnelle des théories et leur examen critique. La discussion est rationnelle, cela signifie que l’enjeu est la vérité des théories en concurrence : la théorie qui semble se rapprocher le plus de la vérité dans la discussion critique est la meilleure ; et la meilleure théorie évince les plus mauvaises. L’enjeu est ici la vérité. »
Au fond je trouve qu’il y a une communauté de pensé entre Popper et Orwell, qui ne porte pas sur le relativisme mais plutôt sur le besoin d’une éthique intellectuelle.
Ainsi d’Orwell sur la guerre d’Espagne:
[…]
« I have little direct evidence about the atrocities in the Spanish civil war. I know that some were committed by the Republicans, and far more (they are still continuing) by the Fascists. But what impressed me then, and has impressed me ever since, is that atrocities are believed in or disbelieved in solely on grounds of political predilection. Everyone believes in the atrocities of the enemy and disbelieves in those of his own side, without ever bothering to examine the evidence. »
(position ingénument presque auto-contradictoires si on lit entre les lignes… c’est intéressant).
A la citation donnée par Philarête je préfère celle-ci (qui me parait plus éclairante):
« But unfortunately the truth about atrocities is far worse than that they are lied about and made into propaganda. The truth is that they happen. »
Bref d’un côté on trouve Orwell qui s’énerve contre les intellectuels qui ne voient que les vérités qu’ils veulent bien voir et qui vont dans le sens de leurs théories…
De l’autre on a Popper qui pense un peu la même chose et souhaite mettre en avant l’idée que si au moins on est « honnête » alors on peut penser différemment mais le fait d’en débattre honnêtement (plutôt que pour convaincre, débattre plutôt que se battre) alors on s’approche de la vérité. C’est peut être un voeux pieux…
Mais c’est un peu une réponse à Philarête et à sa conclusion: « s’il n’existe pas une « réalité extérieure » devant laquelle nous avons, en dernier ressort, à répondre de nos croyances, alors non seulement l’idée du progrès scientifique, par exemple, devient incohérente, mais la perspective d’une servitude absolue devient une probabilité sérieuse.
Même s’il n’existe pas de « réalité extérieur » alors les principes éthiques du relativisme critique de Popper (par exemple) permetttent d’établir une idée du progrès scientifique et d’échapper à la servitude.
Notez que ce problème d’échapper à la violence et à la dictature sont aussi au coeur des préoccupation de Popper.
Notez aussi qu’entre le relativisme et le relativisme critique… la différence est peut être assez ténue et relève plus de l’éthique que d’autre chose (en tout cas c’est mon impression).
Pour ma part je trouve que le premier principe fourni par Popper dans cet article est ce qui peut nous sauver: peut-être ai-je tort et peut-être as-tu raison, mais nous pouvons aussi bien avoir tort tous les deux.
:-)
17 décembre 2012 at 22:01
@tous
OK c’est à cause des liens http dans le message.
Désolé Philarête vous devez avoir 4 ou 5 versions de mon com dans votre anti-spam… vous pouvez les détruire toutes.
OK, je fais le ménage!. Philarête.
17 décembre 2012 at 22:34
@ khazan
Il me semble que la différence entre un relativiste à la Rorty et un relativiste critique à la Popper est effectivement quelque part de l’ordre de l’éthique.
Pour Rorty, tout se vaut, en fait. Pour Popper, personne ne peut prétendre détenir la vérité, il n’y a que des théories à propos de la théorie « vraie ». Et même « vraie », une théorie reste une théorie.
Mais ce qui régule au fond la discussion popperienne, ce n’est pas le consensus, c’est bien quelque part un donné qui n’est pas manipulable. Tout ne se vaut pas. Un donné non manipulable n’est pas nécessairement une réalité « extérieure ». Nous faisons partie du réel, tracer la frontière entre nous et le reste est une entreprise difficile sinon hasardeuse. Mais est-ce que cela nous rend maîtres et seigneurs de tout, y compris de nous-mêmes ?
Les critiques de Popper arguent qu’on peut toujours « sauver » une théorie, notamment au moyen d’hypothèses ad hoc. Mais on peut répondre qu’à un moment ou à un autre, le bon sens (orwellien ?) perce la sophistique de l’argumentation « ad hoc ».
18 décembre 2012 at 00:48
@ Aristote, com 44
J’espère que vous n’allez pas déduire de ce qui suit l’idée que je vous en veux personnellement.
1) En fait il est tout à fait possible que la science ne vous parle pas et il est hautement probable que c’est vous qui parliez à la science. Ou non. Et dans votre cas… peut être que c’est non.
2) Votre désir d’universalité devrait rendre votre femme jalouse.
Verbatim: « Construit social, je pense qu’il faut là aussi s’entendre. La logique de base, le jugement de vérité au sens d’Orwell, sont communs à l’humanité depuis les temps les plus reculés ».
Ah bon? Vous y étiez? Sans blague? Visiblement, votre absence, regrettée – si, si je vous assure – aux temps les plus reculés de l’humanité ne vous empêche nullement d’énoncer ces grandes vérités bêtes, qui vous font horreur lorsqu’on les montre avec un autre doigt que le vôtre.
Nonobstant et sans désemparer, vous poursuivez: »Les Grecs, les Romains, les théologiens du XIIIè, les Indiens d’Amazonie,les Japonais, les Maoris de Nouvelle Zélande, les Pygmées d’Afrique, tous sont capables de juger de la vérité d’une assertion du type « il y a du beurre dans le frigo » sur la base de la présence ou non de beurre dans le frigo. »
Justement, ce type d’assertion dont le côté immédiatement pratique et terre à terre est trompeur, caractérise la culture au sens où précisément, l’absence ou la présence de « beurre » dans un « frigo » n’a pas du tout le même sens pour tous ceux que vous avez nommés.
Dans le lot, par exemple, il y en a qui se fichent complètement d’avoir du beurre dans un coffre appelé frigo, destiné à assurer la conservation du produit: ils bouffent le beurre tout de suite, dès sa production.
Vous plaquez un modèle, rationnel, sur ce à quoi l’on peut juger du bien fondé d’une chose par rapport à un référent (conserver de la nourriture). Or, justement ce référent est très variable. Et vous le faites avec les yeux d’un type qui serait très emmerdé que son frigo tombe en panne. Un homme moderne.
Si c’est seulement de la présence ou de l’absence d’une chose proche dont vous parlez, vous vous référez aux sens et à notre aptitude à percevoir, puis à distinguer le proche du lointain ou de l’absent.
Si c’est bien cela, alors vous parlez plutôt de ce qu’on appelle la cognition. Enfin, un certain degré de cognition.
Si je vous dis, au lieu de « beurre dans le frigo » autre chose, comme par exemple « crise de l’euro » ou « déficit budgétaire », ou « insécurité » ou « retour de la croissance forte », voire « plein emploi », ou « prospérité », ou « confiance dans l’avenir », vous pourrez me répondre que certaines des choses dont je vous parle sont présentes, absentes, lointaines, mais en aucun cas il ne vous viendrait à l’idée de me réponde:
« Les Grecs, les Romains, les théologiens du XIIIè, les Indiens d’Amazonie,les Japonais, les Maoris de Nouvelle Zélande, les Pygmées d’Afrique, tous sont capables de juLes Grecs, les Romains, les théologiens du XIIIè, les Indiens d’Amazonie,les Japonais, les Maoris de Nouvelle Zélande, les Pygmées d’Afrique, tous sont capables de juger de la vérité d’une assertion du type « il y a du plein emploi dans le frigo» sur la base de la présence ou non de plein emploi dans le frigo. »
Pour trois raisons, au moins:
D’un part parce qu’il ne s’agit pas d’une universalité (il n’y a pas toujours X dans le frigo), mais d’une simple contingence (au fait, St Thomas?).
D’autre part, parce que l’appréciation exige non pas de se borner à un simple constat, du genre « il pleut », mais de se livrer à une analyse, ce qui est beaucoup plus compliqué (l’universalité des analyses est justement discutée, bien plus encore que l’universalité des constats).
Et de troisième part, parce que même un bête constat comme « il pleut » n’est pas unanimement partagé. Y a des bleds où il ne pleut pas: il neige, ou pas (2000 mots pour décrire la neige, aucun pour décrire la pluie).
Manque de bol, au moment où le vocabulaire de tel l’homme s’est formé, il gelait. Donc, pas de pluie, pas de constat simple à faire par rapport à un truc qui nous semble évident. Contingence…
Bref, vous êtes dans ce qu’on appelle froidement (c’est votre métaphore du frigo qui m’inspire) « le bon sens près de chez vous » au encore la vision autocentrée (je m’imagine l’univers à partir de ma pomme pour tirer une règle générale à partir de ma pomme: l’univers est une pomme. Apple).
3) Vous en arrivez logiquement à la trahison de la culture, ce contre quoi, précisément, vous luttez:
« Quand les Romains construisent un pont, leurs choix n’ont pas grand chose à voir avec leur croyance, réelle ou non, au Panthéon des dieux de l’Antiquité. »
Eeeh ben si. Même aujourd’hui, quand on construit un building à Kuala Lumpur on le fait bénir par le prêtre local.
Vous prenez les Romains pour des cons, oukoi?
Ils ont toujours fait gaffe à ce genre de trucs. Le nombre de poulets qui y ont laissé leurs tripes et incalculable. Et avant eux, les jeunes vierges.
Comme disait l’autre, « votre manque de foi me consterne » (Dark Vador à un officier de l’armée impériale).
4) Conscient de la chose, vous posez les bases d’une humilité de l’homme face à l’univers:
« Commune à l’humanité ne doit pas être traduit en « objective ». Car pour porter ce jugement, il faudrait que quelqu’un, qui ???, se trouve en position, où ???, de comparer, comment ???, cette logique commune et ce type de jugements de vérité avec le « Réel », whatever it means. »
As usual, Aristote1 contredit Aristote2.
Aristote1 donnait dans l’universalité. Aristote2 vient dire le contraire.
C’est, ici, le lien que vous établissez qui est intéressant: ce qui est commun n’est pas objectif. C’est le creuset de votre argumentation (c’est effectivement l’un des termes du problème).
Mais, ajoutez vous:
« pour exactement les mêmes raisons, [lesquelles, j’ai pas bien compris?] il est impossible de porter le jugement que cette logique, etc., est une pure construction sociale, dont l’arbitraire n’a rien à voir avec la réalité, au sens d’un donné que nous ne maîtrisons pas. »
La construction sociale étant elle-même une construction sociale, elle produit un sens non maîtrisable.
Parlez pour vous.
Il est certain que si vous fonctionnez avec des modes de pensée autocentrés et universalistes, la construction sociale ne pourra que produire une syntax error ou un non sens.
Ouh la vilaine!
Il est donc urgent de l’annexer à vos expériences métaphysiques.
5) Aussitôt dit, aussitôt fait. Verbatim:
« Les constructions sociales ne prennent consistance qu’au sein, à l’intérieur de ce monde partagé qu’on ne peut pas qualifier de construction sociale, c’est à partir de ce monde partagé qu’il est possible de qualifier un fait social de construction sociale. »
Ouf! Du moment que la construction sociale est contenue à l’intérieur d’un truc que je connais (le monde partagé) c’est bon, je respire. Putain, j’ai eu peur! Ca aurait pu faire mal ce truc!
Heureusement, la voilà rangée dans son tiroir.
Ah oui, c’est vrai, il manque l’énoncé d’une vérité universelle. Ou est-elle? Mais là, juste en dessous. Penchons-nous.
6) Après l’encapsulage, le verrou; Verbatim:
« Si on qualifie de construction sociale la physique comme pratique, alors son objet est aussi une construction sociale. Et ce qu’une construction sociale dit d’une construction sociale n’a pas une évidente légitimité pour remettre en cause la logique commune dans son application à la vie commune. »
Ah ben non, c’est sûr: vu comme ça, le concept de construction social n’a aucune légitimité pour remettre en cause la logique commune, ou autrement dit, l’ordre établi de votre pensée, puisque l’un est visiblement l’égal de l’autre.
Sans déconner, j’ai cru que c’était moi qui, en ayant un style de dialogue peut-être par nature trop intempestif, vous jetais dans les bras d’une vision du monde autocentrée et verrouillée.
Mais là, j’y suis pour rien: c’est mon premier com (sous cet article). Chuis clairement innocent.
Sinon, à part ça, je sens poindre comme un doute. Je vous trouve très relativiste au sens où, d’après ce que je comprends, pour vous, une vérité est relative en ce qu’elle prend son sens par relation avec une autre.
Une vérité, comme un char, ne se déplace jamais seule sur un champ de bataille.
Aristote3 a-t-il quelque chose à dire à ce sujet?
18 décembre 2012 at 01:45
@ Philarête,
Juste une remarque sur votre com 10
« Si nous devons un jour changer notre idée du cheval, ce sera en raison d’une découverte (non d’une invention sociale) concernant le cheval (on a longtemps cru que c’était un mammifère, en réalité c’est un marsupial).
En fait, les deux mon capitaine.
Il faut faire la découverte.
Et, il faut inventer la société qui va avec.
Ici, il s’agit de combattre la réalité « cheval »: un mammifère placentaire qui, en raison d’une découverte, changerait de catégorie (taxonomie).
Ce cheval nous le connaissons bien et force et de constater qu’il n’a pas de poche: il n’est donc pas un mammifère marsupial. Mettons qu’on en découvre une, comme ça, par hasard.
C’est une découverte (un fait matériel qui s’impose à nous dès lors qu’il est documenté).
Mais il y a aussi une autre façon d’envisager le changement de catégorie, sans découverte de ce genre.
en effet, la distinction mammifère marsupial/placentaire dépend d’une analyse de la stratégie reproductive: livrer un « bébé » grosso modo fini (placentaire) ou ne pas livrer un « bébé » fini, qu’il faut donc développer hors placenta, dans une poche.
Deux stratégies de développement, différentes. Ce qui permet donc de les classer en fonction de, mettons deux critères: présence ou non d’une poche chez la mère, livraison d’un « bébé » à un stade qui exige ou non que sa croissance soit poursuivie dans une poche qui n’est plus le ventre de la mère.
Mais… qu’est-ce que la croissance au juste?
Or, pour vous dire ce que je viens de dire, il faut pouvoir vivre dans une société où le concept de stratégie du vivant soit intelligible et donc, discutable.
Il faut donc inventer une société capable de classer le vivant, et accessoirement de fixer l’orthographe du mot correspondant à ce désir, qui se dit « taxonomie » ou » taxinomie » (les deux formes sont validées précisément au moment où la discipline « explose »).
Mais si le concept est discutable, alors il est possible d’y réfléchir et de se dire que, finalement, la présence d’une poche n’est qu’un topique et pas un critère et que si par ailleurs le « bébé » cheval ne correspond plus à l’idée qu’on se fait d’un « bébé » presque fini, alors il devient possible de le classer dans les marsupiaux.
Par exemple, un « bébé » cheval est-il une larve? Si on répond positivement à cette question, ce qui exige de revoir la définition de la larve, alors, on peut classer le cheval dans les marsupiaux.
Pour un problème comme celui que vous soulevez, voir la controverse née de la déclassification de Pluton en tant que planète. Cette controverse montre bien qu’il faut à la fois découvrir (non pas Pluton, mais d’autres corps célestes) et inventer la société qui va avec.
Les deux mon capitaine.
Donc, approche dualiste.
Si vous restez sur une approche moniste, vous arrivez logiquement à une dialectique: vous êtes obligé d’opposer votre découverte à une certitude, une conviction ou un dogme (ou l’inverse: opposer le dogme à la découverte, genre « et pourtant, elle tourne ») et, du coup, inventer la société qui va avec devient un enjeu « terrible ».
Un enjeu pour lequel on s’affronte. Des morts et des blessés partout. Wagner.
Si, d’emblée, vous partez d’une approche dualiste ou pluraliste, l’invention de la société qui va avec la découverte devient une œuvre créative: ce n’est plus un enjeu « terrible », ça devient un enjeu « fantastique ».
De la croissance économique, des brevets, etc. Berlioz.
Voilà, dirais-je, ce que nous apprend la taxonomie de « bébé » cheval, qui reste un mammifère placentaire (si je ne me trompe pas).
18 décembre 2012 at 07:43
@Aristote
Zut, je me suis encore fait bouffer un post dans le process :-(
Qui disait quoi ?…
Ben qu’en fait ne connaissant pas Rorty, je suis allé voir sur un site dont je ne vous donnerais pas le lien… vu que sinon ca va encore mal se passer et j’ai trouvé ceci:
Mais d’abord concernant le bon sens… Toute cette discussion portant un peu sur le fond et la forme m’a fait penser a Descartes à cause du discours de la méthode et du coup à sa premiere phrase:
» Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. »
Philarête: C’est la littérature qui nous sauve :-)
Pragmatism, Relativism, and Irrationalism
Richard Rorty
Proceedings and Addresses of the American Philosophical Association, Vol. 53, No. 6. (Aug.,
1980), pp. 717+719-738.
Je vous suggère d’aller y voir puisque Rorty réponds (en 1980) à la critique du pragmatisme (sa version du relativisme) fondé sur Orwell justement !
Admirez l’a propos:
When the pragmatist says
« We have to take truth and virtue as whatever emerges from
the conversation of Europe », the traditional philosopher wants
to know what is so special about Europe. Isn’t the pragmatist
saying, like the irrationalist, that we are in a privileged situation
simply by being us? Further, isn’t there something terribly
dangerous about the notion that truth can only be characteri-
zed as « the outcome of doing more of what we are doing now »?
What if the « we » is the Orwellian state? When tyrants employ
Lenin’s blood-curdling sense of « objective » to describe their
lies as « objectively true », what is t o prevent them from citing
Peirce in Lenin’s defense?
Et il poursuit:
The pragmatist’s first line of defense against this criticism
has been created by Habermas, who says that such a definition of truth works only for the outcome of undistorted conversation, and that the Orwellian state is the paradigm of distortion.
Ou finalement j’ai l’impression qu’entre Habermas et Popper (et du coup Rorty) il y a un « common ground » sur l’importance de la conversation et de l’éthique. Le discours et la méthode au fond.
Et Rorty adresse même une petite pique à Philarête et Conant:
The charge that pragmatism is « relativistic » is simply his first unthinking expression of disgust at a teaching which seems cynical about
our deepest hopes.
:-)
18 décembre 2012 at 09:18
@ tschok
J’ai fait 6 ans de latin et 5 ans de grec. Je les ai lu dans le texte. Oui, à l’évidence les Romains et les Grecs étaient capables de passer des jugements du type « il y a du beurre dans le frigo ». Je n’ai pas écrit « le jugement », mais « le type de jugement ». Le fait qu’il neige au lieu de pleuvoir est absolument non pertinent. Sur les poulets, avez-vous lu ma phrase sur la pratique de la sorcellerie en Afrique ?
Sur ce point, je vous renvoie au billet de Philarête sur Jean Bazin :
https://lescalier.wordpress.com/2012/05/31/la-planche-a-billets-est-en-panne-mais-ca-roule-quand-meme/
Par ailleurs, mon problème n’est pas de passer du constat à l’analyse de leur jugement ! Ce que je constate, c’est qu’ils agissent en fonction de tels jugements. Les ponts des Romains sont très solides et les cases des Pygmées tiennent assez bien.
Vous me fabriquez un « universel 1″ qui n’est pas le mien, je vous en laisse la responsabilité.
Je n’ai jamais écrit, de près ou de loin que » La construction sociale étant elle-même une construction sociale, elle produit un sens non maîtrisable. »
J’ai dit qu’il n’était pas possible de qualifier la logique commune de « construction sociale », sauf à partir de ce qui devient alors une pétition de principe, de l’idée que tout « fait » social est une construction sociale. Et que c’était à partir de cette logique commune que l’on pouvait construire le jugement que tel ou tel fait social est ou non une construction sociale et lui attribuer un sens.
Je ne suis pas fâché. Mais j’ai toujours beaucoup de mal à me reconnaître dans le miroir que vous me tendez. Est-ce ma vision, est votre miroir ?
18 décembre 2012 at 09:58
@ khazan
Il me semble que l’existence même de ce blog montre bien que personne ici ne met en doute l’intérêt et la valeur de la conversation.
Le problème d’Habermas, c’est la régression à l’infini. Car comment juger qu’une conversation est « undistorted », sinon à partir d’une conversation première elle-même « undistorted » ?
Moi, j’admets qu’il y a une logique commune (pas le bon sens si par bon sens vous entendez jugement non réfléchi) à l’humanité, que cette logique est le fondement de la capacité qu’ont les personnes humaines à entrer dans une conversation, et que c’est une donnée, nous n’en avons pas la maîtrise. Je ne rentre pas dans le débat sur l’origine réciproque de cette logique et de la communauté humaine, c’est l’oeuf et la poule. Mais la poule ne maîtrise pas l’oeuf.
Cela laisse un champ très ouvert pour la discussion de ce qui, parmi les faits sociaux, relève ou non d’une « construction sociale ». Je ne nie pas par principe l’existence de constructions sociales, même si je doute que ce type de description puisse épuiser le sens des faits sociaux qu’il permet d’appréhender utilement par ailleurs.
19 décembre 2012 at 02:05
@ Aristote, com53,
Mon problème est beaucoup plus basique: je n’arrive à comprendre ce que vous dites qu’en dissociant des plans.
J’ai tout simplement un problème de décryptage. Je vous explique:
Dans l’énoncé « La logique de base, le jugement de vérité au sens d’Orwell, sont communs à l’humanité depuis les temps les plus reculés », un élément A= logique de base, jugement de vérité au sens Orwellien est considéré comme commun à un ensemble B= l’humanité, et cela de façon suffisamment longue (depuis les temps les plus reculées) pour qu’on puisse attribuer à ce fait affirmé comme vrai un caractère permanent.
Dire qu’un élément A est commun à l’humanité de façon permanente, c’est non seulement postuler le vrai (A est commun à B) mais encore prêter à cette assertion un caractère universel et intemporel. Dit en plus court, cela revient à énoncer une universalité.
Mis à part le fait qu’en agissant ainsi vous prenez le risque de généraliser à l’ensemble de l’humanité une conviction qui n’est que personnelle, je ne vois aucun inconvénient au fait que vous préfériez produire de l’universalité plutôt qu’émettre une hypothèse, ce qui serait plus prudent, vu le peu qu’on sait de l’humanité depuis « les temps les plus reculés ».
(comptez quand même dans les 200.000 ans d’histoire, c’est pas rien)
Votre com 44 se poursuit jusqu’au moment où vous dites:
« Commune à l’humanité ne doit pas être traduit en « objective ». Car pour porter ce jugement, il faudrait que quelqu’un, qui ???, se trouve en position, où ???, de comparer, comment ???, cette logique commune et ce type de jugements de vérité avec le « Réel », whatever it means. »
Arf! Là je me dis – pardonnez l’expression – merde! Voilà une vérité universelle qui n’est pas objective.
Elle est donc subjective. Or le subjectif n’est par définition pas très universel.
Pour vous comprendre, enfin essayer, je suis donc contraint de dissocier deux plans: Aristote1 (universalité de la logique commune et du jugement de vérité) et Aristote2 (subjectivité de la logique commune et du jugement de vérité), les deux propositions étant énoncées simultanément, de façon non dialectique.
Cela ne me dérange pas plus que ça: je ressors le chat de Schrödinger et je me dis que c’est pas grave, qu’il faut avoir une pensée plurielle, capable de comprendre deux réalités opposées coexistant simultanément.
Du reste, le concept n’est pas dépourvu d’intérêt: l’universalité subjective est un oxymore d’autant plus intéressant qu’il traduit parfaitement votre logique, puisque vous universalisez votre subjectivité.
Mais, après tout, vous avez votre logique.
En l’espèce (votre com 44) votre logique essayait de construire une sorte de poupée gigogne opposant d’une part un contenant, que vous appelé le « monde partagé », où la logique commune et le jugement de vérité, pour reprendre vos expressions, trouvent à s’appliquer, et d’autre part un contenu, les constructions sociales, qui ne trouvent leur sens qu’à partir de ce contenant.
C’est une construction du type: le contenu trouve son sens par l’intermédiation de son contenant.
Ca donne:
« Les constructions sociales ne prennent consistance qu’au sein, à l’intérieur de ce monde partagé qu’on ne peut pas qualifier de construction sociale, c’est à partir de ce monde partagé qu’il est possible de qualifier un fait social de construction sociale. »
Ici, on sent bien que votre vision subordonne la construction sociale à un ordre supérieur, quasi métaphysique, ou en tout cas à la frontière du physique et du métaphysique.
Voilà à peu près ce que je comprends en fin de course.
Notez bien que je ne veux vous tendre aucun miroir, je veux juste essayer de vous faire comprendre à quel point il est difficile de suivre une logique qui se situe en permanence sur deux plans contraires, c’est à dire, que je veux égoïstement vous faire part de mes problèmes, pas des vôtres.
Vous n’avez d’ailleurs visiblement aucun problème.
Maintenant que je vous ai décrit les trous de souris par lesquels vous me faites passer pour essayer de vous comprendre, voyez-vous l’intérêt de ma dernière interrogation?
Wikipédia définit le relativisme comme « un ensemble de doctrines variées qui ont pour point commun de défendre la thèse selon laquelle le sens et la valeur des croyances et des comportements humains n’ont pas de références absolues qui seraient transcendantes ».
Je fais l’hypothèse que cette définition est fidèle au corpus doctrinaire en question.
Néanmoins, existe-t-il d’autres formes de relativisme, notamment un relativisme qui fonctionnerait plus par mise en relation?
Ce qui donnerait: une vérité est relative, indépendamment de son caractère absolu ou transcendantal, en ce qu’elle prend son sens par relation avec une autre. Sa mise en réseau, si vous préférez. Mais avec les conséquences que cela implique: la relativisation d’une vérité par rapport à une autre en fonction du contexte.
Ce qui pose une question: les grandes vérités sont-elles seules?
L’humanité vit-elle avec une collections de grandes vérités uniques et transcendantes, sur chaque sujet donné, comme par exemple le mariage (grande vérité unique: le mariage = un homme + une femme), chacune de ces grandes vérités ne concernant qu’un champ bien précis, ou bien chaque champ de l’activité humaine est-il en réalité concerné par une multitude de grandes vérités?
C’est là que j’ai pris la métaphore du char sur le champ de bataille: une vérité ne se déplace jamais seule (car une vérité se déplace).
Et je vous demande votre avis, car il m’a semblé que sous certains aspects, vous aviez tendance à être relatif dans ce sens là.
Bizarrement, à partir du moment où le caractère transcendantal ou absolu d’une idée à laquelle vous tenez n’est pas discutable à vos yeux, et forme ainsi une vérité, vous n’êtes absolument pas gêné par le fait qu’il y en ai plusieurs, y-compris si elles sont contraires.
J’espère que chuis à peu près clair.
19 décembre 2012 at 14:52
à tschok,
La définition que vous donnez du relativisme, tirée de wikipédia, me paraît beaucoup trop large.
Pour ma part, quand je parle de « relativisme », j’entends la fameuse thèse de Protagoras discutée dans Théétète de Platon : » l’homme est mesure de toute chose » et critiquée dans la Métaphysique d’Aristote, Livre Gamma : « l’être et le non être, le vrai et le faux, sont relatifs à chacun ».
Le relativisme culturel élargit cette relativité de l’individu à une culture particulière.
Mais nul besoin de faire intervenir le concept de « transcendance » pour définir le relativisme, sinon on intègre dans le relativisme une foule de philosophie de la connaissance, comme le criticisme de Kant et ses dérivés, qui ne sont pas des « relativismes » à proprement parler.
19 décembre 2012 at 15:56
@ Physdémon,
je suis d’accord avec vous, en ce sens que j’ai un réel problème de vocabulaire: je ne sais pas de quoi on parle.
Je remarque d’ailleurs que la définition du relativisme donné par Wikipédia était, avant de subir une énième modification, plus simple et plus générale encore. Je vous la fais à la hache: la pensée relativiste est tout ce qui conteste les absolus.
Avec ça, on est bien avancé…
J’ai l’impression que le relativisme, comme l’individualisme ou le libéralisme, joue le rôle du placard à balais au fond du couloir où on fout en pagaille tout ce dont on ne sait quoi faire.
La case « divers » dans les formulaires.
Maintenant, et là je crois que je diverge un peu par rapport à vous, cela n’empêche pas de faire l’inventaire des « absolus » fréquemment employés. J’en ai répertorié quatre:
– Les transcendances,
– Les immanences
– Les universalités,
– Les théories de l’essence.
Il y en a peut être plus.
Chacune opère sur des plans distincts:
– Transcendances et immanences opèrent sur un terrain métaphysique, l’une disant que la vérité vient d’en haut, l’autre disant qu’elle vient de ce qui est, les deux faisant appel au concept de Révélation (ce monde est habité par une force créatrice qui ne nous a pas abandonné, mais qui montre sa présence par des actes indirects venant d’en haut, les miracles, ou des choses elle-même, traduisant par leur simple existence un ordre voulu des choses et de l’univers);
– Les universalités opèrent sur le terrain du vrai et du juste: la morale. Quand on universalise, on souhaite un monde vrai et juste. On proclame une vérité à laquelle on tient. Par exemple, les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, dit la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen;
– Les théories de l’essence opèrent sur le terrain de la logique. Elles veulent tirer d’une essence des choses et de l’être une preuve de ce qui est soutenu. On est dans l’ontologie comme logique du « être ».
Toutes ont un plus petit dénominateur commun: une force structurante obligatoire, d’où leur utilisation dans les discours de conviction.
Tout cela pour vous dire que je me demande pourquoi on invoque des forces structurantes dont on sait qu’elles comportent des effets obligatoires (elles ont été conçues pour) alors que sur un blog de philo on est plutôt dans la recherche expérimentale.
Or il m’a semblé que, comme d’habitude, cet article de Philarête, se voulait bien plus expérimental que de conviction.
Je suis, comme dirait un radar qui subit un brouillage, s’il pouvait parler, en décalage de phase.
19 décembre 2012 at 18:01
@ tschok
Depuis quelque temps, je me demandais pourquoi votre ton virulent à mon égard. Je ne le prenais pas sur un plan personnel, nous ne nous sommes jamais croisés. Et pourquoi cette référence répétée à Aristote 1 (où je ne me suis guère reconnu) et à Aristote 2 ?
J’ai formulé l’hypothèse suivante.
Il n’est pas facile d’exprimer positivement une adhésion au relativisme. Comment échapper aux pièges de formulations telles que : « il est vrai, vraiment vrai, hier, aujourd’hui et demain et en tous lieux qu’il n’y a pas de vérité vraie hier, aujourd’hui et demain et en tous lieux » ?
Il y a peut-être une solution : démontrer l’absurdité de toutes les autres thèses et s’arrêter là. Quand bien même on serait prêt à se satisfaire d’une telle solution, encore faudrait-il qu’elle soit possible.
L’inférence que vous essayez de défendre est de la forme suivante : un animal ne peut être qu’une licorne ou un cheval, les licornes n’existent pas, donc tous les animaux sont des chevaux. Les chevaux, ce sont les doctrines relativistes, les licornes toutes les autres positions que vous assimilez de gré ou de force à des variantes de l’adhésion aux essences platoniciennes. On connaissait la reductio ad hitlerum, nous voilà avec la reductio ad platonem.
Comme Rorty qui lit Orwell avec ses lunettes de croisé de l’antiréalisme, vous me lisez avec vos lunettes de croisé du relativisme.
Vous voyez bien que plusieurs des assertions d’Aristote sont difficilement réductibles à un platonisme débridé, et vous l’appelez Aristote 2. Mais cet Aristote 2 vous dérange car il ne se range pas sous la bannière du relativisme, ce qui complique votre stratégie d’ensemble de reductio ad platonem de tous les opposants au relativisme. Il vous faut donc impérativement inventer un Aristote 1 platonicien et mettre le nez d’Aristote (3 ?) dans ses contradictions.
Mais non. Asserter qu’il y a une logique commune à tous les humains n’est pas asserter une « vérité » universelle et intemporelle. Le genre humain n’est pas l’univers et il a une histoire (200 000 ans, certains disent plutôt 50 à 70 000, mais ce n’est pas le sujet). J’ai plusieurs fois dans mes commentaires indiqué qu’il pouvait bien y avoir coévolution entre le genre humain et cette logique commune, qu’il était vain de chercher à répondre à la question de savoir si le genre humain avait précédé cette logique ou si à l’inverse, thèse qui là serait platonicienne, une sorte de contrainte inhérente à la logique avait « informé » le genre humain.
Une logique commune peut ne pas être objective au sens platonicien sans être subjective au sens des relativistes. Je confesse n’avoir pas ici le courage d’écrire un traité et je vous renvoie à Vincent Descombes et notamment son ouvrage « La denrée mentale ».
Je vous le concède bien volontiers : sur la base de quels critères dater l’apparition des premiers hommes, ce qui supposerait par ailleurs un accord sur la définition de l’homme ?
Idem pour la logique. Mais cette obscurité, appelée à durer, ne rend pas absurde en tant que telle la thèse de l’existence d’une logique commune à l’humanité.
Et je défends cette thèse parce que je ne vois pas comment on peut sans elle rendre compte de la conversation entre les personnes humaines. On peut si l’on veut défendre l’idée, un peu extrême malgré tout, que cette conversation est une illusion. Mais alors quid du consensus cher aux relativistes ?
Je n’essaie pas de vous convaincre que j’ai raison de défendre cette thèse. Ce que j’essaie de vous dire, et je comprends que vous n’aimiez pas, c’est qu’une position qui ne se résout pas au relativisme n’est pas nécessairement réductible au « platonisme ».
19 décembre 2012 at 20:41
@ Aristote,
Alors, pourquoi convoquer les universalités?
Puisque c’est bien ce que vous faites dans la forme de votre expression, à défaut de le faire dans le fond de votre pensée?
Si votre pensée est aussi agile, pourquoi prononcer des phrases genre: « De tout temps les hommes ont… »
Ou bien alors, votre expression est moins agile que votre pensée?
Faut sortir les spatules pour vous faire accoucher, quoi.
Bon.
Courage (à moi-même)!
Aristote3 dit:
« Une logique commune peut ne pas être objective au sens platonicien sans être subjective au sens des relativistes. Je confesse n’avoir pas ici le courage d’écrire un traité et je vous renvoie à Vincent Descombes et notamment son ouvrage « La denrée mentale ». »
Vincent Descombes est par conséquent à explorer (arf!).
(z’auriez pu faire un résumé!)
Work in progress…
PS: this fantastic aventure humaine is to be continued.
PS2: putain, moi aussi j’aimerais avoir des tschok de rechange, c’est vachement pratique!
20 décembre 2012 at 00:23
@Aristote (et aussi Physdémon)
Bon là je crains qu’on atteigne le point ou la conversation va prendre le genre de tour qui m’intéresse moins.
@Aristote:
« Il me semble que l’existence même de ce blog montre bien que personne ici ne met en doute l’intérêt et la valeur de la conversation. »
-> Et ?! je me demande ce qui dans mon propos a pu vous faire penser que, moi, je remettais en cause etc… et récursivement.
« Comme Rorty qui lit Orwell avec ses lunettes de croisé de l’antiréalisme, vous me lisez avec vos lunettes de croisé du relativisme. »
-> J’ai du louper un de vos commentaire… mais j’ai beau vérifier… non. Du coup je laisse tomber, ne m’en veuillez pas.
@Tschok et Physdémon
« je suis d’accord avec vous, en ce sens que j’ai un réel problème de vocabulaire: je ne sais pas de quoi on parle. »
-> J’avoue je commence aussi à être un peu perdu (mais n’étant pas prof de philo c’est sans doutes normal).
@Tschok
J’aime bien votre déconstruction du cheval :-) et j’attends avec impatience le futur billet de Philarête sur les gender studies. Ca promet.
Peut être que cette citation tiré d’une interview de Descombes vous aidera un peu. Au passage, je n’avais jamais entendu parler de Descombes avant qu’Aristote n’en fasse mention. (Et si qqun peut m’éclairer sur dernière partie de la dernière phrase… ça m’intéresse assez. J’ai l’impression de comprendre l’idée… mais que l’ensemble n’est pas complètement cohérent. Mais Descombe est admiré pour la subtilité de sa pensée et pas moi… c’est probablement moi qui ne comprends rien):
Premièrement : est-ce que le relativisme est la maladie philosophique par excellence ? En classe de philosophie, qu’entend-on ? Le professeur met en scène Socrate contre les sophistes, c’est-à-dire contre les relativistes. Beaucoup de philosophes, ou de professeurs de philosophie, auraient besoin d’être un peu plus relativistes ! Ce n’est pas le relativisme qui les menace…
Deuxième point : si la résistance au relativisme signifie qu’il faut être aveugle à la diversité des situations et des possibilités humaines, alors rejeter le relativisme est absurde, puisque, comme il faudra bien reconnaître malgré tout cette diversité, nous finirons par être des relativistes honteux. C’est pour cela que le vrai problème philosophique est celui de montrer en quoi ce que nous cherchons sous le nom d’universel n’exige pas l’abolition de la diversité – par exemple par un schéma évolutionniste, ou une forme de réduction de ces diversités à autant d’erreurs dont nous serions finalement sortis par le progrès.
Bonne nuit !
20 décembre 2012 at 08:53
@ khazan
« L’existence de ce blog, etc… » se voulait un commentaire qui approuvait votre remarque sur l’importance de la conversation…
Désolé que vous l’ayez pris à l’envers. ;-)
» Comme Rorty lit, etc… »
L’intitulé de ce commentaire 58 est : @ tschok. Normal que vous ne vous sentiez pas concerné. En fait, j’avais pensé conclure ma réponse à tschok en remarquant que je n’avais pas ce genre de problème avec khazan, dont je n’avais jamais perçu que son argumentation tendait à réduire ses interlocuteurs en réincarnations de Platon. Puis je me suis dit que cela pourrait donner l’impression que je cherchais à « diviser » tschok et khazan et que c’était un procédé peu civil. Je ne l’ai donc pas fait.
La déconstruction du cheval.
Bel exercice, mais qui ne répond pas à la question. Que l’on puisse, ou non, déconstruire « localement » un concept que l’on a isolé au sein d’un langage qu’on suppose par ailleurs fonctionner « normalement » est une question de fait, pas de principe.
Le problème, c’est l’assertion : » tout peut être déconstruit, rien n’échappe à l’acide ». Comment le dire sans en même temps déconstruire le concept même de déconstruction ?
Je comprends ainsi la citation de Descombes :
Il a, avant cette citation, argumenté d’une façon ou d’une autre que les pratiques des hommes, et notamment celle de la conversation, sont incompréhensibles si on se refuse à toute idée d’universel.
Mais il ne prétend pas avoir dans sa poche un « universel » évident et ne veut pas se battre sur le nom. C’est pourquoi il écrit : « ce que nous cherchons sous le nom d’universel ».
Et cette recherche doit prendre en compte qu’il y a par ailleurs une diversité effective des situations humaines qui peut éventuellement être encadrée (tout n’est pas possible) mais ne peut être niée par principe.
Descombes a écrit, à la demande d’un éditeur anglais qui voulait un ouvrage introduisant la philosophie française d’après guerre aux lecteurs anglais, un livre dont il a choisi pour titre « Le Même et l’autre. Quarante-cinq ans de philosophie française ».
Ce thème est récurrent chez Descombes. Comment faire droit à la fois à l’universel, au « même », sans lequel on ne comprend pas l’existence d’une société humaine où existe la pratique du langage, et à la diversité, « l’autre », sans laquelle il n’y a pas de locuteurs pour entrer dans la conversation.
C’est un penseur subtil mais qui écrit dans un style très accessible, souvent drôle, et nourri de références littéraires. Aristote, le Stagirite, est souvent cité. :-)
21 décembre 2012 at 07:56
@Aristote
Je suis désolé mais j’ai un peu de mal à trouver du temps en ce moment.
Pour vous répondre rapidement:
La deconstruction: il faudrait en parler plus longuement. Ce n’est pas forcément le lieu et peut être qu’un prochain billet de Philarête nous donnera cette occasion.
Pour Descombes, rassurez vous, j’ai bien aimé ce que j’en ai lu rapidement.
C’est ma difficulté (…en quelque sorte… avec vous). Je pense que notre vision des choses n’est pas si éloignée que ça, mais que (de façon amusante) nous en arrivons à des prises de positions radicalement différentes.
Ce qui m’intéresse dans la citation de Descombes c’est (en résumé)
– Le relativisme c’est pas le mal
– Il faut bien l’être (au moins un peu)
– J’y vois une sorte de position à la Popper sur la conversation éthique.
Ce qui m’embête c’est la dernière phrase:
On ne peut pas nier le pluralisme mais il nous faut quand même viser à l’universalité (OK… pourquoi pas… mais aussi pourquoi?). Ma question à moi est plutôt: peut on y arriver ? Donc Descombes précise sa pensée et c’est là que pour moi ca dérape un poil:
« une forme de réduction de ces diversités à autant d’erreurs dont nous serions sorti… »
Parce que la question n’est pas tant de savoir si on peut écarter des théories fausses… mais plutôt si, ce faisant, on fini par (réduction) n’en conserver qu’une qui deviendrait alors cet « universel » que nous cherchons.
Il y a la pour moi un problème: La pluralité serait une sorte d’état primitif que le progrès permettrait de résoudre en écartant l’une après l’autre toute les idées fausses. C’est assez Popperien, ne trouvez vous pas ?
J’ai l’impression que lui aussi fait un peu le grand écart pour réconcilier tous le monde. Ne risque t-il pas de terminer aussi désabusé que semble l’avoir été Popper ?
Note à moi même: faut que je me trouve une biographie de Popper :-)
21 décembre 2012 at 12:24
@ khazan
Si vous trouvez une bonne biographie de Popper, je suis preneur de la référence. C’est par lui que j’ai commencé mon errance philosophique…On peut faire pire.
« ou une forme de réduction de ces diversités à autant d’erreurs dont nous serions finalement sortis par le progrès. »
Là, j’aimerais avoir le commentaire de Descombes lui-même !
Parce que réduire les diversités à des erreurs, est-ce vraiment ne pas abolir la diversité, pour reprendre l’exigence de Descombes ?
21 décembre 2012 at 18:42
@ Khazan,
Content que vous ayez apprécié la déconstruction du cheval.
Effectivement, le croisé à lunette, c’était pour ma pomme. Mon portrait robot: je tends des miroirs, je porte des lunettes, je suis relativiste et je pars en croisade (selon une autre opinion, celle de Physdémon, il est possible que je sois nominaliste, aussi). Si vous rencontrez un type qui correspond à ce signalement, ben c’est moi.
Sinon, j’explore doucement Descombes. Alors, pour l’instant j’ai rien à dire.
@ Aristote,
Je vous cite: « Bel exercice, mais qui ne répond pas à la question. Que l’on puisse, ou non, déconstruire « localement » un concept que l’on a isolé au sein d’un langage qu’on suppose par ailleurs fonctionner « normalement » est une question de fait, pas de principe. »
Les deux mon capitaine (c’est du fait et du principe)
Bon, en fait, c’est ce que je répondais déjà à Philarête en com 10, qui lui-même répondait à Bashô en com 6.
Philarête expliquait plusieurs choses, dont l’une était assez importante:
« Il ne s’agit pas (dans ce billet, ni dans le livre dont je parle) de «vérité abstraite». Il ne s’agit pas de thèses ni de valeurs. Il ne s’agit pas non plus d’institutions, de « vérités officielles », ni des croyances majoritaires. Il n’est pas question d’un quelconque « système du monde », d’une « vision du monde » érigée en « vérité » et permettant de traquer les hérétiques.
Il s’agit de la vérité en tant qu’elle est impliquée dans nos pratiques sociales les plus ordinaires, en tant qu’il est impossible de concevoir une vie sociale quelconque sans présupposer qu’on peut faire confiance à l’observation, au souvenir, sans présupposer qu’il existe des faits, que le monde existe indépendamment de ce que nous en pensons, que la réponse « oui » ou « non » permet de distinguer entre l’erreur et la vérité, ou entre le mensonge et la véracité. »
D’où il tirait que sa pensée pouvait se résumer, sur deux plans distincts, celui des constructions sociales et celui du régime politique d’une certaine façon qu’il a détaillée (sous deux paragraphes distincts).
Dans le 1) il a dit:
« En revanche, le cheval est une espèce naturelle, et non une construction sociale. Si nous devons un jour changer notre idée du cheval, ce sera en raison d’une découverte (non d’une invention sociale) concernant le cheval (on a longtemps cru que c’était un mammifère, en réalité c’est un marsupial). »
Ce à quoi je lui ai répondu: les deux mon capitaine.
A la fois une découverte (donc un fait en soi ou la découverte d’un fait) et une invention sociale (donc un processus complexe d’élaboration de principes, entre autres).
Et je vous re-réponds « les deux mon capitaines ».
Le processus de déconstruction (ici il s’agit d’une déclassification du cheval dans la taxonomie) joue sur deux plans, non par coquetterie, mais parce que tout objet a au moins deux plans.
Un plan réel: la vérité du cheval en ce bas monde, qui atteste qu’il n’a pas de poche et n’est donc pas un marsupial. Philarête se situait uniquement sur ce plan, appliquant fidèlement sa volonté de départ qui était de se situer dans le cadre des vérités ordinaires. Il avait donc une approche moniste qui excluait – volontairement dans son discours – un second plan.
Le plan des constructions sociales: si je mets le mot « cheval » à côté des mots « chasse à courre », « tiercé », « western », « Moyen-Age », « chevalerie », etc, je fais normalement naître en vous ce qu’on appelle des représentations mentales qui, en fait, s’inscrivent dans des constructions sociales qui contribuent à leur leur donner un sens, parce qu’elles ont été investies par le langage.
Les mots « chasse à courre » renvoient par exemple à une organisation aristocratique de l’espace rurale qui réservait la chasse de certains gibiers à une catégorie précise de personnes.
je vous réponds donc: non, la déconstruction d’un « concept – d’ailleurs, le cheval n’est pas qu’un concept, il est aussi une réalité – n’est pas qu’une question de fait, dans le fonctionnement normal du langage. Elle nécessite une autre opération, qui n’est pas la simple appréhension intellectuelle du fait, mais son insertion dans une pensée de l’univers.
En revanche, dans le fonctionnement « anormal » du langage, la déconstruction d’un concept peut être une pure question de fait: il suffit que Dali « fasse » une montre molle (qu’il la peigne en pratique) pour déconstruire le concept de montre.
L’insertion de cette montre molle dans un univers pensé, on s’en fout, du moins au stade de la création de l’œuvre.
L’insertion de cette déconstruction dans notre pensée de l’univers peut être réalisée par l’artiste lui-même, mais plus probablement par les historiens de l’art, les critiques artistiques, les collectionneurs ou les simples amateurs.
Mais nous reprenons là une querelle désormais habituelle: pour vous tout le monde est capable de voir qu’il y a du beurre dans le frigo et d’en tirer une même compréhension.
Et je vous réponds: l’universalité de cette affirmation est discutable car l’insertion du constat, ou de ce que vous avez appelé le « jugement il y a du beurre dans le frigo » dans la pensée de l’univers de l’observateur passe par des truchements qui ne sont pas universellement partagés.
C’est bête à dire, mais là où vous voyez une forêt, le Pygmée voit la même forêt, mais autrement.
De même, l’ordre social des Pygmées offre une place à l’ibogaïne, qui est liée à des rites sacrés, alors qu’en France l’usage de cette substance stupéfiante vous conduit directement en correctionnelle. Voilà un exemple d’insertions différentes d’une même réalité chimique objective dans deux pensées de l’univers: pour un Français comme pour un Pygmée, l’ibogaïne est une substance stupéfiante (réalité objective) mais son insertion dans la pensée de l’univers telle qu’elle est conçue par un Français renvoie vers un interdit, alors que son insertion dans la pensée de l’univers telle qu’un Pygmée la conçoit renvoie vers le sacré.
D’où l’intérêt de distinguer les deux plans et pas seulement fonctionner en mode moniste en se disant que c’est plus ou moins universel.
Pourquoi?
Parce qu’en pratique, raisonner sur un mode moniste incite à faire des constructionsintellectuelles en poupée gigogne, comme:
« Les constructions sociales ne prennent consistance qu’au sein, à l’intérieur de ce monde partagé qu’on ne peut pas qualifier de construction sociale, c’est à partir de ce monde partagé qu’il est possible de qualifier un fait social de construction sociale. »
Dixit votre majesté.
Et vous savez où ça mène les constructions en poupée gigogne? Alleeeez me dites pas que vous ne le savez pas?!
Au problème de la poule et de l’oeuf…
l’impasse, quoi.
21 décembre 2012 at 19:44
@Aristote
« Là, j’aimerais avoir le commentaire de Descombes lui-même !
Parce que réduire les diversités à des erreurs, est-ce vraiment ne pas abolir la diversité, pour reprendre l’exigence de Descombes ? »
Tout à fait… c’est bien pour cette raison que j’affichais mon incompréhension sur cette partie là de sa réponse… je vois que nous sommes maintenant deux à être perplexe.
@Tschok
You’re welcome….
Vous devriez faire comme moi et attendre le billet de Philarête sur les gender studies… Parce que ca lui met la pression :-)
@Tschok et Aristote
Sur la déconstruction… puisqu’il le faut bien:
1/ Le problème, c’est l’assertion : » tout peut être déconstruit, rien n’échappe à l’acide ». Comment le dire sans en même temps déconstruire le concept même de déconstruction ?
2/ « Les constructions sociales ne prennent consistance qu’au sein, à l’intérieur de ce monde partagé qu’on ne peut pas qualifier de construction sociale, c’est à partir de ce monde partagé qu’il est possible de qualifier un fait social de construction sociale. »
Je répondrais au 1/
:-)
Rien n’échappe à l’acide.
Sauf l’acide.
Rien de contradictoire ici.
La déconstruction échappe à la déconstruction de la même façon que l’acide ne se détruit pas lui même.
C’est le problème lié à la fluctuation quantique du vide :-)
21 décembre 2012 at 22:55
@ tschok
Avant l’arrivée des Européens, les Indiens d’Amérique n’avait jamais vu un cheval. On peut donc dire qu’ils étaient incapables d’asserter « il y a un cheval dans la prairie ». Ils n’ont pas mis bien longtemps à apprendre, non seulement à asserter la présence ou non d’un cheval, mais à les monter, etc.
Votre exemple taxinomique me paraît assez éloigné de l’usage commun d’une langue. Il s’inscrit dans une démarche scientifique dont on sait qu’elle conduit nécessairement à « réduire » ses objets pour pouvoir créer des classes d’observables. Et la pertinence des différentes classifications possibles se mesure à la fécondité des hypothèses, elles n’ont aucune prétention « métaphysique ».
Le concept de « représentation mentale » est discutable. On raconte que dans les années 50, une lady avait assisté à une grande conférence sur les progrès de la connaissance du cerveau et des mécanismes de la vision, à laquelle assistait Russell. Très excitée, elle va le voir à la fin et lui dit : « j’ai tout compris, la vision c’est une télévision dans le cerveau ». Russell était un athée convaincu et pourtant, Il lui aurait répondu : » but then, who is watching the TV ? »
J’ai lu quelques livres sur la « philosophie de l’esprit ». La bataille y fait rage entre tenants et adversaires des « représentations mentales ». Ce n’est pas anodin dans notre discussion. Voir ci-dessous ma discussion de l’exemple, intéressant, de l’ibogaïne, où il me semble que la « représentation mentale » de cette substance en France et chez les Pygmées n’est pas le problème.
La planète ne me pose aucun problème. Pas plus que la difficulté à décider si un homme est chauve ou non. Il y a des cas limites, la belle affaire.
Le Pygmée voit la forêt de façon différente. Peut-être. Mais pour le dire, quelqu’un doit être en mesure de voir la forêt telle qu’Aristote la voit et de la voir aussi comme un Pygmée la voit, et enfin d’asserter cette différence. Retour à l’universel. Sinon, on est dans la pure pétition de principe, et on termine dans le solipsisme. Parce que, à ce compte-là, tschok et Aristote ne voient pas la même forêt de la même façon, forêt dont ils sont par ailleurs en train de causer, par quel miracle on se demande bien.
Ce qui nous amène à l’exemple de l’ibogaîne, le plus intéressant. Mais la vraie question me semble être la suivante : est-il possible à un Français de comprendre l’usage de cette substance dans la société des Pygmées et à un Pygmée de comprendre son usage ou non usage dans la société française ? tschok le peut, manifestement. Ma thèse est que cette capacité est partagée par toutes les personnes humaines de bonne volonté, au bout d’explications qui peuvent être longues.
Je n’ai pas nécessairement de problème avec l’oeuf et la poule. Ce qui m’intéresse dans le « mécanisme » de l’oeuf et la poule, c’est que l’on a un système qui évolue, la théorie de l’évolution l’atteste, mais dont aucune des deux parties, que ce soit l’oeuf ou la poule, ne peut prétendre prendre le contrôle. L’assemblée des poules peut décréter que demain les poules mettront en commun leurs ressources en vers, ce qui aura probablement un effet, positif ou négatif, sur l’avenir de la communauté des poules. mais elle ne peut décréter que demain les oeufs seront carrés.
Avec cette métaphore, j’admets que l’universel partagé par la société des hommes n’est pas intemporel. Mais du fait de la relation de dépendance réciproque entre les deux, cette historicité ne fonde pas les hommes à nier la dimension d’engendrement à leur égard de cet « universel » et à en disposer à leur caprice.
21 décembre 2012 at 23:02
@ khazan
L’acide ne dissout pas l’acide. Dont acte. Mais alors vous avez un invariant. Les relativistes n’aiment pas trop les invariants. :-)
Quant au vide quantique, quelques mauvais esprits pensent qu’il est aussi bourré que Depardieu !
22 décembre 2012 at 04:57
@ Aristote,
Les scientifiques ne sont pas des curés, tout de même. Confondez pas.
Bon, allez, bonnes fêtes!
Ilénééééledivinenfant, etc.
PS: sur l’ibo, je me charge de leur expliquer. Ils vont comprendre.
Yahouuuuu!
PS2: sur les représentations mentales, oui, je sais ça fait un choc. On se croit unique, et on découvre qu’on a les mêmes.
PS3: quoi, le mécanisme de l’œuf et de la poule vous intéresse?! Bon, à la base, c’est sexuel.
On pourra se mater un porno si vous voulez, mais je préfèrerais qu’on commence par un truc plus simple: un match de foot.
Vous comprenez, les voisins.
22 décembre 2012 at 12:25
@ tschok
Je crois que vous avez besoin d’un peu de repos. Les nuits sont longues, profitez-en !
23 décembre 2012 at 18:49
@ khazan #60
Je reviens un peu dans le débat… En commençant par la citation de Descombes (et, au passage, merci de m’avoir donné l’occasion de découvrir cet entretien, qu’on peut lire ICI).
Je recopie le texte litigieux pour plus de clarté :
Ce qui vient après « par exemple », ce sont deux manières d’abolir la diversité au nom de l’universel — donc deux exemples de fausse réconciliation, où la «diversité» n’est maintenue qu’en apparence. Donc deux manières que Descombes estiment insatisfaisantes, illusoires. Il s’agit d’ailleurs de deux variantes assez proches l’une de l’autre.
1°) Le schéma évolutionniste : il s’agit de l’évolutionnisme sociologique, disons à la Spencer. L’idée est alors que la diversité des cultures humaines s’explique par un processus continu d’évolution, sur le modèle (classique) des «âges de l’humanité». Dans ce modèle, notre culture occidentale représente le point le plus avancé de l’évolution humaine, et les autres cultures — qui sont peut-être contemporaines de la nôtre — représentent des stades moins avancés (peuples restés dans l’enfance, etc.).
2°) La philosophie du progrès : historiquement antérieure à l’évolutionnisme (mais encore bien présente aujourd’hui, par exemple dans certains discours philosophiques sur la modernité), c’est l’idée que la diversité des cultures s’explique au fond par la plus ou moins grande force des « préjugés ». L’homme des Lumières a tendance à penser qu’il s’est, lui, affranchi des préjugés (qu’il « pense par lui-même »), tandis que l’homme de l’Ancien Régime ne fait que reproduire le discours inculqué par les prêtres et les princes.
Dans les deux cas, on enregistre bel et bien, au départ, le fait de la diversité. Mais dans les deux cas, cette diversité se trouve à la fin dépourvue de toute consistance positive, puisque, au fond, elle s’explique par un retard dans l’évolution ou par la force du préjugé. « En droit », tout homme devrait penser « comme nous » – si seulement il se décidait à penser vraiment, à se servir de sa raison; mais « en fait », tous ne sont pas encore parvenus à ce stade. À la fin, seul reste « l’universel », identifié à notre manière de penser et de raisonner; tout ce qui s’en écarte est moins rationnel, voire franchement irrationnel.
23 décembre 2012 at 20:42
@ Philarête
Merci de l’explication de texte. Je n’avais pas vu que les exemples de Descombes étaient en fait des contre-exemples, d’où ma perplexité.
24 décembre 2012 at 09:23
@Aristote
Idem… merci pour l’explication de texte.
Je n’ai (toujours pas) lu Descombes mais je rectifie mon commentaire. Il commence aussi désabusé que Popper quand il en a terminé… non ?
Joyeux Noël à tous.
24 décembre 2012 at 10:55
Oui, Joyeux Noël à tous.
25 décembre 2012 at 10:51
Joyeux Noël !!!
27 décembre 2012 at 12:34
[…] Orwell, la vérité ou la servitude […]
4 janvier 2013 at 09:54
[…] sur le point de le faire quand j’ai lu le dernier billet du philosophe blogueur Philarête. Il y commente un ouvrage de son collègue américain James Conant consacré au célèbre roman […]
9 janvier 2013 at 18:13
J’arrive largement après la bataille, mille excuses.
Mon intuition est que nos relativistes commettent l’erreur de donner à l’incertitude une importance très largement exagérée.
Oui la mécanique quantique décrit des phénomènes très contre-intuitifs ou dérangeants. Mais ils ont lieu à des échelles très éloignées de celles qu’on expérimente couramment. Un photon peut traverser une barrière de potentiel, on peut calculer la probabilité de cet événement. Par extension, une voiture peut traverser un mur. C’est une possibilité physique. Mais sa probabilité est tellement infime que cela n’arrivera jamais avant que l’univers ne disparaisse.
Oui le théorème d’incomplétude de Gödel démontre qu’il existe des propositions indécidables. Mais on peine à en trouver hormis les cas pathologiques (« cette affirmation est fausse », par exemple). Peut être que P=NP en fait partie, peut-être pas. Mais ça n’a pas empêché des générations de mathématiciens avant et après Gödel de construire l’édifice mathématique. Peut-être un jour quelqu’un démontrera que le théorème de Thales est à la fois faux et vrai ce qui nous forcera à reconsidérer la quasi-totalité du patrimoine mathématique. Mais tant que ça n’est pas arrivé, tout le monde continuera de le considérer vrai, et construira sur cette base.
Peut-être une autre façon de formuler la thèse de Philarête (et d’Orwell) est de prendre le problème non pas du coté de la vérité (concept qui semble en hérisser beaucoup) mais du doute.
La liberté est impossible si le doute s’étend au-delà du raisonnable, si vous doutez de tout. Celui qui a laissé le doute briser ses digues n’a plus rien à quoi se raccrocher et perd tout usage de sa liberté. De façon intéressante, cela s’applique au niveau collectif avec la société totalitaire décrite dans 1984 mais également au niveau individuel. Les pervers narcissiques assoient leur domination sur leur victime par le dénigrement, la remise en question systématique, la déferlante du doute.
C’est en cela qu’Orwell et Conant ont raison d’insister sur les truismes, les évidences, les vérités ordinaires. Le jour où tu te mets à douter du fait que 2 et 2 font quatre ou que l’herbe est verte, ce jour-là ta liberté est morte. A contrario, si tu peux compter sur des vérités, aussi insignifiantes soient-elles, alors tu pourras faire usage de ta raison et construire à partir de ces axiomes des vérités plus riches qui te permettront de structurer une contestation du pouvoir.
9 janvier 2013 at 21:11
@ Lib
Je ne suis pas sûr que la mécanique quantique ou Gödel soient au centre de l’argumentation des relativistes.
Là où je vous rejoins, c’est qu’il me paraît difficile d’imaginer comment un relativiste peut vivre concrètement, au jour le jour, en cohérence réelle avec les thèses qu’il affiche.
23 janvier 2013 at 15:32
[…] Orwell, la vérité ou la servitude […]
27 janvier 2013 at 17:49
[…] la novlangue orwellienne est devenue un lieu commun mais peu ont vraiment entendu la leçon (V. un Mustread absolu chez Philarête) ! Les dérapages, de part et d’autres d’ailleurs, et autres points Godwin ne sont que […]
16 mars 2013 at 16:06
[…] Orwell, la vérité ou la servitude | L'esprit de l'escalier […]
26 mars 2013 at 20:04
[…] Orwell, la vérité ou la servitude | L'esprit de l'escalier […]
29 mars 2013 at 10:22
[…] Un tel relativisme n’est pas sans séduction car il est protecteur de la minorité au sein du régime démocratique et instaure un régime de tolérance absolue. En réalité, il n’est pas sans danger ainsi que l’illustre le passage de l’Évangile utilisé par Kelsen. L’indifférence au contenu des décisions et des règles peut conduire à la condamnation d’un innocent en toute connaissance de cause ; ce que ne conteste d’ailleurs ni Pilate, ni Kelsen. Un anti réalisme à la Rorty peut d’ailleurs conduire à justifier, contrairement au projet initial, un régime totalitaire (V. l’analyse de Rorty sur 1984 d’Orwell et sa critique not. par J. Conant et J.-J. Rosat). […]
17 mai 2013 at 08:03
[…] Orwell, la vérité ou la servitude […]
30 avril 2014 at 12:01
Ne peut-on pas reconnaître cependant, quand la vérité est un enjeu de lutte, que l’on ne peut pas la brandir comme si elle fermait la discussion ? Je suis d’accord pour dire que nous cherchons la vérité et que nous ne le faisons que dans la mesure où nous croyons que nous pouvons dire quelque chose de vrai, mais de là à dire que la vérité ne nous attend pas, je crois que c’est quelque peu abusif. Je ne pense pas qu’il faille dire qu’il n’existe jamais de « faits objectifs », simplement cette objectivité a non seulement des conditions de possibilité mais en plus elle n’est que le résultat d’une lutte pour la vérité. S’il existait des « faits objectifs » alors le soleil tournerait autour de la terre. Il y a sans doute une mauvaise compréhension de ce qu’est le relativisme dans le post-modernisme, mais il me semble qu’on peut s’entendre sur la grande variabilité des concepts de vérité et sur la diversité des phénomènes qui conduisent à la vérité, sans pour autant laisser absolument tomber la recherche de la vérité.
Par exemple, la science serait le projet de repérer ce qui ne change pas malgré le point de vue. Que les sciences sociales ou humaines apportent du relativisme ne signifie pas que ce relativisme soit « absolu », il s’agit bien d’un relativisme relatif. Mais si on considère que la pensée essaye d’atteindre la réalité, alors il faut bien se rappeler que la façon de s’y rapporter est relative. Donc le relativisme des sciences humaines et sociales sont un élément de réflexivité critique « véritable ». Dont il faut prendre sérieusement la mesure, ce me semble.
30 décembre 2014 at 12:31
Je ne me sens pas à la hauteur pour m’engager dans le débat mais je voudrais simplement vous remercier pour cet article (je vais aller me chercher le livre de ce pas) et pour la richesse des commentaires qui l’accompagnent !
30 septembre 2015 at 17:21
[…] lira ici avec profit le résumé que fait l’excellent Philarête d’un livre du philosophe américain James Conant qui interprète 1984 d’Orwell d’une façon […]
11 septembre 2016 at 13:43
[…] large “accord intersubjectif possible”, pour reprendre les termes d’un philosophe américain (lien). La science n’existe pas : elle n’est qu’un affrontement subjectif d’opinions plus ou […]
11 septembre 2016 at 14:19
[…] Notons au passage qu’en une phrase, Bouveresse (qui est professeur au Collège de France en philosophie de la connaissance) atomise l’idée relativiste selon laquelle renoncer au concept de vérité serait le préalable à la liberté et à la démocratie. On sait fort bien aujourd’hui qu’au contraire, promouvoir le relativisme, mettre sur le même plan connaissance et opinion, faits et valeurs, c’est l’antichambre de l’obscurantisme. Négationnisme historique, refus du réchauffement climatique, de la théorie de l’évolution, économie du populisme… dois-je ajouter des exemples ? L’idée d’une vérité objective ne s’oppose pas à la démocratie, elle en est même l’un des fondements (et le philosophe Philarète le montre plutôt bien). […]